UN DIAGNOSTIC DE LA COUR DES COMPTES SUR LES POLITIQUES DE L’ACCÈS A L’EMPLOI DES JEUNES
La Cour des comptes vient de publier un rapport intitulé « L’accès des jeunes à l’emploi : construire des parcours, adapter les aides »[1]. Le diagnostic de la Cour des comptes est la suivante :
« La structure du marché du travail en France pénalise tout particulièrement les jeunes. Leur durée d’accès à un emploi stable s’est allongée ; ils sont plus confrontés à la précarité dans l’emploi et au temps partiel subi ; leur taux de pauvreté est élevé. Depuis plusieurs décennies, de très nombreuses aides, mises en œuvre par des opérateurs multiples, ont été déployées pour corriger cette situation. Ce système d’aides publiques présente un coût élevé (10,5 Md€ en 2015) et croissant, mais les résultats obtenus du point de vue de l’accès à un emploi durable ne sont à la mesure ni des objectifs affichés ni des moyens mobilisés. »
« Les juridictions financières préconisent de concentrer davantage les aides publiques sur les jeunes les plus éloignés de l’emploi et de privilégier les réponses rapides et les dispositifs intensifs. »
Ce rapport critique des politiques publiques en faveur de l’emploi des jeunes sans apporter rien de bien nouveau sur ces questions. Certains constats sont justes, mais ce rapport reprend des erreurs de perspectives liées à une approche principalement financière de la problématique, ignorant en partie au moins les réalités du terrain et des publics.
QUELQUES RÉSERVES GÉNÉRALES
Plusieurs réserves semblent s’imposer face à ce rapport de la Cour des comptes.
Le rapport entretient une confusion entre les politiques de l’éducation, dont le secteur professionnel, et les politiques d’accompagnement à l’accès à l’emploi.
L’apprentissage n’est pas un outil pour l’emploi, mais une formation. L’affectation de la ligne budgétaire « apprentissage » au Ministère en charge de l’emploi peut tromper, mais l’apprentissage est bien une formation menant à des diplômés reconnus qui ouvrent des poursuites d’études. Certains jeunes font des parcours en apprentissage jusqu’à l’obtention d’un master2. Une lecture « sociale » ou « emploi » de l’apprentissage conduit à limiter cette voie à des jeunes sans qualification, ce qui constitue une erreur puisque la demande d’apprentis dans les entreprises s’élève de niveau d’études depuis des années. La part de diplômes post bac obtenus par apprentissage s’accroit.
Le rapport semble ignorer la réalité de la pénurie générale d’emploi en France en 2015 (idem en 2016). La proportion du nombre des personnes en emploi baisse par rapport au nombre global des actifs. Le fort taux de chômage et celui des jeunes en particulier provient principalement du manque d’offres. Cette situation est lié à des choix économiques et fiscaux sur ces dernières années. Nous ne nous trouvons pas devant un simple problème de mise en correspondance entre offres et demandes… mais devant une faiblesse des opportunités.
La diversité des systèmes d’accompagnement apporte un « lien social » indispensable, qui constitue un objectif distinct de l’accès à l’emploi. Les doublons sont très rares ; pratiquement aucun jeune n’est suivi simultanément dans deux structures. Certains dispositifs sont déclinés par plusieurs acteurs sans dommage.
LE COMPORTEMENT DES JEUNES
Le rapport ne prend pas assez en compte le comportement des jeunes en particulier des « décrocheurs ».
Pour de nombreux jeunes, à un moment donné de leur vie, il n’existe pas de volonté de travailler, de se former ou d’être suivis par un conseiller emploi.
Dénoncer l’absence de suivi des jeunes entrés dans des dispositifs d’accompagnement revient à nier les phénomènes d’« évaporation » d’une part significative de ces publics. On ne peut suivre que les jeunes qui acceptent de l’être.
Autre exemple, le « contrat d’avenir » a profité à des jeunes qui, pour la plupart, ne souhaitaient pas bénéficier de formations et qui préféraient, de ce fait, ce contrat aidé à la voie de l’apprentissage.
Les besoins en information et en accompagnement des jeunes, même d’une catégorie donnée, sont très différents : ils sont variables à un moment donné et évoluent dans le temps. Un début d’accompagnement sans résultat peut être suivi d’un accompagnement réussi 6 mois ou un an après.
