TRAVAIL DISSIMULE ET RECOURS A DES ENTREPRISES PRATIQUANT LE TRAVAIL DISSIMULE
Une affaire exceptionnelle de travail dissimulé impliquant des centaines d’étrangers sur l’énorme chantier du réacteur nucléaire pressurisé européen (EPR)[1] de Flamanville entre 2008 et 2012 confirme l’importance croissante du recours aux travailleurs détachés non déclarés dans le secteur de la construction. En effet, elle concerne près de 500 salariés étrangers, sur un effectif de l’ordre de 3 000 personnes sur ce chantier pour cette période.
Nationalité | Nombre | Sous-traitant | Nature | |||
Polonais | 167 | Atlanco Limited | Société internationale d’intérim dont le siège serait à Chypre[2] ou à Dublin… | |||
Roumains | 297 | BTP Elco | Entreprise roumaine | |||
Total des effectifs | 464 |
À l’issue du procès de plusieurs sociétés pour l’emploi illicite de salariés sur le chantier du réacteur nucléaire EPR de Flamanville, dans la Manche, au tribunal correctionnel de Cherbourg, le parquet a requis le vendredi 13 mars des amendes, pour travail dissimulé, contre les sous-traitants étrangers :
- 80 000 € contre l’entreprise roumaine de BTP Elco,
- 225 000 € contre Atlanco Limited[3] (peine maximale) ; le parquet a demandé l’interdiction à Atlanco[4] d’exercer en France,
Et des amendes contre les entreprises françaises pour recours à des entreprises pratiquant le travail dissimulé :
- 150 000 € contre Bouygues travaux publics (TP), qui, selon le parquet, a joué un « rôle central »,
- 80 000 € contre la société Quille, filiale de Bouygues construction, et
- 80 000 € contre la société française Welbond armatures.
Plusieurs millions d’euros de cotisations sociales ont été économisés par ces entreprises, selon le parquet[5]. Le total des amendes pourrait être de 615 000 €, soit en moyenne de 1 325 € par salarié non déclaré. Le montant des amendes semble dérisoire et pas entièrement récupérable (en ce qui concerne Atlanco).
DES STRATEGIES COMPLEXES DE FRAUDE
Cette affaire est révélatrice des stratégies complexes mises en place par de grandes entreprises pour disposer de main-d’œuvre européenne à faible coût[6]. Sous-traiter à une société d’un pays indéterminé l’envoi sur un chantier de personnels venant d’un troisième pays de l’Union européenne conduit à une situation complexe.
Cette politique nuit aux demandeurs d’emploi résidant en France, dont le nombre a crû régulièrement dans le secteur de la construction, ces dernières années. Même, si on ne peut évidemment pas lier directement les chiffres de la hausse du chômage dans ce secteur d’activités du BTP et l’emploi de travailleurs détachés déclarés ou non déclarés, force est de constater la progression parallèle des deux phénomènes. Durant l’audience la principale entreprise incriminée a assuré, pour sa défense, qu’elle avait eu recours à ce sous-traitant par manque de main-d’œuvre en France. Cet argument ne peut manquer de choquer.
Le cadre des chantiers de construction, comme celui des travaux agricoles, se prête davantage au recours à des personnels non déclaré de par la forme même du travail : intervention sur des chantiers différents, durée limitée dans le temps, etc., et donc contrôle difficile.
LES PERSPECTIVES ACTUELLES DE LUTTE CONTRE LES FRAUDES AU DÉTACHEMENT DE SALARIÉS EN FRANCE
La Commission nationale de lutte contre le travail illégal du 12 février 2015 a adopté un plan de lutte contre les fraudes au détachement de salariés en France avec le double objectif de renforcer notre arsenal juridique pour mieux sanctionner les fraudes et de mobiliser les corps de contrôle et mieux coordonner leurs actions[7].
Trois mesures importantes devraient ainsi figurer dans le projet de loi Macron en discussion au Parlement :
- l’augmentation des sanctions administratives pour non-respect de la déclaration de détachement pour renforcer son caractère dissuasif.
- la possibilité pour le Préfet de suspendre une prestation de service internationale en cas de manquements graves aux règles de détachement constatées par l’inspection du travail.
- la généralisation d’une carte d’identité professionnelle obligatoire sur tous les chantiers du BTP pour faciliter les contrôles sur le terrain.
L’avenir dira en quels termes précis ces dispositions sont adoptées (vote de la loi et contenu des décrets d’application), si elles produisent un effet dissuasif au mieux à partir de 2016. Le nombre et la qualité des contrôles seront à juger selon leurs résultats. Ces démarches ne concernent pas les travailleurs détachés en situation légale.
[1] La mise en service du réacteur EPR (European Pressurized Reactor)de Flamanville est prévue pour 2017, soit avec un retard de cinq ans et un dépassement budgétaire très important.
[2] Selon le tribunal correctionnel, les cotisations patronales en France sont de 51,7% contre 12,1% à Chypre.
[3] Cette société resterait introuvable et n’a pas été représentée lors du procès.
[4] Atlanco a des antécédents puisqu’en février 2014, elle a été condamnée, à verser 6 mois de salaire, à 59 ouvriers polonais, par le conseil des prud’hommes de Cherbourg.
[5] Selon, l’avocat de la CGT, partie civile, le montant des cotisations sociales, non payées en France entre 2008 et 2011, pourrait être de 3 600 000 €.
[6] Le procureur de la République de Cherbourg a déclaré que « Le recours à Atlanco n’a qu’un objectif, contourner le paiement des cotisations sociales en France », « au mépris des droits des travailleurs » et que son tribunal était « la première juridiction en France à être saisie de ce débat (le détachement des salariés d’un pays à l’autre en Europe) à cette échelle ».
[7] Ce plan de lutte contre le travail illégal mobilise plusieurs administrations de l’État sous le co-pilotage du Préfet et du procureur de la République dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude : inspection du travail, forces de police et de gendarmerie, URSSAF, services fiscaux, douaniers et préfectoraux. La sophistication croissante des pratiques frauduleuses rend nécessaire le renforcement des capacités de contrôle en matière de fraude au détachement par le renforcement des contrôles conjoints entre les différentes administrations, par la professionnalisation des pratiques de contrôles pour lutter contre les montages complexes visant à dissimuler les fraudes en matière de prestation de service international et par une action spécifique de suivi et de contrôle de 500 grands chantiers pendant toute l’année 2015 est lancée.
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