Comment réformer le Code du travail ? Pour quel nouveau contenu et avec quelle finalité ? Les entreprises revendiquent, à juste titre, plus de souplesse, et les salariés demandent, tout aussi légitimement, le droit à la sécurité de l’emploi. Or, le projet gouvernemental d’allègement du Code du travail vise à renforcer cet antagonisme, et alors que se pose la question de l’adaptation de notre droit du travail au monde du travail et plus largement à l’évolution du contexte économique et social. C’est, autrement dit, la question de la définition du droit du travail qui est posée et qui devrait constituer la première étape de la réforme attendue.
UN CODE DE L’EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE RÉPONDRAIT DAVANTAGE A L’EVOLUTION DES BESOINS ACTUELS
Le chantier qui débute est vaste et les ambitions gouvernementales audacieuses jusqu’à envisager un mouvement d’inversion de la hiérarchie des normes qui verrait ainsi les sources conventionnelles primer désormais sur les sources étatiques. Le Code du travail actuel serait, dit-on, trop plein, illisible et donc inapplicable, voire préjudiciable à l’emploi. Or, cette responsabilité du Code du travail est relative. Il faut garder à l’esprit que le droit du travail est également constitué des accords nationaux interprofessionnels, des accords de branche, auxquels s’ajoutent les conventions collectives (nationales et parfois territoriales), sur lesquelles se greffent les accords d’entreprise, sans oublier les accords d’établissement et les usages. L’opération de réduction d’une norme légale remplacée par une multitude de nouvelles normes conventionnelles risque de transformer le désir initial de simplification en une désillusion durable. Pour autant, il est bien certain qu’un univers juridique anxiogène tue l’esprit d’entreprise et le travail en général. Dès lors, une première étape pourrait être celle d’une reconfiguration des textes légaux.
Notre droit social entretient une confusion dommageable entre, d’une part, le « travail » qui est relatif aux relations employeur / salarié et les conditions de travail et, d’autre part, « les mesures pour l’emploi » et « les dispositions relatives à la formation professionnelle » qui relèvent de divers autres acteurs et d’une responsabilité collective.
Les problématiques d’emploi, notamment depuis la création de l’assurance chômage, ont pour origine un contexte de crise, en principe temporaire. Seulement voilà, c’est du « temporaire qui dure » (pétrole, guerre du Golfe, subprimes, attente d’une nouvelle révolution industrielle, etc.). La situation n’est probablement pas irréversible, mais sa persistance oblige désormais à adapter notre droit.
Le temps est venu de désenclaver la réglementation de l’emploi et de la formation professionnelle et de la réunir dans un nouveau Code. Accorder son autonomie à cette réglementation permettrait ainsi de suivre un double objectif : reconnaître ses particularités et son évolution (quelle commune mesure entre le plan de formation de l’entreprise et le compte personnel de formation (ex droit individuel à la formation) ?), et clarifier, ou simplifier, une réglementation immergée dans le droit du travail.
Le nouveau code comprendrait des parties du Code du travail actuel consacrées à l’emploi et à la formation professionnelle[1]. Il intégrerait d’autres textes éparpillés dans le code du travail ou ailleurs[2]. Ce code spécifique concernerait bien évidemment aussi l’absence d’emploi. Les textes relatifs à l’accès à l’emploi (ou à la perte d’emploi) dans les fonctions publiques pourraient tout autant figurer dans ce Code.
Aujourd’hui, un seul ministère est en charge du travail, de la formation professionnelle et de l’emploi. Or, sur le plan financier, les programmes de la loi de finances relevant de l’emploi et ceux du travail sont tout à fait distincts.
La Direction Générale du Travail (DGT) et la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DGEFP) sont deux Directions d’administration centrale bien séparées, gérant chacune ses programmes budgétaires. Il existe par exemple un site internet consacré uniquement à l’emploi : www.emploi.gouv.fr, « Le portail des politiques publiques de l’emploi et de la formation professionnelle ».
Citons encore la dualité existante entre Pôle Emploi et l’inspection du travail.
Il est tout à fait possible, sans mobiliser de moyens particuliers, d’ouvrir dès à présent ce chantier. Il permettra aussi d’aérer le Code du travail, un premier pas tout du moins vers une redéfinition du droit du travail.
