LA RADICALISATION DE SALARIES PEUT POSER PROBLÈME A UNE ENTREPRISE OU UN SERVICE PUBLIC
La radicalisation de salariés peut poser problème lors des recrutements ou dans le travail ou il peut concerner soit un empêchement à la bonne marche interne d’une entreprise[1], soit un risque par rapport aux services de l’entreprise vis-à-vis de ses clients ou de la société.
Pour y faire face :
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L’embauche d’un candidat, considéré comme radicalisé, peut être bloqué.
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Un salarié, considéré comme radicalisé, peut être amené à quitter son poste (licenciement…).
La radicalisation peut être une cause de licenciement.
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Dans le secteur public, les règles sont assez bien établies par des textes (loi de 2004 sur les signes religieux, charte de la laïcité de 2006, etc.) qui impose à tous les agents publics un devoir de neutralité.
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Dans le secteur privé, le licenciement pour radicalisation est à la discrétion de l’employeur. Il s’agit d’un licenciement pour motif personnel et, par exemple, la pratique radicalisée d’une religion peut être invoquée par l’employeur. Mais celui-ci doit réunir des preuves et des témoignages qui attestent que le comportement du salarié nuit à l’entreprise. Cette procédure reste assez difficile.
Ces pratiques sont admises par la loi et reconnue au travers de diverses dispositions.
La prise en compte de la radicalisation ne vient pas en contradiction avec les dispositions de lutte contre les discriminations, dans la mesure où elle concerne des comportements et des actes et non une opinion ou une conviction.
IL IMPORTE DE TENTER DE DRESSER LE CONTOUR DE LA RADICALISATION
Il n’existe pas une unique définition, mais une intéressante analyse de la radicalisation est détaillée sur un site gouvernemental, consulter : http://www.stop-djihadisme.gouv.fr[2].
La radicalisation religieuse, sociale ou politique[3], peut se manifester dans le monde du travail. On ne s’agit pas de confondre la « radicalisation » avec une pratique religieuse ou des opinions politiques jugées extrémistes.
Il est vrai que l’on pense en premier lieu à la radicalisation islamiste, en raison des attentats meurtriers que la France a subi, mais d’autres extrémismes peuvent générer potentiellement des actes identiques. C’est le cas des auteurs d’actes terroristes régionalistes, d’ultra gauche ou d’ultra droite ou d’écologistes ultras, mais la liste reste ouverte à tous les instigateurs, acteurs ou soutien public (apologie) à des actions illégales, violentes et terroristes.
La radicalisation est considérée comme le :
« processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux, qui conteste l’ordre établi »[4].
Un rapport récent sur les cas de radicalisation dans les services publics[5] précise :
« Par « radicalisation », la mission entend tout extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux, visant par là au premier chef la radicalisation islamiste, compte tenu du contexte post-attentats dans lequel est plongé notre pays, mais sans exclure d’autres types possibles de radicalisation. »
PLUSIEURS LOIS ET PLANS DE LUTTE ONT DÉJÀ ÉTÉ ADOPTÉS
Plusieurs lois[6] et plans de lutte contre la radicalisation[7] ont déjà été adoptés, ils visent entre autres l’emploi.
Pour la fonction publique, un récent rapport parlementaire examine certains champs professionnels : police et gendarmerie, armée et sapeurs-pompiers, justice, éducation, pénitentiaire, transports, sports, collectivités territoriales, universités, santé, etc.
Il met en évidence l’importance du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS)[8] dans le contrôle des recrutements et le suivi des personnels en poste pour prévenir l’utilisation des fonctions occupées pour des projets d’actions illégales (dont prosélytisme, sabotage ou terrorisme)[9].
Ce service vise à prévenir les risques liés au « comportement de personnes physiques ou morales n’est pas incompatible avec l’autorisation d’accès à des sites sensibles ou l’exercice de missions ou fonctions sensibles »[10].
