Diverses catégories de salariés et d’indépendants ont effectivement été plus exposés aux risques sanitaires que d’autres par leurs métiers, durant le premier confinement de mars à mai 2020.
- Une première ligne a été occupée par les professions médicales au sens large (intitulé comme « les soignants »), et par les services de l’Etat, qui ont assuré la continué de leur fonctionnement (police, pompiers, etc.).
- Ensuite, sont intervenus des « travailleurs de la deuxième ligne », c’est-à-dire de personnes continuant à exercer leur métier pendant le confinement. La liste de ces professions ou fonctions concernées est restée floue dans un premier temps[1]. Voir le billet : « Qui sont les travailleurs de la deuxième ligne ? » du 2 novembre 2020. Elle vient d’être précisée.
- Une troisième ligne a été celle des travailleurs à domicile à temps complet ou partiel.
Cette distinction correspondait au confinement qui a eu lieu de mars à mai 2020 ; elle ne s’est pas reproduite aux périodes ultérieures de reconfinement, où le travail a dû continuer.
LA MINISTRE DU TRAVAIL A DEMANDE QUE SOIT DRESSE LE PORTRAIT DES « TRAVAILLEURS DE LA DEUXIÈME LIGNE ».
Cette tentative d’en faire « un groupe caractérisé », répond à un présupposé politique, évoqué par le président de la République, mettant en avant leurs conditions de travail :
« Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ».
L’intention semble être de définir implicitement un « nouveau prolétariat » (celui des travailleurs exposés mal rémunérés) et pour y parvenir de s’efforcer de l’illustrer en modelant un groupe de métiers répondant à cet objectif. La population a été ainsi isolée pour être caractérisée par des conditions d’emploi précaires, des salaires faibles et des conditions de travail difficiles.
A consulter les chiffres cités, la plupart des écarts apparaissent faibles. Par exemple, 10,5% des salariés de ce groupe ont un contrat à durée déterminée contre 7,5% des salariés du privé, soit un écart de 3 points.
LE CONCEPT DES « MÉTIERS DE LA DEUXIÈME LIGNE » APPARAIT CONTESTABLE.
La liste des « 17 métiers », qui a été retenue par la Dares[2] dans sa démarche, semble discutable.
Deux critères sont annoncés pour lister les « métiers de deuxième ligne » :
- « Le degré d’exposition potentielle au Covid-19 lors de l’activité de travail et
- Le fait d’avoir majoritairement continué à travailler sur site durant le premier confinement (de mars à mai 2020). »
Il apparait que les conditions sont plus ou moins réunies pour les métiers retenus par l’étude. Parmi les métiers non retenus, on compte les techniciens et personnels d’encadrement des activités qui ont été oublié ; est-ce un choix volontaire ? Enfin, la corrélation avec les chiffres du chômage partiel, précisément connus, pendant cette période de mars à mai 2020, ne semble pas avoir été faite[3].
Le diagnostic de cette étude de la Dares peut apparaitre inexact.
Selon celui-ci, 4,6 millions de salariés du secteur privé auraient encouru : « un risque de contamination durant la crise sanitaire en continuant d’apporter à la population les services indispensables à la vie quotidienne. »
La population qui a été retenue représente un quart des salariés du secteur privé. Elle ne s’identifie pas à une liste des « travailleurs-clés » dont l’activité ne peut pas s’arrêter en cas de crise.
Les effectifs concernés auraient été 700 000 dans le secteur public.
Sur le plan des statistiques des effectifs salariés, il est aussi permis de se demander pourquoi la Dares s’en tient à des chiffres de 2017, plutôt qu’à des données publiées par la Dares pour 2019 et 2020.
LES MÉTIERS CITES SE SONT TROUVES DANS DES SITUATIONS TRÈS DIFFÉRENTES.
Certains métiers ne prêtent pas à contestation. C’est le cas du secteur alimentaire, avec des « caissiers, employés de libre-service », des « vendeurs de produits alimentaires » ou des « bouchers, charcutiers, boulangers ». Ils ont poursuivi leurs activités durant le premier confinement pour nous nourrir.
