Un récent rapport de France Stratégie[1] sur l’insertion professionnelle des jeunes présente « un diagnostic largement partagé », par les participants à cette consultation, articulé autour de trois constats : la jeunesse est hétérogène, il existe des difficultés structurelles et des freins périphériques. Ce rapport reproduit les analyses classiques sans grande originalité.
Il apparait pourtant à beaucoup de professionnels de l’emploi qu’il serait nécessaire de jeter un autre regard sur l’insertion professionnelle des jeunes, dans la mesure où les analyses et les politiques publiques mises en place n’ont pas apporté d’améliorations majeures dans l’insertion professionnelle des jeunes.
LE TAUX DE CHÔMAGE DES JEUNES DE MOINS DE 25 ANS N’A PAS DIMINUÉ DEPUIS FIN 2008.
http://www.bdm.insee.fr/bdm2/affichageSeries?idbank=001688537&page=tableau&request_locale=fr
Limiter le débat aux seuls partenaires sociaux[2] et à des organisations de jeunesse, assez peu compétentes sur les réalités de l’emploi, semble un choix de procédure un peu limité. Le bilan des Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI)[3] portant sur l’emploi des jeunes, et leur traduction en matière de politique publique ne se sont pas illustrés par de grands succès…
Les commissions et les rapports[4] sur l’insertion professionnelle des jeunes se succèdent, depuis des années, sans que des mesures politiques en tenant compte soient prises. Il serait peut-être présomptueux d’affirmer que tout a été dit ou écrit, mais c’est malgré tout sans doute le cas (comme dans beaucoup d’autres domaines).
LA RECONNAISSANCE DU CARACTÈRE HÉTÉROGÈNE DE LA JEUNESSE PAR RAPPORT À L’EMPLOI DOIT CONDUIRE À DES APPROCHES DIFFÉRENCIÉES
Parmi les trois constats du rapport de France Stratégie, celui du caractère hétérogène de la jeunesse est indiscutable. Il n’est pas possible de parler de la question de l’emploi des jeunes de manière globale comme c’est trop souvent le cas.
La différence des parcours, des niveaux de formation, des choix de projets professionnels (ou de l’absence de tout projet), de l’âge des jeunes concernés, des territoires, des conditions sociales d’origine, etc. rend la typologie des différentes catégories de jeunes très éclatée.
Mais si le rapport rend compte de cette hétérogénéité, il n’en tire pas vraiment les conséquences. Il ne conclut pas qu’il faut s’intéresser à l’insertion professionnelle de tous les jeunes. Il en reste à mettre en avant les seuls jeunes sans-emploi, ni en études ni en formation.
Les temps d’insertion professionnelle annoncés pour les jeunes diplômés sont inexacts (« 3,5 mois pour accéder à un CDI » pour un diplômé), comme le prouve, par exemple, la consultation des chiffres d’insertion professionnelle issus des enquêtes du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes de 25 ans et plus (donc des jeunes plus ou moins bien diplômés de l’enseignement supérieur) continuent à échapper à l’analyse. Les chiffres sur l’« emploi des jeunes » concernant les jeunes de 18 à 25 ans ou de 16 à 25 ans. La mesure des difficultés des primo demandeurs d’emploi de « 25 ans et plus » sont adroitement gommé par le traitement statistique. A moins de 25 ans, les jeunes sortants de formation initiale sont très majoritairement non diplômés ou faiblement diplômés, donc rien d’étonnant à ce qu’ils soient surreprésentés dans les statistiques d’actifs comme de demandeurs d’emploi…
La politique d’insertion professionnelle des jeunes devrait concerner tous les jeunes ; ce n’est pas le cas aujourd’hui dans le cadre des politiques menées et des dispositifs mis en œuvre.
LES PROBLÈMES NE SONT PAS UNIQUEMENT STRUCTURELS, MAIS AUSSI CONJONCTURELS
La situation du marché du travail est marquée par la baisse du nombre des emplois, depuis plusieurs années (avec une timide remontée en 2016), et par l’augmentation du nombre des actifs pour des raisons multiples, dont le recul de l’âge de la retraite n’est pas porteur pour les entrants sur le marché du travail. Ces éléments sont conjoncturels.
Une plus forte croissance du PIB, accompagnée de recrutements massifs, contribuerait à faciliter l’embauche des primo demandeurs d’emploi.
Il y a bien des changements d’habitudes des employeurs avec un recours plus fort aux contrats courts : c’est-à-dire aux contrats aidés, aux CDD, aux contrats de travail temporaire, aux contrats d’apprentissage, aux contrats de professionnalisation, etc.