De fait, le SNEAS est un service de renseignements[11], qui exploite les sources existantes (fichiers) et les signalements. Le contrôle du SNEAS s’est développé progressivement et donne des résultats indispensables, même si le nombre de personnes concernées reste faible.
En 2018, sur 318 464 enquêtes ont été réalisées, seules ont été signifié 485 avis d’incompatibilité (0,15%). C’est dans le domaine des transports public de personnes ou de marchandises dangereuses que les avis défavorables ont atteint +1,4%[12].
L’employeur, suite à un avis défavorable, doit ensuite déterminer si le comportement « donne de sérieuses raisons de penser qu’elle est susceptible, à l’occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité et à l’ordre public ».
Le rapport parlementaire propose d’étendre les possibilités d’enquête sur les personnels, notamment dans le secteur des transports publics, dans les milieux sportifs et les professions carcérales, afin de lutter contre le phénomène de radicalisation. Le rapport propose outre le renforcement du SNEAS en effectifs et en moyens, de cibler d’autres catégories de personnels[13].
MAIS LE PROBLÈME DEMEURE COMPLEXE
Cette question de la radicalisation conduit à de nombreuses questions dans la mesure où au-delà des symptômes constatés lors d’un recrutement ou dans le cadre du travail, elle peut faire référence aux activités extérieures à l’entreprise privée ou publique d’une personne.
Le parcours professionnel antérieur, sans problème, de terroristes islamistes, ayant agi en France, été l’objet de réflexions.
La prise en compte du fichier S comme « sûreté de l’État »[14] est employé par le SNEAS, pour certains services de l’Etat, mais les employeurs privés n’y ont pas accès (sauf activités sensibles relevant de la sureté de l’Etat), tout comme ils n’accèdent pas au casier judiciaire.
La conduite à tenir par les employeurs face à la radicalisation effective, au passage à la radicalisation, aux actes « limites », etc. mérite une grande attention.
Des indicateurs de basculement dans la radicalisation ont été proposés[15], au-delà du cadre strictement professionnel.
[1] Par exemple, un salarié qui refuse du jour au lendemain de serrer la main d’une femme ou refuse l’accès à son bus à une femme, dont la tenue lui semble indécente.
[2] Le site internet http://www.stop-djihadisme.gouv.fr souligne quant à lui que : « se radicaliser, ce n’est pas seulement contester ou refuser l’ordre établi. La radicalisation djihadiste est portée par la volonté de remplacer la démocratie par une théocratie basée sur la loi islamique (la charia) en utilisant la violence et les armes. Elle suppose donc l’adoption d’une idéologie qui donne un cadre de vie et des repères guidant l’ensemble des comportements. Les personnes radicalisées divisent les hommes et les femmes en deux catégories : ceux qui adhèrent à leur cause et ceux qui ne la partagent pas et sont, à ce titre, appelés à mourir. »
[3] On ne doit pas confondre « radicalisation » avec une pratique religieuse ou des opinions politiques jugées extrémistes. Ce qui est en jeu repose sur les propos (dont en particulier des menaces) ou les actes.
[4] Farhad Khosrokhavar
[5] Un rapport d’information sur les services publics face à la radicalisation a été présenté le 27 juin 2019, par les députés Éric DIARD (LR, Bouches-du-Rhône) et Éric POULLIAT (LREM, Gironde). http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i2082.asp
[6] Loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
[7] Le plan national de prévention de la radicalisation, baptisé « Prévenir pour protéger », date du 23 février 2018. Il visait la lutte contre la théorie du complot à l’école, la prévention à l’école, l’implication des acteurs de l’Internet, le maillage de la détection, l’anticipation de l’évolution de la radicalisation, la professionnalisation des acteurs locaux et le désengagement des personnes radicalisées.