Dans la Construction, la poursuite des activités a été très sérieusement réduite de mars à mai 2020. La pleine reprise n’a pas eu lieu de 2 avril sur les chantiers.
Les chiffres du chômage partiel dans le secteur sur trois mois en attestent, sans compter la forte diminution des CDD et missions d’intérim. Les « ouvriers qualifiés et non qualifiés du gros œuvre du bâtiment (Maçons, couvreurs, charpentiers…) » comme « les ouvriers qualifiés et non qualifiés du second œuvre du bâtiment (plombiers, menuisiers, électriciens…) » ont été en activité limitée.
Dans le secteur de la logistique, il en est un peu de même pour les « ouvriers de la manutention » qu’ils soient qualifiés (dockers, caristes, magasiniers, etc.) ou non qualifiés (manutentionnaires, déménageurs, etc.).
Beaucoup de conducteurs de véhicules ont vu leur travail fortement restreint par la réduction des activités et des déplacements autorisés hors secteur alimentaire (et se sont trouvés en chômage partiel).
Dans le secteur agricole, le travail s’est généralement poursuivi, mais principalement en extérieur et avec des risques moindres. C’est le cas pour les « Agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons » ou celui des « Maraîchers, jardiniers, viticulteurs ».
Dans les services aux entreprises, les « Agents d’entretien » et les « agents de gardiennage et de sécurité » ont vu leurs activités réduites du fait de l’arrêt partiel ou complet des entreprises.
Dans l’industrie, l’étude retient comme seul métier celui des « Ouvriers non qualifiés des industries agro-alimentaires (agent de ligne, ouvriers d’usine agricole…) ».
Il est permis de se demander pourquoi les ouvriers qualifiés ne sont pas concernés et, plus généralement, pourquoi les ouvriers des autres industries qui ont continué à fonctionner ne sont pas pris en compte.
Dans les services à la personne, il en est de même pour les « Aides à domicile et aides ménagère ».
C’EST POURQUOI L’IDENTIFICATION ET LE DÉNOMBREMENT DES SALARIES DE LA « DEUXIÈME LIGNE » APPARAISSENT DISCUTABLES.
Il existe une forte diversité de situations et de conditions au sein des métiers de deuxièmes lignes, c’est pourquoi il semble opportun de traiter les voies d’une meilleure reconnaissance des travailleurs de deuxième ligne de manière adaptée à chaque métier ou secteur.
Un projet de loi[4] devrait reconduire pour tous les travailleurs de « deuxième ligne » la possibilité d’attribution d’une « prime Covid », défiscalisée et exonérée à hauteur de 1 000 € (et 2 000 € si elle s’accompagne d’autres mesures de revalorisation. Les employeurs en décideront ou négocieront l’attribution, selon les situations.
Enfin, le gouvernement a lancé un appel aux branches professionnelle pour qu’elles négocient les modalités d’une revalorisation durable des métiers concernés.
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Enfin, l’autre question qui mérite d’être posé est de savoir pourquoi les professions exposées n’ont pas été considérées comme prioritaires au niveau des mesures sanitaires (masques, tests et vaccins) depuis plus d’un an, par les politiques gouvernementales successive…
[1] Ont été évoqués : les caissières et caissiers, livreurs, éboueurs, agents d’entretien, aides à domicile, agents de sécurité, etc.
[2] Dares Analyses N°23 – Quelles sont les conditions de travail des métiers de la « deuxième ligne » de la crise Covid ? – 18 mai 2021
[3] « Le travail sur site pendant le premier confinement est estimé par secteur sur la base de l’enquête Acemo-Covid de fin mars 2020 : on retient les métiers s’exerçant dans des secteurs où la part des salariés sur site est supérieure à la moyenne du secteur privé non agricole, ainsi que dans le secteur de l’agriculture (hors champ Acemo-Covid) et le secteur de la construction (qui a repris le travail à partir du 2 avril). »
[4] Annonce du Premier ministre lors de la Conférence sociale de mars 2021.
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