LE CONTENU DE LA CHARTE POUR L’EMPLOI LOCAL EN CORSE FAIT DÉBAT
En Corse, à l’initiative du président « indépendantiste » de l’assemblée de Corse, une « charte pour l’emploi local en Corse »[1] instaurant une préférence locale a été signée le 24 mai 2017 à Bastia par les présidents des chambres des métiers, du commerce et de l’agriculture, deux syndicats corses, etc., suite à une démarche de réflexion engagée mars l’an passé. Cette charte vient concrétiser une promesse de campagne des élus de la majorité régionale.
Elle ambitionne de permettre une diminution du taux de chômage sur l’île, actuellement un peu supérieur à la moyenne nationale (10,5%).
Seuls deux organisations syndicales, la CFDT-Corsa et le Syndicat des Travailleurs Corses (STC) ont signé cette charte.
Pour des raisons différentes, la CGT[2], comme le MEDEF[3], se sont prononcés contre ce texte.
À côté de dispositions générales sans problèmes, la Charte prévoit en particulier :
- de donner la priorité à l’embauche de Corses ou résidents de l’île[4] : « Favoriser le recrutement de ceux dont les centres d’intérêts moraux et matériels sont situés en Corse »,
- d’ouvrir des concours régionaux de la fonction publique propre à la Corse,
- de faire de la maitrise de la langue corse un critère de recrutement : « faire de la langue corse une différence compétitive » [5],
- etc.
Cette charte reste encore à ce jour une déclaration de principes, mais le président de l’Assemblée de Corse, précise qu’il souhaite « rendre le texte contraignant », à terme.
CETTE CHARTE APPELLE À PRATIQUER UNE DISCRIMINATION À L’EMBAUCHE
Dans un courrier adressé aux signataires de la Charte, le préfet de Région a fait une mise au point très claire pour indiquer que cette charte prônait des pratiques illégales :
« L’implication d’une entreprise dans des actions visant à favorise ou, au contraire, à restreindre certains types de recrutement, la placerait dans une situation de forte insécurité juridique et l’exposerait à des poursuites civiles et pénales ». « Seules des dispositions législatives spécifiques peuvent légalement fonder des actes de “discrimination positive”. Il en est par exemple, des mesures en faveur des personnes domiciliées dans les quartiers prioritaires de la ville. »
Il apparait que cette préférence à l’embauche, si elle devait se concrétiser, entraînerait sans équivoque une discrimination à l’embauche. au regard des articles 225-1 et -1 du Code pénal[6], et de l’article 1132-1 du Code du travail[7], mis à jour très récemment.
Certaines mesures de « discriminations positives » selon la résidence existent déjà, mais elles ont un fondement légal. C’est le cas dans des départements (La Réunion ou la Guadeloupe) et territoires d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie[8]). Mais force est de constater que l’éloignement de ces iles par rapport à la métropole n’a rien à voir avec celui de la Corse.
De même, certains dispositifs visent à favoriser l’embauche des personnes résidentes dans les quartiers relevant de la politique de la ville ont pu exister ou pourront être mis en place, mais de manière limitée. Ils n’ont cependant pas réellement fait leurs preuves. La mobilité, hors du territoire du quartier, semble davantage à privilégier.
La clause concernant la langue Corse n’a pas de précédent et tombe directement sous le coup de la loi comme encourageant des pratiques discriminatoires.
LES RISQUES D’UNE GÉNÉRALISATION DE MESURES DE PRÉFÉRENCE LOCALE À L’EMPLOI DEVRAIENT CONDAMNER L’INITIATIVE DES RESPONSABLES CORSES.
La concrétisation de la charte régionale de l’emploi corse, dans l’avenir, fait courir le risque d’un essaimage de ce type de dispositif à d’autres villes, départements ou régions dans toute la France métropolitaine.
À terme, un corse d’origine, ou un résident en corse, privilégié dans l’obtention d’un emploi en Corse, n’aurait que peu d’accès à un emploi en Provence ou en Occitanie si ces régions réservaient leurs emplois à leurs habitants… et aucune chance en Alsace faute de parler alsacien, etc. Compte tenu du nombre de Corses travaillant sur le continent cela deviendrait « invivable » pour les Corses eux-mêmes…
D’autre part, à terme, si de tels projets de « préférence régionale » lors de recrutement étaient imposés par des exécutifs locaux, la question de « la préférence nationale »[9] à l’embauche (telle que revendiquées par certains partis politiques) ne pourrait que s’imposer…
[1] En langue Corse : « Cartula imiegu lucale in Corsica ».
[2] Selon la CGT : « La corsisation des emplois n’est pas la solution au problème de chômage en Corse. Le chômage nécessite un travail de fond de la part des élus, des décideurs. Le problème de la corsisation des emplois est pour nous un faux problème. »
[3] Le Medef corse considère que la charte elle impose de nouvelles contraintes aux entreprises et entrave à la liberté de recrutement.
[4] Extrait de la Charte « Favoriser le recrutement de ceux dont les centres d’intérêts moraux et matériels sont situés en Corse et dont les compétences sont suffisantes. » (…) « Prioriser la diffusion des offres d’emploi à destination des personnes dont les centres des intérêts moraux et matériels sont situés en Corse. »
[5] Extrait de la Charte : « Intégrer la dimension de la langue corse dans la vie de l’entreprise ou des associations et dans toutes leurs activités ; faire de la langue corse une différence compétitive ; permettre aux salariés d’acquérir un niveau certifié de corse. » (…) « Intégrer la langue corse dans toutes les missions de service public, en permettant notamment aux agents d’acquérir un niveau certifié de corse et en mettant en œuvre des planifications linguistiques en interne. »
[6] Code pénal – Article 225-1 – Modifié par LOI n°2016-1547 du 18 novembre 2016 – art. 86
Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales sur le fondement de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de la grossesse, de l’apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, du patronyme, du lieu de résidence, de l’état de santé, de la perte d’autonomie, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.
[7] Code du travail – Article L1132-1 – Modifié par LOI n°2017-256 du 28 février 2017 – art. 70
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.
[8] En Nouvelle-Calédonie, ce principe est inscrit dans la Constitution, depuis l’accord de Nouméa de 1998 et de sa traduction dans une loi organique en 1999.
[9] La « préférence nationale » exprime la volonté politique de réserver une priorité à l’emploi aux détenteurs de la nationalité française et à leur réserver le bénéfice des aides sociales.
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