LES CHAMBRES DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE DOIVENT CHANGER DE MODÈLE ÉCONOMIQUE.
Les CCI interviennent traditionnellement, entre autres, sur des thématiques « emploi » et « formation ».
CCI France, la tête nationale des chambres de commerce et d’industrie, vient de signer[1] un Contrat d’Objectifs et de Performance (COP) des chambres de commerce et d’industrie (CCI) avec le ministre de l’Économie et des Finances. Celui-ci avait eu l’occasion d’annoncer en juillet 2018, une réduction de 400 millions d’euros des crédits alloués au réseau consulaire dans le contexte « d’une restructuration » visant à recentrer les CCI sur des missions prioritaires d’ici 2022.
Pour 2019, la baisse du financement public est déjà de 100 millions d’euros, elle devrait se poursuivre à ce rythme de moins 100 millions par an. Il avait précisé que cela aurait « un impact sur les personnels ». Le mouvement engagé, depuis 2013, se poursuit[2] [3].
Les coupes financières se conjuguent à une volonté de centralisation de ce réseau. Cette réforme aura évidemment des conséquences[4].
Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) vient juste d’être adopté (11/04/19) précise les dispositions de transformation des CCI avec le renforcement de la tête de réseau, la coordination et la mutualisation de certains services dans les territoires (ces dispositions sont complexes). La fusion de CCI est implicitement visée.
La contractualisation entre l’État et les CCI va reposer sur :
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Un contrat d’objectifs et de performance (COP) qui prévoit les missions prioritaires des CCI financées par la Taxe pour Frais de Chambres (TFC). Ce contrat comporte « des indicateurs d’activité et de performance adaptés aux priorités retenues »,
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Des conventions d’objectifs et de moyens conclues entre les CCI de région, le préfet de région et CCI France.
DES MISSIONS PRIORITAIRES DES CCI CONSERVENT UN FINANCEMENT PUBLIC
Les missions prioritaires sont recentrées[5] sur :
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L’aide à la création d’entreprises,
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L’appui aux entreprises dans leurs mutations digitales, écologiques,
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L’amélioration de la compétitivité des entreprises,
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L’accompagnement à l’exportation des entreprises, en lien avec Business France,
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L’identification des entreprises en transmission dans les territoires[6].
La fonction de représentation des entreprises au niveau local pourrait également être préservée « en tant que corps intermédiaire pour faire remonter à l’État les attentes des entreprises ».
LES AUTRES MISSIONS DES CHAMBRES SERONT FINANCÉES PAR LA VENTE DE PRESTATIONS DANS LE DOMAINE MARCHAND.
Les écoles de commerce des CCI ne relèvent pas des missions prioritaires[7]. Tout comme la formation continue et l’apprentissage.
Les écoles supérieures des CCI[8] vont voir leurs statuts modifiés, et, à terme, elles deviendront des sociétés. Certaines seront sans doute cédées à des groupes nationaux ou internationaux, en fonction des besoins des CCI.
Pour les autres missions actuelles des CCI (comme l’organisation de Conférences, de Congrès, etc.), elles n’auront « plus vocation à être financées par un prélèvement sur les entreprises » (TFC). Elles relèveront de la vente de prestations, dans le cadre de la concurrence avec les autres acteurs du conseil.
La vente de prestations, succédant à un service rendu gratuitement, n’a rien d’évident, même si des exceptions existent sans doute. Les précédents connus n’ont pas donné de bons résultats. Le seul créneau serait de proposer de « nouveaux services », mais est-ce possible pour des Chambres à cheval entre deux statuts.
Des CCI créent des structures ad hoc en transférant du personnel sous contrat de droit privé.
La position du Président de la CCI de Paris Ile-de-France est très claire sur la séparation des activités des chambres. Il accepte le jeu compte tenu du poids de sa structure :
« Nous adoptons donc le comportement de chefs d’entreprise qui avons un client qui s’appelle l’Etat et qui est de moins en moins dans l’attente de services de notre part. Nous avons deux grandes missions : les unes visant à organiser des congrès et des salons sans ressources fiscales, les autres relevant de missions de service public comme l’appui et l’accompagnement des entreprises. [9]»
UNE RÉORGANISATION TERRITORIALE DU RÉSEAU DES CCI EST ENGAGÉE[10].
Le pilotage centralisé est confié à CCI France qui aurait « une autorité renforcée pour le contrôle des missions financées par la taxe ». « Elle devrait avoir une capacité d’affectation de la taxe entre les différentes CCI régionales. »
Le réseau des CCI va se réorganiser avec des ressources budgétaires fortement réduites et comme les possibles financements provenant de la vente de prestations ne sont pas assurés ; il y aura abandon de certaines activités.
Les CCI demandent « une garantie importante de la part du gouvernement si la transformation envisagée conduit à de la casse sociale, à l’aggravation de la fracture territoriale ou à la fermeture d’école de formation alors il faudra se remettre autour de la table […] ». Le ministre de l’Économie et des Finances a juste envisagé des mesures spécifiques pour les CCI des territoires ruraux[11].
UNE PART DES EFFECTIFS DES CCI EST DIRECTEMENT MENACÉE PAR CETTE REFORME.
Les départs et les suppressions de postes s’annoncent nombreux. Un rapport de l’IGF (inspection générale des finances) a évoqué une fourchette de 2 000 à 4 000 emplois.
Autres estimations : « des mesures de rationalisation qui pourraient entraîner une réduction d’effectifs de l’ordre de 2 500 équivalents temps plein » ou des syndicats évoquent 6 000 suppressions de postes (30%).
