LE MONTANT DES FRAUDES A L’ACTIVITÉ PARTIELLE A ÉTÉ ÉVALUÉ PAR LE MINISTÈRE DU TRAVAIL A 225 MILLIONS D’EUROS
Le ministère du Travail affirme que ses services ont effectué 50 000 contrôles concernant les demandes de chômage partiel. Ils auraient débouché sur 9 500 suspicions de fraude et 440 procédures pénales sont en cours. Des sanctions avaient été annoncées[1].
Le montant de la fraude a été évalué à 225 millions d’euros, dont plus de la moitié aurait été bloquée ou déjà récupérée.
Le ministère du Travail déclare que le montant des fraudes identifiées représente moins de 1% du budget total dédié de 30 milliards d’euros au chômage partiel. Mais cette réponse n’apparait pas pleinement satisfaisante.
LES FRAUDES SONT DE NATURE ASSEZ DIVERSES.
La typologie des fraudes à l’activité partielle a été donné par le ministère du Travail à la Commission d’enquête parlementaire :
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Salarié fictif: L’employeur déclare un salarié fictif, ou embauche le salarié pour le placer immédiatement en activité partielle avec un salaire important et met fin au contrat avant la fin de la période d’essai.
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Travail dissimulé: Le salarié a travaillé alors qu’il était placé en activité partielle.
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Congés / maladie: Le salarié est en congé/arrêt maladie et perçoit ses indemnités pendant la période d’activité partielle.
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Sous-traitance/intérim: Placement en activité partielle des salariés et utilisation de la sous-traitance ou de l’intérim pour prendre temporairement en charge l’activité normalement réalisée par les salariés.
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Nombre d’heures: L’employeur déclare plus d’heures en activité partielle que les heures effectivement chômées.
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Gonflement des salaires: L’employeur déclare des taux horaires supérieurs aux réels.
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Production de faux documents.
Une autre part des fraudes constituent à proprement parler des escroqueries avec des usurpations de l’identité d’entreprises, des entreprises n’ayant aucun salarié connu de l’Urssaf, d’entreprise dont l’argent est parti à l’étranger depuis un compte en ligne ouvert sans justificatif de domicile, etc.
« Il y a toujours des escrocs et des gens qui profitent du système. » – Ministère du Travail.
Rappelons que le parquet de Paris avait ouvert en juillet une enquête pour « escroqueries et blanchiment en bande organisée » après des demandes frauduleuses de versement d’indemnités[2]. Elles concernent des « demandes frauduleuses de versement d’indemnités », qui ont été déposées en usurpant « la raison sociale et le numéro d’identification » d’entreprises existantes – alors que ces entreprises n’avaient fait aucune demande.
Des organisations syndicales affirment que la fraude est beaucoup plus massive[3] que ne l’estime le ministère.
LA PROCÉDURE EXCEPTIONNELLE DE RECOURS A L’ACTIVITÉ PARTIELLE FAISAIT COURIR DES RISQUES
La simplification de la procédure exceptionnelle de recours à l’activité partielle et la réduction des délais présentait, dès sa mise en place, des risques de fraudes (ce qui a été signalé sur ce blog à l’époque).
« Le dispositif retenu, volontairement simplifié, est sensible à la fraude. » Rapport d’enquête.
L’absence de validation a priori par le Comité social et économique (CSE) et le délai réduit à 48h pour que l’administration bloque une demande offrait une marge de manœuvre pour des fraudes primaires ou graves.
Le ministère du Travail a annoncé des sanctions contre les fraudes au chômage partiel dès le 30 mars 2020. Mais le « dispositif exceptionnel d’activité partielle » mis en place en soutien aux employeurs et salariés[4] n’était l’objet d’aucun contrôle sérieux a priori.
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la fraude sociale vient d’estimer dans un rapport que le dispositif de chômage partiel « apparaît comme vulnérable à la fraude » et que les contrôles doivent être plus fréquents.
LA COMMISSION D’ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES PROPOSE DEUX MESURES PRINCIPALES
Parmi les recommandations de la Commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales[5] figurent deux mesures particulières pour « sécuriser le dispositif d’indemnisation au titre du chômage partiel ».
