20 présidents de Région[1] avaient publié le 27 octobre 2014 une tribune dans Le Monde ; elle présentait 7 propositions dont la seconde consiste à : « Expérimenter un service public régional de l’accompagnement vers l’emploi. En lien avec ses compétences formation et développement économique, la région peut coordonner l’ensemble des opérateurs, au travers d’une convention d’objectifs et de moyens avec Pôle emploi. ». Les derniers propos de certains d’entre eux vont au-delà de cette tribune.
VERS UN SERVICE PUBLIC RÉGIONAL DE L’EMPLOI ?
Dans le cadre du débat sur le projet de loi relatif à la « Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) », la Commission des lois du Sénat a auditionné l’Association des régions de France (ARF) représentée par le président de l’ARF et de la région Aquitaine, et, le président de la région Île-de-France (séance du 13/11/2014).
Le président de l’ARF a fait part de son souhait de voir se constituer « demain un service public régional de l’orientation, de la formation et de l’emploi ».
Il demande ainsi, de fait, au Gouvernement la décentralisation du service public de l’emploi. Même si ce point ne figure pas dans le projet de loi, des amendements devraient introduire en partie ou en totalité cette revendication.
Il ne s’agit que d’un point dans un débat beaucoup plus large sur la répartition des compétences entre collectivités locales.
Le président de la région Île-de-France exprime une position plus nuancée et insiste sur la question des moyens : « on ne peut pas demander aux régions de prendre en charge des compétences nouvelles – emploi, développement économique, éducation, formation professionnelle, etc. – tout en réduisant leurs ressources, alors qu’elles ne peuvent agir ni sur les assiettes ni sur les taux. »
Ce débat entre transfert de compétences et attribution des moyens, dans le cadre de leur réduction, sera de toute façon une équation difficile à résoudre.
L’opinion du Président de l’ARF[2] sur la situation actuelle est très tranchée puisqu’il affirme :
« Il n’est plus possible de continuer à avoir un service public de l’emploi et de l’orientation aux résultats aussi déplorables… ».
LA FUSION DES STRUCTURES D’ACCOMPAGNEMENT VERS L’EMPLOI AU NIVEAU RÉGIONAL
Des Ministres semblent ouverts aux demandes des présidents de région mais évoquent même d’aller beaucoup plus loin.
Ainsi la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, auditionnée le 4 décembre, indique que : « Les parlementaires présenteront leurs amendements, je proposerai des expérimentations sous la forme de conventions d’objectifs et de moyens et d’un chef de filat. (…).
D’autres pistes peuvent être explorées : la présence des régions au sein des conseils d’administration de Pôle emploi, le transfert aux régions de la tutelle des missions locales et des maisons de l’emploi, la fusion des structures d’accompagnement au niveau régional… ».
Le secrétaire d’État à la réforme territoriale estime qu’il s’agit, « à titre expérimental et dans les régions qui le souhaiteront, d’adjoindre à l’aide aux entreprises, à leur internationalisation et à l’innovation, le service public d’accompagnement vers l’emploi. Ce serait une œuvre décentralisatrice que l’on inscrirait dans la loi. »
Des sénateurs ont déjà réagi à ce propos : « Selon vous, l’emploi est l’affaire des régions. Que deviendront les maisons de l’emploi qui réunissent l’ensemble des partenaires locaux sous forme de convention ? Leur compétence d’ingénierie locale est reconnue. Il existe plusieurs centaines de maisons de l’emploi, qui couvrent des bassins d’emploi cohérents. Ne les oublions pas. L’État doit être cohérent et appliquer la loi Borloo de 2005 » (M. Françis Bonhomme).
L’OPA DES RÉGIONS SUR L’EMPLOI EST ELLE LÉGITIME ?
Les présidents de Région semblent avoir de grandes ambitions même si elles diffèrent selon les personnes.
Une conquête de nouvelles compétences par les régions est engagée.
Cette manœuvre ne semble d’ailleurs pas prendre en compte le nouveau découpage des régions et l’étendue de leurs territoires.
La pertinence d’un service public régional de l’emploi prête à débat pour plusieurs raisons de nature différente.
D’une part, les questions d’emploi, de formation professionnelle et d’orientation ne sont pas de la même nature. Bien entendu, les trois sujets interfèrent (c’est même l’un des objets de ce blog) mais cela ne signifie pas qu’ils se jouent au même niveau territorial.
D’autre part, l’argument qui présente l’emploi comme lié au développement économique des TPE PME, dont les régions ont et auront la charge, parait insuffisant. Les compétences en matière d’orientation ou d’emploi (voire de formation) dépassent largement cet unique aspect.
Enfin, reste la mesure de la capacité des régions à prendre en charge ces sujets au-delà des envies qu’elles en ont. Les Régions ont-elles vraiment fait leur preuve en matière de formation professionnelle ? C’est une question à se poser avant de transférer la compétence en matière d’emploi. L’examen de tel ou tel programme régional dans le domaine de la formation professionnelle, sans même disposer d’un audit complet, me laisse dans l’interrogation.
Les attaques globales et frontales contre le service public de l’emploi comme les propos concernant la fusion de tous les acteurs de l’emploi par région semblent traduire une ignorance profonde du sujet et de l’histoire des acteurs de l’emploi.
Il y a bien entendu des difficultés à traiter et des solutions à trouver, mais, cette question ne repose pas sur le niveau de décisions (état, région, département ou communes) mais sur l’utilisation des moyens. Ceci est donc encore un autre débat.
[1] Les signataires de ce texte sont : Alain Rousset (Aquitaine), Philippe Richert (Alsace), René Souchon(Auvergne), Laurent Beauvais (Basse-Normandie), François Patriat (Bourgogne), Pierrick Massiot(Bretagne), François Bonneau (Centre), Jean-Paul Bachy (Champagne-Ardenne), Marie-Guite Dufay(Franche-Comté), Victorin Lurel (Guadeloupe), Nicolas Mayer-Rossignol (Haute-Normandie), Jean-Paul Huchon (Ile-de-France), Damien Alary (Languedoc-Roussillon), Gérard Vandenbroucke (Limousin),Jean-Pierre Masseret (Lorraine), Martin Malvy (Midi-Pyrénées), Jacques Auxiette (Pays de la Loire), Claude Gewerc (Picardie), Jean-François Macaire (Poitou-Charentes), Jean-Jack Queyranne (Rhône-Alpes).
[2] « Nous devons repenser l’organisation du service public de l’emploi. Les régions ne revendiquent pas de fixer les règles d’indemnisation des chômeurs, c’est la tâche de l’État et des organisations syndicales.
Cependant, qui s’occupe de l’accompagnement des chômeurs ?
Un émiettement d’organismes – Pôle emploi, les missions locales, les maisons de l’emploi… Le chômeur est un nomade qui termine son parcours devant le bureau du maire, pour demander à être embauché.
La corrélation est évidente entre les compétences de développement économique, de formation et d’accompagnement des chômeurs. Il faut réformer le système en plaçant à sa tête un patron légitime, la région. Nous ne voulons pas d’une co-présidence, système bâtard qui ne fonctionnera pas.
Il doit y avoir demain un service public régional de l’orientation, de la formation et de l’emploi. Une orientation choisie, c’est une formation réussie et un emploi trouvé. La formation est l’élément essentiel du développement économique. »
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