Les derniers décrets d’applications de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale sont parus début 2015.
Compte tenu de la transition engagée entre les deux systèmes d’organisation de la formation professionnelle, la situation apparait assez compliquée et les réactions négatives se multiplient vis-à-vis des mesures de la nouvelle loi[1].
Ce texte de loi est loin de clore le débat sur la formation professionnelle et il y a fort à parier ou à espérer qu’il ne soit qu’une étape vers une autre approche.
Sans entrer dans le détail de chacun des points des textes, il semble intéressant de confronter les points de vue généraux qui s’expriment sur la formation professionnelle dans leurs grandes lignes.
LA FORMATION PROFESSIONNELLE VUE PAR LES ENTREPRISES
Pour les responsables d’entreprises ou d’associations (qui s’inscrivent dans une démarche dynamique), la formation professionnelle est l’une des conditions de l’amélioration du travail de leurs salariés, la condition de l’acquisition de nouveaux outils, de l’adoption de nouvelles méthodes, etc. Ils ont intérêt à ce que leurs salariés se forment. Les budgets formations sont d’ailleurs en moyenne bien supérieure aux budgets obligatoires autrefois de 0,9% et désormais 0.5 ou 1% de la masse salariale.
Les responsables envisagent la formation des salariés avec des motivations diverses et croisées : acquisition d’une nouvelle technologie ou pratique (matériel, logiciels, méthodes, etc.), mise à niveau pour des entrants, remise à niveau pour des salariés plus anciens dans l’entreprise, voire récompense pour des salariés méritants.
Le problème des responsables d’entreprise est de choisir les formations adéquates externes ou également internes, puis de juger de leurs effets.
Il leur faut parallèlement de mobiliser les financements en gérant au mieux pour leur propre personnel les obligations de la nouvelle loi sur la formation professionnelle. La gestion par l’État des dispositifs, via les OPCA, est souvent ressentie comme une contrainte inutile et pas mal de temps perdu, faute de réactivité de ces structures. La mise en œuvre de la formation devrait rester d’une application souple.
Une entreprise aura tendance à privilégier le financement de formation pour accroitre sa compétitivité par rapport à des augmentations de salaire. Pour une entreprise, la formation devrait être une anticipation et ne pas être remise à plus tard. C’est cette réactivité qui semble nécessaire. Ce n’est pas une obligation légale, mais une mesure indispensable de management.
Bien entendu de nombreuses entreprises échappent à cette approche optimiste. Et ce pour diverses raisons, liées à la nature des activités, aux dynamismes des responsables, aux perspectives de l’entreprise : carnets de commandes en forte baisse, situations de survie et recherche prioritaire du maintien de l’emploi, etc.
LE REGARD DES SALARIÉS SUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE
Pour les salariés, la demande en formation est très contrastée. Leur demande en formation obéit à leur intérêt personnel, c’est-à-dire dans le cadre de leur fonction dans l’entreprise ou dans celui de leur d’évolution professionnelle sur le marché de l’emploi
Le faible recours au DIF (Droit Individuel à la Formation) a prouvé la faiblesse de la demande. De très nombreuses heures de DIF n’ont jamais été consommées[2]. Beaucoup de salariés conservent leur potentiel plafonné de 120 heures sans jamais avoir fait de demande de formation. On peut légitimement craindre que le nouveau « Compte Personnel de Formation (CPF) », qui prend la suite du DIF, et permet de cumuler un potentiel de 150 heures de formation et de les conserver, ne connaisse le même destin.
La procédure de Valorisation des Acquis de l’Expérience (VAE) a eu des résultats très limités en nombre de bénéficiaires tant en raison de la faible demande que des freins multiples qui existent pour voir déboucher le projet des salariés qui s’y sont engagés.
Au-delà des discours politiques consensuels sur la formation tout au long de la vie, le DIF comme la VAE apparaissent comme des possibilités dont les résultats sont restés faibles, voire marginaux.
Un récent sondage indique que près de deux tiers des salariés n’ont pas de projet de formation et que près de la moitié ne souhaitent pas se former.
Le poids de la formation initiale a écrasé progressivement la formation professionnelle au travers de l’allongement continu de la durée des études. Aujourd’hui, une bonne part des jeunes font 20 ans d’études, de 3 ans à 23 ans. Entrés dans le cadre du travail, beaucoup des salariés appliquent ce qu’ils ont appris et pour une grande part se tiennent au courant des évolutions dans leur secteur ou fonction grâce aux informations ou formations en ligne sur Internet : sites d’informations, MOOC, forum de discussion, etc. sans formation organisée.
