LE MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE A ABANDONNÉ SON PROJET DE LOI SUR LES « NOUVELLES OPPORTUNITÉS ÉCONOMIQUES »
Le Ministère de l’Économie a préparé un projet de loi sur les « Nouvelles Opportunités économiques », dénommé : « #noé » ou « macron2 »[1] qui a été abandonné le 20 janvier 2016.
Un pré projet devait être rendu public en décembre. Puis suite aux réactions sur ce texte, le projet de loi serait présenté en janvier 2016 en Conseil des ministres pour un examen au premier semestre 2016. Le texte devait réunir une série de mesures visant à créer les conditions favorables à un impact positif de la « révolution numérique » au niveau de l’économie et des emplois. Le présupposé des auteurs de la démarche est que la « révolution numérique » présente « un potentiel immense pour la France en termes d’activité et d’emploi« .
LES MUTATIONS TECHNOLOGIQUES EN COURS
Les mutations technologiques évoquées concernent à la fois le numérique[2], les biotechnologies et nanotechnologies, les matériaux avancés et leurs applications[3], l’intelligence artificielle, etc.
Ces mutations technologiques peuvent conduire à l’apparition de nouveaux acteurs qui viennent bousculer les branches professionnelles existantes, transformer les métiers et faire évoluer les structures de l’emploi. L’hypothèse de la démarche est que cette évolution « perçue comme un risque par certains en ce qu’elle vient modifier les équilibres anciens » « peut aussi être une chance pour les consommateurs, les entreprises et l’emploi, pour peu que l’on accompagne ses bouleversements ».
Plusieurs types de transformations sont évoqués : des transformations technologiques, des transformations d’usage[4] (consistant à faire les mêmes choses, mais autrement), des transformations dans la manière même de créer de l’innovation[5] et des transformations du modèle productif lui-même, nécessitant une réorganisation des tâches dans l’entreprise.
La présentation des « nouvelles opportunités économiques » mélange sans réelle raison deux évolutions qui ont des caractéristiques bien différentes :
- d’une part, le développement d’outils et de pratiques numériques d’une part dans des entreprises existantes et d’autre part dans de nouvelles entreprises fondée sur un outil en ligne (par exemple les entreprises de ventes en ligne dont vente-privee.com ou www.criteo.com).
- D’autre part l’émergence d’une économie collaborative qui repose sur une mise à disposition de ses biens qui apporte un complément de revenu (covoiturage avec BlaBlaCar.fr) ou à un prêt d’appartement (www.Airbnb.fr), de véhicule ou de perceuse électrique.
L’ANNONCE D’UN « POTENTIEL IMMENSE POUR LA FRANCE EN TERMES D’ACTIVITÉ ET D’EMPLOI » LAISSE DUBITATIF
Le document[6] prévoit que le développement de l’économie numérique devrait créer des emplois dans deux catégories :
- Des emplois très qualifiés et bien rémunérés,
- Des emplois peu qualifiés, peu rémunérés, induits par les services en ligne dans le domaine des services à la personne[7].
Cette analyse semble hâtive :
- Le niveau des salaires des emplois qualifiés ne se maintiendra pas forcément à un très haut niveau de salaires en période de croisière avec une croissance du nombre des emplois. Une diminution pour une part des postes est sérieusement envisageable.
- Le besoin en emplois intermédiaires (techniciens et techniciens supérieurs) va se développer mécaniquement, par exemple pour l’installation et la maintenance des systèmes informatiques.
- Le développement des emplois peu qualifiés d’exécutions sera limité et substitutif (par exemple, la logistique évoluera du remplissage des rayons vers la livraison à domicile). Les services à la personne dépendent davantage de la solvabilité des bénéficiaires et des règles fiscales. La baisse du plafond des dépenses déductibles a conduit à une baisse des activités du secteur des services à la personne sur ces deux dernières années. Si des services en ligne facilitent le recours au service à la personne en permettant de trouver une personne en ligne plutôt qu’en mettant une annonce dans sa boulangerie, cela ne change pas le modèle économique en sachant que l’emploi ponctuel se trouve toujours à la limite des emplois non déclarés.
« LA FIN DU SALARIAT » RESTE UN MYTHE PRATIQUE POUR EXPLIQUER LE FAIBLE NIVEAU DES EMPLOIS SALARIÉS
Le document avance l’hypothèse que la part croissante du numérique « transforme les structures d’emploi ».
Il reconnait que « Le salariat est encore largement dominant dans notre économie. Toutefois, la part de l’emploi non salarié connaît un regain depuis 2006 ». « Cette tendance est favorisée par l’émergence des plateformes numériques et des nouveaux statuts ». « Elle est aussi liée à l’évolution des aspirations individuelles ».