Mais ils sont conjoncturels, car force est de reconnaitre que nombre de ces solutions relèvent de politiques publiques à destination des jeunes, dans une conjoncture de l’emploi mauvaise, en grande partie à cause du choix des politiques économiques et fiscales adoptées.
Le caractère conjoncturel l’emporte sur les éléments structurels.
LES FREINS NE SONT PAS « PÉRIPHÉRIQUES », MAIS S’AVÈRENT CENTRAUX DANS LES PROBLÈMES D’INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES
Comme cela est évoqué à plusieurs reprises dans le rapport de France stratégie, de nombreux freins à l’accès à l’emploi sont en fait le résultat des « faiblesses » du système de formation initiale[5].
Ces freins sont donc centraux et non périphériques.
La responsabilité de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sont directement engagés.
La non-détention par des jeunes des compétences de base (compréhension orale, écriture, lecture, calcul) ou des outils numériques relève bien de la responsabilité de l’école. Les questions abondent par exemple :
- Pourquoi aucun Capes dans le domaine du numérique n’a été mise en place ? Quels équipements informatiques sont effectivement disponibles pour les élèves, les collégiens, les lycéens ? Quels programmes sont développés pour apprendre le numérique ?
- Pourquoi les profils des jeunes réussissant dans les filières de formation ne sont-ils pas rendus publics ?
- Pourquoi la publication des débouchés réels de chacune des formations n’est-elle pas connue ?
L’EXAMEN CRITIQUE DES POLITIQUES D’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES VERS L’EMPLOI NE NOURRIT PAS ASSEZ L’ÉVOLUTION DE CES POLITIQUES
Comme le reconnait le rapport, « les acteurs de terrain déplorent la complexité et l’instabilité de ces dispositifs d’aide ». Mais aussi, « Plus généralement, manque de visibilité et multiplication des dispositifs sont une source d’incertitude pour les employeurs et de complexité pour les publics éligibles, donc potentiellement de non-recours pour les moins bien informés d’entre eux. » Ce qui est en particulier le cas de PME qui n’ont pas recours aux emplois aidés.
L’observation des résultats des politiques en faveur de l’emploi des jeunes n’est pas suffisamment sérieuse quand il s’agit de passer d’un dispositif à un autre. Et ce depuis des décennies. Ce travers freine le progrès.
Les acteurs de l’emploi se trouvent souvent mis devant le fait accompli du passage d’un dispositif à un autre. Le suivi de l’évolution des politiques, dans ce domaine, par les acteurs constitue un exercice de sagacité à lui seul…
BILLET À SUIVRE…
[1] « La concertation en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes, lancée en septembre dernier, s’est conclue mardi 24 janvier 2017 par la remise d’un rapport de diagnostic à la ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. » (…) Pilotée par France Stratégie et la DARES jusqu’à sa conclusion en décembre, la concertation en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes a réuni les représentants des huit organisations patronales et syndicales ainsi que de quatre organisations de jeunesse (UNEF, FAGE, JOC, MRJC) lors de six séances de travail thématiques. » –http://www.strategie.gouv.fr/publications/linsertion-professionnelle-jeunes
[2] Le rapport prétend produire : « un diagnostic nécessaire pour que les partenaires sociaux proposent de nouveaux leviers d’action adaptés »…
[3] Un Accord National Interprofessionnel est le fruit d’une négociation entre partenaires sociaux au niveau national, généralement liée aux modalités d’exécution des contrats de travail dans l’ensemble des secteurs.
[4] Des conclusions de la commission Hirsch aux rapports du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) en passant par les travaux des commissions parlementaires…
[5] « Au-delà de la détention des compétences de base (compréhension orale, écriture, lecture, calcul) que 10 % des jeunes ne maîtrisent pas, les freins périphériques à l’emploi, loin d’être marginaux ou secondaires, constituent pour certains jeunes de réelles barrières à l’entrée sur le marché du travail. »
« Capacité de mobilité, maîtrise du numérique, état de santé, précarité des conditions de vie dont l’absence de logement ou de couverture sociale, sont des obstacles pour au moins 10 % des 16-29 ans. »
« La spécialité du diplôme, voire sa filière d‘accès (voie scolaire versus apprentissage) joue également un rôle croissant dans la qualité de l’insertion dans l’emploi. »
« 45 % des jeunes débutants n’ont pas été formés pour le travail qu’ils occupent, ce qui pose des problèmes d’adéquation entre l’offre de compétences et les attentes des recruteurs pour qui le diplôme reste le critère central d’embauche. »
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