La formation comporte des contraintes pour les salariés : elle impose d’affecter du temps de travail (parfois à rattraper dans la pratique) ou du temps sur sa vie personnelle en sacrifiant des périodes de repos et de loisirs. La démarche de formation professionnelle ne mobilise pas les salariés, en particulier les salariés peu qualifiés. Les salariés auront le plus souvent tendance à privilégier une augmentation de leur salaire par rapport au financement de leur formation. Cette position est d’ailleurs défendue par nombre de syndicats d’entreprise lors des négociations annuelles portant sur les salaires et les projets de formation.
Cette réalité doit évoluer, mais il faut pour cela engager une évolution en profondeur au-delà de la formation professionnelle proprement dite.
LA FORMATION PROFESSIONNELLE VUE PAR POLE EMPLOI ET LES RÉGIONS
Pôle Emploi et les conseils régionaux considèrent la formation professionnelle des demandeurs d’emploi comme prioritaire. C’est également le point de vue actuel de l’État qui classe comme publics prioritaires les chômeurs, en particulier de longue durée, et les personnes sans qualification.
La formation professionnelle n’est pas la réponse unique pour les chômeurs.
Les pouvoirs publics utilisent la formation professionnelle des chômeurs avec un double but :
- Former des personnes pour accéder à des postes vacants ou destinés à le devenir,
- Occuper des chômeurs afin de relancer leurs recherches d’emploi, ne pas les abandonner, faire quelque chose pour eux, leur redonner confiance.
Le schéma rêvé du « chômeur formé pour occuper un emploi vacant » est simpliste. L’obtention d’un emploi suite à une formation et l’obtention d’une qualification reste assez rare, même si l’on peut citer quelques bonnes pratiques.
Le chômage de masse actuel n’est pas directement causé par un manque de formation. La formation n’est pas inutile pour les chômeurs. Mais, son apport reste réduit pour combattre le chômage de masse et faire face au recul actuel de l’emploi salarié. Elle n’intervient qu’à la marge.
Le passage en formation professionnelle d’un demandeur d’emploi entraine son passage des catégories A, B ou C, tenus à des recherches d’emploi, à la catégorie D. Le nombre de mesures de formation diminue d’autant le nombre de demandeurs d’emploi dans le baromètre du chômage.
LE POINT DE VUE DES ORGANISMES DE FORMATION PROFESSIONNELLE
La loi n’a pas été faite pour eux et ils doivent s’adapter à la nouvelle donne. Les organismes de formation connaissent avec l’arrivée de la nouvelle loi une instabilité de leur situation due à l’attentisme de la part de leurs clients. Les décisions ont été différées et les commandes seront sans doute différentes et réduites en 2015.
Au-delà des nouvelles caractéristiques imposées par les textes, le long délai entre le vote de la loi et la parution des textes réglementaires (près d’un an) porte une responsabilité dans la rupture de l’activité. Les programmes de formation pour l’année 2015 sont restés en partie en suspens. L’apparition de nouvelles contraintes joue son rôle.
Une partie des organismes de formation se sont engagés dans une réduction d’activité et d’effectifs, voire envisagent une fermeture.
A SUIVRE
Cette approche des points de vue devrait être complétée par d’autres regards comme celui des chômeurs, de l’État, des RH des fonctions publiques, des responsables d’OPAC, de Chambres consulaires, des d’universités cherchant à développer la formation continue, etc.
Donc (à suivre).
[1] « Baisser les cotisations sociales tout en développant la formation des salariés les moins qualifiés était évidemment impossible, la quadrature d’un cercle auquel les travailleurs français sont coutumiers (le DIF procédait déjà de cet art de l’illusion sociale) : des paroles qui n’ont rien à voir avec les faits ou les actes, une sécurisation professionnelle introuvable pour les outsiders, des modèles sociaux et éducatifs largement biaisés. » Didier COZIN – Ingénieur de formation professionnelle – Les Échos – LE 01/03/2015 – http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/auteurs/index.php?id=50141
[2] Document d’études – DARES – n°188 – janvier 2015-188 – Le droit individuel à la formation : les enseignements d’une étude qualitative auprès des acteurs
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