LA DIMINUTION DE L’IMPACT
La démonstration de la Cour des comptes est implicitement dirigée vers un objectif de diminution des crédits affectés à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes.
Elle appelle à une diminution des acteurs et à un ciblage plus étroit des catégories de jeunes bénéficiaires. Cette démarche rappelle la récente réduction de la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville dont le champ a été réduit et des territoires entiers abandonnés, alors que les problèmes sociaux demeuraient dans la plupart des cas.
Le ciblage des publics met en cause sur le principe l’égalité de traitement et de services offerts aux citoyens. La réduction aux seuls jeunes sans aucune qualification, issus de l’immigration et résidant dans les quartiers prioritaires ne suffit pas à répondre à la réalité sociale de nombreux jeunes. Beaucoup de jeunes en difficulté n’appartiennent pas à ces catégories.
Dans le même ordre d’idée, le fait de continuer à considérer les seuls jeunes de 18/25 ans, plutôt que de 18/29 ans (fourchette de l’Union européenne), conduit à déformer la réalité en camouflant des difficultés d’insertion professionnelle des jeunes ayant suivi des études supérieures, diplômés ou non. Ceux-ci sont noyés dans les statistiques des 25/49 ans. Ils ne bénéficient d’aucune offre d’accompagnement pour primo demandeurs d’emploi.
LA SEULE RECHERCHE DE LA PERFORMANCE
La Cour des comptes insiste sur la recherche de la performance des dispositifs d’aide aux jeunes. Mais le taux d’accès à l’emploi à l’issue d’une prestation d’accompagnement ne saurait être que l’un des critères à prendre en compte. Il faut être conscient que la mise en pratique de ce seul critère conduit sur le terrain à une sélection des jeunes accompagnés comme étant considérés comme les plus proches de l’emploi.
Accompagner des jeunes éloignés de l’emploi, qui acceptent cet accompagnement vers l’emploi, demande du temps et de la modestie quant aux résultats.
La clarification de l’offre de services proposée aux jeunes peut sans doute être améliorée, mais derrière le maquis des dispositifs évoqués par le Rapport, la réalité est la place dominante jouée par le réseau des Missions locales.
L’évolution des outils dépend elle des donneurs d’ordre. Les compétences des acteurs ont été redéfinies par une loi récente. Ces choix imposent la coexistence d’une politique nationale de l’emploi, permettant d’assurer une égalité selon les territoires, et d’acteurs et de mesures politiques locales déjà en liaison étroite avec les bassins d’emploi. Il est encore sans doute possible d’améliorer les articulations entre financeurs, acteurs et dispositifs.
LA RÉORIENTATION DES CRÉDITS
La diminution massive du nombre des contrats aidés à destination du secteur non marchand, principalement des associations, doit être considérée dans le cadre plus général de la politique de l’Etat vis-à-vis du secteur associatif déjà exsangue en raison de la réduction des subventions intervenues ces dernières années (Etat et collectivités locales).
La réorientation des crédits vers l’apprentissage est évidemment une bonne idée, mais elle semble limitée par la faiblesse de la demande de ces contrats de travail. Il faudrait que les conditions économiques changent et que les règles de rémunération des apprentis évoluent pour que l’apprentissage trouve un nouveau souffle, une multiplication des offres de recrutement des apprentis.
La réorientation des crédits vers la « garantie jeune » ou les « écoles de la deuxième chance » se défendent, mais le nombre des bénéficiaires, de ces dispositifs lourds, reste et restera limité.
Centrer les actions et réduire les publics bénéficiaires ramène à un choix politique qui implique parallèlement d’abandonner des centaines de milliers de jeunes sans plus rien leur proposer.
LE SYSTÈME ACTUEL COMPORTE DE BONNES PRATIQUES, MAIS ÉGALEMENT DES FAIBLESSES. L’ÉVOLUTION DES ACTIONS EN FAVEUR DE L’INSERTION DES JEUNES NÉCESSITE DE TENIR COMPTE DES EXPÉRIENCES RÉALISÉES ET DE LA RÉALITÉ ASSEZ COMPLEXE DU TERRAIN.
[1] 05/10/2016 TRAVAIL – EMPLOI COUR DES COMPTES – http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/L-acces-des-jeunes-a-l-emploi-construire-des-parcours-adapter-les-aides
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