La règle à laquelle s’attache ce blog est d’éviter de participer à des polémiques, mais de produire des analyses étayées. Néanmoins, il arrive qu’une polémique nécessite une analyse. C’est aujourd’hui le cas.
Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie, a déclaré concernant les chômeurs : « Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essaierais de me battre d’abord« [1]. Martine Aubry lui a apporté une réponse de terrain à cette apostrophe : « J’entends des propos qui me choquent sur les assistés. Je le dis, y compris à M. Macron, tous les chômeurs cherchent du boulot et aimeraient bien en trouver. »[2]
L’ENNEMI, C’EST LE CHÔMAGE DE MASSE ET NON PAS LES CHÔMEURS.
Cet échange reprend des propos tenus par divers responsables politiques en de multiples occasions. Ils ont le mérite de clarifier l’échange et de formuler une divergence politique majeure sur l’emploi et le chômage.
L’« autre », dont il ne faut pas tout attendre, évoqué par le ministre désigne a priori l’Etat. Cette formule renvoie clairement à la responsabilité à chacun pour dédouaner l’état de l’échec de sa politique en matière d’emploi.
Certes le profil d’Emmanuel Macron est éloigné de celui du français moyen[3], mais ses qualités n’empêchent pas forcément a priori la bonne compréhension de la situation sociale et sociétale. Elles n’imposent pas d’afficher une suffisance de caste. Même s’il quitte son poste actuel, M. Macron ne sera pas au chômage, il n’aura que l’épineux problème du choix de sa poursuite de carrière et de son niveau de rémunération. De là à mettre en cause les chômeurs et à ignorer à la réalité économique du pays pour un ministre en charge de la question, il y a un fossé.
On peut aussi citer, pour bien comprendre le personnage, l’une de ses formules optimistes : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires. »[4].
LA RÉALITÉ DE LA SITUATION DE L’EMPLOI EST CLAIRE
La réalité de la situation de l’emploi est globalement la suivante :
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Il n’y a pas d’emplois disponibles pour les cinq millions et demi de demandeurs d’emploi en recherche active inscrits à Pôle emploi dans notre organisation économique. La destruction d’emplois se poursuit année après année faute d’une politique économique efficace contrairement à celles menées dans des pays voisins.
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Les « emplois non pourvus » à un instant « t » ne représentent pas une solution pour résoudre le problème de l’emploi.
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La création d’activité est à développer, mais ne peut pas être une solution de masse mais une issue ponctuelle et risquée. Il n’y aura pas demain 5 millions d’entrepreneurs à circuler dans des baraques à frites.
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De nombreux chômeurs sont dans une situation personnelle insoutenable (ressources, équilibre psychologique, etc.), vis-à-vis d’eux-mêmes et de leurs proches. C’est une population entière qui souffre. Près d’un français sur 10 est inscrit à Pôle Emploi.
Même s’il reste, à la marge, un emploi réellement non pourvu ou un chômeur qui a fléchi un moment dans sa recherche d’emploi, cela ne change pas réellement la situation. Se centrer sur ceux-là, c’est incontestablement être de mauvaise foi.
Devant l’échec de la politique de l’emploi menée depuis trois ans, le gouvernement a-t-il tant besoin de boucs émissaires ? Désigner les chômeurs comme responsables de leur sort pour se dédouaner de ses responsabilités politiques ne tient pas lieu de politique de l’emploi.
DES PROMESSES TRÈS INCERTAINES
Enfin, pour poursuivre sur le thème des propos contestables, les chiffres de créations d’emploi annoncés par le ministre[5] concernant le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques demanderaient quelques détails de calcul :
« (…) je peux vous dire avec certitude que cette loi va créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois d’ici à dix-huit mois, notamment dans les secteurs que l’on ouvre à la concurrence (autocars, professions réglementées) et via l’ouverture dominicale des commerces. Par ailleurs, les mesures sur l’entrepreneuriat ou le droit du travail avec la réforme des prud’hommes auront un impact indirect très important dans les prochaines années… »
La reprise d’un chiffrage en termes de nombre d’emplois créés suite à l’adoption de cette loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques étonne naturellement dans la mesure où il avait été abandonné, suite au départ de son prédécesseur, faute de sérieux dans les calculs.
[1] Propos tenus sur BFMTV le 18 février 2015.
[2] D’autres ont proposé des formules différentes comme : « Si j’étais chômeur, je demanderais au Medef de tenir sa promesse de création d’un million d’emploi en contrepartie des 41 milliards du CICE, j’essaierais de me battre pour ça » ou « Si j’étais chômeur… je demanderais au gouvernement de changer de politique pour créer des emplois. ».
[3] 36 ans, études classique : Sciences Po, ENA promotion Léopold-Sedar-Senghor et DEA de philosophie politique. Gérant de la banque Rothschild, Conseiller économique de François Hollande puis secrétaire général-adjoint de l’Élysée avant de devenir Ministre de l’Economie. Non adhérent au Parti socialiste.
[4] Entretien dans LES ECHOS – 06/01/15
[5] Entretien dans LES ECHOS – 06/01/15
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