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Encourager les entreprises à déposer leur demande d’indemnisation au titre du chômage partiel le plus rapidement possible et cibler les contrôles sur celles réalisant un dépôt tardif de demande d’indemnisation. (Recommandation n° 11).
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Généraliser les contrôles a posteriori réalisés au titre du contrôle de l’activité partielle à 10% des demandes d’autorisation préalable (DAP). (Recommandation n° 12).
Ces mesures portant sur les dépôts tardifs d’indemnisation et un seuil minimal des contrôles à 10% des demandes semblent tout à fait judicieuses.
Les contrôles devraient porter sur les demandes faites depuis juin dans le cadre du dispositif de chômage partiel qui devrait prendre fin à fin octobre, sauf prolongation sectorielle pour le tourisme et des professions liées.
D’autres mesures plus générales concernent une véritable vérification des identités et le croisement des fichiers concernés par les mesures.
Sont ainsi évoqués :
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la « sécurisation de l’identité auprès des organismes sociaux »,
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les « vérifications régulières de l’identité des bénéficiaires de prestations » et
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la vérification de « la correspondance entre l’identité des bénéficiaires de prestations sociales et les coordonnées bancaires de ces derniers ».
LES EFFECTIFS DOIVENT ÊTRE RENFORCES POUR LES CONTRÔLES
Des effectifs supplémentaires ont déjà été recrutés[6] en partie pour effectuer des contrôles.
Le projet de loi de finances pour 2021, le ministère du travail devrait comporter une demande de recrutement de 195 équivalents temps plein (ETP)[7].
LE TRAITEMENT PÉNAL DE LA FRAUDE A L’ACTIVITÉ PARTIELLE A ÉTÉ PRÉCISÉ.
Les peines encourues en fonction des infractions sont lourdes[8].
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Infraction de travail illégal par fraude ou fausse déclaration au titre de l’activité partielle: 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende
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Infraction de travail illégal par dissimulation partielle d’emploi salarié: 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende
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Infraction d’escroquerie lorsqu’elle est réalisée au préjudice d’une personne publique, d’un organisme de protection sociale ou d’un organisme chargé d’une mission de service public : 7 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende
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Infraction de faux et d’usage de faux: 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende
[1] Le ministère du Travail a rappelé les sanctions encourues aux entreprises en cas de fraude le 30 mars. « Ces sanctions sont cumulables : remboursement intégral des sommes perçues au titre du chômage partiel ; interdiction de bénéficier, pendant une durée maximale de 5 ans, d’aides publiques en matière d’emploi ou de formation professionnelle ; 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, en application de l’article 441-6 du code pénal. »
[2] Le parquet de Paris s’est saisi de ces procédures « au titre de sa compétence nationale en matière de la lutte contre la criminalité organisée de très grande complexité ». Ce choix a été motivé par le fait que ces escroqueries ont été commises au niveau national. Le mode opératoire va nécessiter « une forte coopération internationale », car une partie des fonds a été transféré à l’étranger.
[3] « On pense que tout cela est massif au niveau national » (..) « « On ouvre une caisse pleine de billets et on dit : “servez-vous” », déplorant notamment le manque de justificatifs demandés aux entreprises. – Le représentant syndical CGT de l’inspection du travail.
[4] Décret du 25 mars 2020.
[5] Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, Président : M. Patrick HETZEL et Rapporteur : M. Pascal BRINDEAU, députés. – 08/09/20.
[6] « Afin de mettre en œuvre le dispositif d’activité partielle et d’assurer son contrôle, des effectifs supplémentaires ont été recrutés : 332 postes de vacataires ont été ouverts en 2020 aux niveaux régional et départemental et 258 postes ont été pourvus. » -Rapport d’enquête.
[7] « Dans la perspective du projet de loi de finances pour 2021, le ministère du travail a formulé une demande de 195 équivalents temps plein (ETP) sur les missions d’instruction, de paiement et de contrôle de l’activité partielle, de déploiement du nouveau dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD), d’accompagnement des entreprises pour favoriser l’appropriation du dispositif tout en assurant une sécurisation du processus de validation/homologation des accords ou documents unilatéraux et d’accompagnement des plans de sauvegarde de l’emploi. »
[8] Source : réponses du ministère du travail au questionnaire du rapporteur.
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