Ces coupes devraient entraîner des départs de personnel et probablement des plans sociaux. Le financement de ce plan de départs n’est pas assuré. Il a donc été demandé que les personnes qui allaient perdre leur emploi puissent bénéficier d’une indemnisation chômage, la réponse semble être positive.
Cette diminution des moyens humains entrainera une diminution des services apportés aux entreprises par les CCI, voire la disparition possibles des services qui ne trouveront pas de clients.
Des directions, des personnels et leurs organisations[12] sont inquiets. De nombreux mouvements de protestations ont déjà eu lieu.
Il existe évidemment des divergences de points de vue et d’intérêts entre la tête de réseau « CCI France » (bien placée), une CCI régionale, comme celle de Paris-Ile de France, et des « petites » CCI en région.
ILLUSTRATION : UN EXEMPLE DE MESURES PRISES A LYON
Le texte récent qui suit est de la CFE-CGC[13].
J’ai choisi de le reproduire, tout en sachant qu’il a une teneur syndicale, car il présente bien un cas pratique illustrant l’évolution en cours.
« 40% de l’effectif du musée des tissus de Lyon préfère partir avec chèque plutôt que passer dans la nouvelle entité »
« La CCIT de Lyon a décidé de se séparer du musée des tissus pour raisons budgétaires. Un montage a été trouvé où un Groupement d’Intérêt Public contrôlé par la région AURA a repris ce musée.
Les salariés touchés se sont vu proposer une mise à disposition d’un an auprès de ce GIP. Après, ils devront démissionner de la CCI et être repris sous droit privé. 40% des salariés touchés ont refusé la mise à disposition. Ils seront donc licenciés de la CCIR pour suppression de poste. Conséquence, le musée des tissus va devoir fermer faute de personnel ! C’est une première dans les CCI.
Jusqu’à présent, de nombreuses CCI avaient externalisé ou filialisé des activités.
Au lieu de conserver les salariés au statut CCI et les mettre à disposition de la nouvelle structure, méthode douce, elles avaient forcé les salariés à démissionner de la CCI et du statut CCI pour être reprises dans les conditions du privé. Ceux qui ne suivaient pas voyaient leur poste supprimé.
Dans tous les cas, les salariés avaient suivi et n’avaient pas osé désobéir.
Certes, il y a eu quelques rebelles, comme à ESC St Etienne reprise partiellement par EM Lyon en 2014.
3 profs qui demandaient une mise à disposition ont refusé de perdre leurs acquis CCI : ils n’ont pas été repris par EM Lyon et ont été virés de la CCI. Ils ont ensuite gagné les procès y compris en appel.
Au musée des tissus, 40 % des salariés n’ont même pas souhaité prendre la mise à disposition d’un an, et ont préféré être licenciés au tarif CCI tout de suite.
L’ambiance est telle partout dans les CCI que par dépit, 40% des salariés transférés ont préféré partir avec un gros chèque tout de suite, plutôt que se faire virer au privé avec 5 fois moins dans 1 ou 2 ans.
A l’heure où les CCI ne rêvent que d’externaliser leurs salariés ou de les expédier vers des filiales privatisées dont elles garderont le contrôle, leurs présidents devraient bien réfléchir avant de faire chanter ainsi leurs salariés. Pris à leur propre piège, ils devront payer des fortunes en indemnités pour perdre leur capital humain, au lieu de le laisser s’éteindre lentement et sans coût au fil de la rotation du personnel. »
[1] 15 avril 2019
[2] La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Paris Ile-de-France a dû être réorganisée en 2016 avec la suppression de 700 postes, suivie de 300 en 2017.
[3] En novembre 2017, le gouvernement avait réduit le budget des CCI de 150 millions d’euros dès 2018, en abaissant de 17 % la taxe pour frais de chambre (TFC).
[4] Le président de CCI France : « le courage et l’engagement [des collaborateurs] dans une période difficile de profonds changements avec de fortes restrictions budgétaires ».
[5] Les services prioritaires restent financés par une taxe affectée.
[6] D’après le ministre de l’Économie, les CCI pourraient se voir confier de nouvelles missions sur le renforcement du réseau européen des CCI et la protection de nos technologies et de nos PME les plus sensibles.
[7] « Nous sommes déjà dans un modèle de facturation avec la filière des congrès et salons. Les droits d’inscription pour les écoles ne sont pas des modèles de facturation mais cela s’en rapproche ». Le Président de la CCI Paris
[8] La CCI Paris dispose de 19 écoles qui forment 60 000 personnes. La majorité est à l’équilibre. D’autres ont encore besoin de ressources fiscales. Notons la présence de trois « Business Schools » : HEC, Essec et ESCP Europe… qui sont dans bien placées les classements mondiaux.
[9] (…) « Sur le front de l’emploi, nous avons déjà supprimé 1.000 postes dans la maison. Ce qui est vraiment conséquent pour un établissement public. Cela représente plusieurs types d’activités abandonnées. Je pense par exemple à l’Irpi, l’Institut de recherche sur la propriété intellectuelle ou le bureau d’information sur la jeunesse ». Le Président de la CCI Paris
[10] « Je pense qu’il faut restructurer de manière très profonde l’organisation des CCI pour qu’elles retrouvent le prestige et l’efficacité qui ont toujours été les leurs et qui vous feront regagner la confiance totale de nos concitoyens. » – le ministre de l’économie
[11] « Dans des territoires possédant au moins 70% de communes en zone de revitalisation rurale ».
[12] Une intersyndicale réuni la CFDT, le CFTC, la CGC, la CGT, FO et l’UNSA.
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