Il ne se passe de jour sans que l’on annonce la « fin du salariat » et le développement d’une population de travailleurs indépendants. Le concept de la « fin du salariat » rappelle la thèse de la « fin de l’histoire »[1], désormais enterrée.
Faute d’embauches dans les entreprises, de nombreux décideurs politiques et patronaux se tournent vers un objectif quantitatif massif de création d’activités indépendantes. Les annonces abondent ces derniers mois sans rappeler qu’il existe, depuis longtemps, des procédures, des aides, des statuts, des structures d’accompagnement à la création d’activités efficace, des ressources en information de grande qualité (même si la réduction de l’activité imposée à l’APCE[2] ne va pas dans le bon sens). Il n’y rien de bien neuf dans ce domaine d’autre que de la communication politique.
Cette vision converge avec celle de certains utopistes qui rêvent d’une population de travailleurs indépendants (« travailleurs libres ») échappant aux liens hiérarchiques propres au statut de salarié, travaillant quand l’envie leur en prend, restant à leur domicile et combattant l’afflux en CO2 par l’absence de déplacements, etc.
LA PROPORTION ENTRE INDÉPENDANTS ET SALARIÉS VARIE DANS LE TEMPS
Le nombre d’indépendants a diminué au cours des dernières décennies avec une baisse du nombre de commerçants[3], des artisans, agriculteurs, etc.
La proportion entre le nombre de travailleurs indépendants par rapport à celui de salariés peut remonter aujourd’hui pour diverses raisons, mais sans remettre en cause la prédominance du salariat. A ce jour, une éventuelle croissance du nombre de travailleurs indépendants n’est pas réellement confirmée (par exemple, on note la baisse actuelle du nombre d’intervenants dans les services à la personne).
La modification de la proportion entre salariés et indépendants semble a priori devoir être encouragée pour plusieurs raisons :
- Il existe des opportunités d’apparition de nouveaux métiers à pratiquer en indépendant en particulier empruntant au numérique et
- L’absence de création d’emplois salariés va entrainer des personnes à la recherche d’un emploi à devenir des travailleurs indépendants « par défaut », « pour survivre ».
- Le travailleur indépendant revient aujourd’hui structurellement moins cher à une entreprise (ou à un particulier) que le salarié. Il ne paie pas de cotisations sociales au même niveau et ne bénéficie pas des mêmes moyens de défendre ses droits dans le rapport qui le lie à la commande[4].
Le travailleur indépendant ne dispose pas des mêmes avantages sociaux. Pour répondre à ce travers, le rapport entre les deux statuts gagnerait à être équilibré par de nouvelles mesures de politiques publiques mettant à égalité les salariés et les indépendants au niveau de la protection sociale. Ce rapprochement conduirait à que l’écart entre les deux populations soit réduit et que la pertinence de chaque statut soit validée, sans qu’elle tienne essentiellement à une question de cout final. Cette évolution dépend étroitement d’une décision politique en matière de régimes sociaux. De nouvelles règles sont nécessaires pour aller vers un régime social universel. Moyennant cette condition, le choix du recours entre salariés et travailleurs indépendants devient plus juste.
La tentation de l’externalisation de certaines fonctions par les moyennes ou grandes entreprises joue en faveur du développement de sous-traitants qui peuvent être des indépendants comme des petites ou moyennes entreprises.
LE RECOURS À UN INDÉPENDANT PERMET À UNE ENTREPRISE DE S’ABSTRAIRE DES CONTRAINTES DU CONTRAT DE TRAVAIL
Le recours à un indépendant permet à une entreprise de s’abstraire des contraintes du contrat de travail pour la réalisation d’un travail ponctuel, mais aussi régulier[5]. Dans ce dernier cas, le fait de travailler en indépendant pour un seul client, ce qui est fréquent, fait aujourd’hui encore courir le risque de la requalification en contrat de travail de la relation client/fournisseur.