[8] Décret du 27 avril 2017 portant création d’un service à compétence nationale dénommé « service national des enquêtes administratives de sécurité »
[9] Le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) a été créé en avril 2017. Le décret crée un service à compétence nationale qui a pour mission de contribuer à la prévention du terrorisme, des atteintes à la sécurité et à l’ordre publics et à la sûreté de l’Etat en diligentant des enquêtes administratives. Il est rattaché au directeur général de la police nationale (ministère de l’Intérieur).
[10] « A la demande du ministre de l’intérieur, le service réalise, sous réserve des compétences du commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire, des enquêtes administratives destinées à vérifier, au regard de l’objectif de prévention du terrorisme et des atteintes à la sécurité et à l’ordre public et à la sûreté de l’État, que le comportement de personnes physiques ou morales n’est pas incompatible avec l’autorisation d’accès à des sites sensibles ou l’exercice de missions ou fonctions sensibles dont elles sont titulaires ou auxquelles elles prétendent. » – Décret du 27 avril 2017
[11] « Dans ce cadre, le service consulte de manière directe ou indirecte des traitements de données à caractère personnel relatifs à la prévention du terrorisme ou des atteintes à la sécurité et à l’ordre publics et évalue, exploite et analyse les informations ainsi recueillies afin d’émettre un avis, le cas échéant par délégation du ministre de l’intérieur, sur la compatibilité entre le comportement de la personne et l’exercice des missions ou fonctions envisagées ou l’accès aux sites concernés au regard du risque d’atteinte à la sécurité et à l’ordre publics que celle-ci représente ; élabore une doctrine en matière d’enquêtes administratives pour homogénéiser les pratiques dans les domaines qui lui sont confiés ; assure le traitement des recours administratifs diligentés à l’encontre de ses avis. » – Décret du 27 avril 2017
[12] Les enquêtes du SNEAS en 2018.
Secteurs contrôlés | Nombres d’enquêtes | Avis défavorables | % |
Transport public personnes ou marchandises dangereuses | 8 473 | 116 | 1,4% |
Autorisation d’acquisition d’armes | 225 232 | 266 | 0,1% |
Recrutement fonctionnaires et agents de la police nationale | 1 040 | 5 | 0,5% |
Recrutement des militaires de la gendarmerie nationale | 11 287 | 7 | 0,1% |
Grands événements | 62 632 | 91 | 0,1% |
[13] Surveillants pénitentiaires ; emplois relevant de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’aide sociale à l’enfance ; sapeurs-pompiers volontaires et professionnels ainsi que les personnels administratifs, techniques et spécialisés occupant des postes sensibles, voire certains bénévoles des associations de sécurité civile ; personnels de l’Éducation nationale qui sont en contact, de par leurs fonctions, avec des mineurs ; salariés assurant des fonctions sensibles dans les métiers de la maintenance ; salariés d’une entreprise sous-traitante ou intérimaire ou filiale d’une entreprise de transport de amenée à intervenir sur des fonctions sensibles ; personnels soignants ; éducateurs sportifs.
[14] Les fiches S sont principalement émises par la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI)
[15] Des indicateurs de basculement dans la radicalisation servent de référence.
Source : « Guide interministériel de prévention de la radicalisation », CIPDR, mars 2016.
Domaine | Indicateurs |
Ruptures | Comportement de rupture avec l’environnement habituel |
Changement d’apparence (physique, vestimentaire) | |
Pratique religieuse hyper ritualisée | |
Environnement personnel de l’individu | Image paternelle et/ou parentale défaillante voire dégradée |
Environnement familial fragilisé | |
Environnement social | |
Traits de personnalité | |
Réseaux relationnels | |
Théories et discours | Théories complotistes et conspirationnistes |
Changements de comportements identitaires | |
Prosélytisme | |
Techniques | Usage de réseaux virtuels ou humains |
Stratégies de dissimulation / duplicité | |
Judiciaire | Condamnation pénale et incarcération |
Antécédents | |
Commission de certaines infractions | |
Comportement en détention |
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