UNE REFORME DE LA DÉFINITION DU DROIT DU TRAVAIL
Les entreprises doivent pouvoir se consacrer exclusivement à leurs cœurs de métiers. Or, le paternalisme patronal, pourtant tant décrié est encore d’actualité, même s’il recouvre bien évidemment une forme différente de celle de ses origines depuis la révolution industrielle. En résumant, avec bien entendu le risque de caricaturer, le chef d’entreprise demeure encore aujourd’hui responsable de tout. La mise en place de l’assurance complémentaire santé, notamment depuis le 1er janvier 2016, en est encore un exemple emblématique des responsabilités dévolues aux entreprises et de la complexité de leurs obligations (modalités de mise en place, cas de dispense, régime social et fiscal, etc.). L’entrepreneur doit être à la fois assureur, médecin, logeur, banquier (« l’épargne salariale »), institution de retraite de retraite (les obligations récentes sur la pénibilité) et même syndicaliste (cotisation patronale obligatoire à tous les syndicats depuis le 1er janvier 2015).
Assumons sans complexe le fait que cette réglementation avait souvent pour origine un contexte qui expliquait cela. L’entreprise a pu parfaitement être pionnière lorsque diverses institutions manquaient ou étaient simplement insuffisantes. Mais les temps changent, progressivement (attention aux envolées moderno-lyriques sur le thème tout devient ubérisation, dans une économie numérique où nous serons tous autoentrepreneurs…). Le paternalisme choisi est globalement devenu subi. Ce qui était un investissement est devenu une charge (au contraire du coût mutualisé d’une autre nature).
Déjà le droit du travail donne quelques signes d’une évolution par un transfert à des organismes tiers de ses obligations et donc un allègement de la gestion et des coûts. Les majorations du salaire pour charges de famille ont disparu dans la quasi-totalité des conventions collectives. Dans quelques branches professionnelles, l’indemnisation maladie est entièrement prise en charge par un organisme de prévoyance dès le début de l’absence. Dans la loi, la formation individuelle des salariés n’est plus « gérée » par l’entreprise depuis l’instauration du « compte personnel de formation » (CPF) et du « conseil en évolution professionnelle » (CEP).
Autrement dit, la réforme souhaitable du droit du travail n’est pas celle de la réduction ou de la suppression de tel ou tel avantage social, mais, et au-delà du projet actuel de simple transfert de règles légales vers une multitude de règles conventionnelles à l’avenir incertain, de repenser le rôle de l’entreprise et de la libérer de ses charges de service public.
Sur ce principe, il est dès lors possible de déterminer une méthode de réforme du droit du travail. Une grille de relecture du droit du travail devrait ainsi permettre de distinguer ce qui relève de la conduite de l’entreprise et ce qui relève d’autres domaines privés ou publics. Un des critères d’analyse sera notamment celui de l’origine d’un texte, c’est la question du changement du contexte d’origine et donc de la finalité de la réglementation.
Le fait de recentrer le Code du travail sur l’entreprise, et de distinguer ce qui relève par exemple du droit de l’emploi et de de la formation professionnelle peut aussi constituer la première étape d’une réflexion sur une réforme des missions dévolues à des organismes comme Pôle emploi. À titre d’exemple, Pôle emploi avait pour origine le rôle d’un organisme d’assurance en cas de perte involontaire d’emploi. Or, aujourd’hui il est, à certains égards, devenu aussi un organisme de gestion individuelle de l’emploi depuis la création de la rupture conventionnelle.
Sur cette base, viendra ensuite l’étape du contenu des chapitres du droit du travail. Chaque chose en son temps.
[1] Les textes actuellement dans le Code du travail constitueraient les premiers éléments :
Première partie : L’emploi
Livre Ier : Les dispositifs en faveur de l’emploi.
Livre II : Dispositions applicables à certaines catégories de travailleurs.
Livre III : Service public de l’emploi et placement.
Livre IV : Le demandeur d’emploi.
Livre V : Dispositions relatives à l’outremer.
Seconde partie : La formation professionnelle tout au long de la vie
Livre Ier : Principes généraux et organisation institutionnelle de la formation professionnelle.
Livre II : L’apprentissage.
Livre III : La formation professionnelle continue.
Livre IV : Validation des acquis de l’expérience.
[2] La totalité des textes n’est pas codifiée.
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