Il existe évidemment un lien entre la montée en charge du télétravail[6] sur certains postes et le passage du statut de salarié à celui de prestataire de la société sous un régime de microentreprise. Les situations sont diverses dans la mesure où la demande par le salarié pour effectuer une partie de ses tâches en télétravail, ou l’imposition de celle-ci par l’employeur au salarié, en font un objet flou.
MAIS L’INTÉRÊT DE L’EMPLOYEUR DEMEURE, LE PLUS SOUVENT, D’AVOIR RECOURS AU SALARIAT.
Pour un employeur ayant une activité régulière, le recours au salariat, et au CDI[7], apparaît comme présentant des avantages : continuité, expérience, connaissance des caractéristiques et mode fonctionnement de l’entreprise, confiance, etc., c’est pourquoi ce modèle concerne 84% des salariés.
La première crainte de la grande majorité des employeurs porte sur l’absence temporaire de salariés (maladie, accident, congé maternité, congé parental, congé sabbatique, etc.) ou la démission de salariés confirmés.
Le remplacement d’un salarié a un coût qui comprend des frais de recrutement, de procédure RH, de gestion de dossier personnel, de formation d’intégration interne et/ou externe, de risque d’erreur dans le choix de recrutement, etc. De plus, le recrutement à une durée généralement plus longue que celle du préavis de départ souvent réduit de gré ou de force et le poste sont vacants sans transmission entre le « partant » et l’arrivant.
Le recours à un prestataire indépendant présente des aléas : la pérennité de son intervention est fragile, sa disponibilité n’est pas assurée pour peu qu’il ait d’autres commandes au moment où l’on a besoin de lui, ses tarifs peuvent facilement varier pour une intervention donnée, etc.
Pour la grande majorité des activités, le recours à des salariés apparait comme préférable et va durer. La fin du salariat n’est pas pour demain, même si le nombre de travailleurs indépendants venait à augmenter dans les prochaines années.
[1] « La Fin de l’histoire et le Dernier Homme » est l’œuvre du politologue américain Francis Fukuyama publié en 1992, qui fit autorité durant un temps…
[3] La diversité et le nombre de petits commerces de tous types ont été réduit au profit de la grande distribution.
[4] Citons l’exemple d’une petite entreprise du bâtiment dont le patron demande d’abord à ses salariés de quitter l’entreprise, puis de se mettre à leur compte, comme autoentrepreneurs, et fait appel à eux en fonction des chantiers. Le prix des travailleurs indépendants intervenant pour le patron est moins élevé que celui de salariés.
[5] Les règles concernant les contrats de travail ne doivent pas changer en fonction du contexte économique et, en particulier de l’évolution du taux de croissance. Leur stabilité sert tant les employeurs que les salariés. Les débats actuels sur leur évolution (contrat unique, contrats spéciaux, etc.) reposent sur une acceptation du contexte actuel comme une donnée durable voire définitive. Alors que la durée des CDI ou de la vie d’une entreprise s’inscrivent dans le temps, sauf accidents. Mais, la proportion des accidents, même s’ils sont évidemment toujours trop nombreux, reste faible.
[6] Le télétravail correspond sans doute à certains types d’activités, et pas à d’autres. Il présente des avantages : moins de bureau dans l’entreprise (Gain de place), des gains de temps sur les transports et une diminution de la production de CO2, etc. Mais aussi des inconvénients comme : perte du travail en équipe, isolement à son domicile, installation matérielle souvent à la charge du salarié, nécessité d’une connexion Internet de qualité, etc.
[7] En dehors de certaines entreprises dans des secteurs particuliers (agriculture, tourisme, etc.), le recours au CDD renouvelés ne présente pas vraiment d’intérêt pour l’employeur. Il traduit davantage une indécision ou le refus de prendre un risque qu’une manœuvre de gestion en RH. Sauf exception, la bonne solution est, sans conteste, l’embauche en CDI avec période d’essai. Force est de constater que les ruptures sont plus nombreuses après la période d’essai que pendant celle-ci. La rupture de contrat éventuelle durant la première année ne présente pas de grandes difficulté ou un coût prohibitif.
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