Ces affirmations appellent de fortes réserves. Le succès du statut de micro entrepreneur repose principalement sur la possibilité de mener des activités parallèles : salariat plus activités indépendantes ponctuelles, voire chômeur, bénéficiaires du RSA ou retraité qui complètent leurs ressources par les revenus d’une activité indépendante. La reconnaissance du bien-fondé du statut d’autoentrepreneur vient contredire les mesures prises par le gouvernement pour réduire ce statut. Mesures qui ont entrainé une perte d’attraction à l’inscription au statut d’autoentrepreneur durant ces derniers mois.
L’idée que « l’entrepreneuriat individuel est un moyen de s’insérer sur le marché de l’emploi et de rebondir » ne se traduit pas réellement sur le terrain. Les créations par les personnes en fin de droit sont peu nombreuses et présentent une faible valeur ajoutée. Pour caricaturer, ce sont fréquemment des « baraques à frites » ou « camion pizzas » avec une pérennité faible…
« De nouvelles formes d’emploi apparaissent également aux frontières de l’emploi indépendant et de l’emploi salarié ». Le recours évoqué au portage salarial, comme au salariat multi employeur est le bienvenu, mais ces dispositifs restent marginaux et leur développement peu probable.
LA MISE EN CAUSE DES QUALIFICATIONS, POUR L’EXERCICE DES EMPLOIS, APPARAIT DANGEREUSE.
Sous le titre : « Adapter les niveaux de qualification », le document appelle à « revoir les exigences de qualification de manière très fine, sur des critères objectifs de sécurité des consommateurs », et « de rendre ces qualifications accessibles (durée et coût) ».
Cette formulation soft met en cause tous les métiers et les fonctions dont l’exercice est lié à une formation initiale ou professionnelle existante.
Cette idée est résumée par la formule : « Il existe des dizaines, voire des centaines d’activités soumises à qualification obligatoire, sans que l’on puisse comprendre pourquoi ».
Il s’agit d’une attaque directe contre le système des qualifications et les compétences construits depuis des décennies de manière consensuelle par tous les acteurs patronaux et syndicaux sans compter l’éducation nationale et les acteurs de la formation professionnelle.
Ce texte révèle une absence de connaissance de la réalité des métiers qui comporte des dangers évidents[8].
Les exemples donnés dans le document du ministère ne sont pas convaincants, car les tâches évoquées dans le domaine de la coiffure ou des garages automobiles sont effectuées aujourd’hui par les apprentis de ces entreprises et ils n’offrent pas d’opportunité de création d’emplois nouveaux.
Le projet de loi présentera sans doute des éléments plus sérieux que les arguments de ce pré rapport diffusé par le Ministère de l’Économie.
[1] Source : document du ministère de l’économie : #noé – Nouvelles opportunités économiques – 09/11/15 – http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/presentation-Noe_0911205.pdf et la Présentation publicitaire du projet : http://www.economie.gouv.fr/doubler-potentiel-croissance-grace-au-numerique
[2] « Internet fixe et mobile, internet des objets, cloud computing, impression 3D, robotique de pointe, outils d’analyse et de gestion des données ».
[3] Par exemple, « le stockage de l’énergie ».
[4] « La transformation numérique a fait apparaître un nouveau type d’innovation : l’innovation d’usage. Ainsi, la technologie employée par Uber ou Facebook n’est pas une innovation de rupture. En revanche, elles ont modifié en profondeur nos manières de nous déplacer et de communiquer ».
[5] « Elle devient ouverte et transsectorielle – c’est par exemple l’addition du big data, des objets connectés et de la génomique qui révolutionne la médecine » ;
[6] Chapitre : « Donner plus d’agilité aux créateurs et aux entrepreneurs ».
[7] « (…) les emplois peu qualifiés et non routiniers, principalement concentrés dans les services à la personne ».
[8] Illustration de ce raisonnement : « Avec l’identité numérique, notre objectif c’est de pouvoir mettre très vite, en toute sécurité, de conclure des contrats, d’ouvrir un compte bancaire, de souscrire des assurances, d’acheter des produits financiers, d’acquérir une maison, de solliciter un avocat, de faire valoir et défendre ses droits en justice entièrement à distance sans devoir se présenter physiquement ». Si les transactions bancaires peuvent se faire en ligne, il parait difficile d’acheter une maison, de prendre un avocat ou de se défendre en justice sans une présence physique. Beaucoup de actions nécessiteront toujours un lien humain et une discussion en face à face. Il faut savoir faire le tri et présenter les limites.
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