LA PROLONGATION SYSTÉMATIQUE DES ÉTUDES DES JEUNES DEVRAIT FAIRE L’OBJET D’UN DÉBAT
La prolongation des études des jeunes est un objectif récurrent des décideurs politiques depuis de nombreuses décennies. Dans la pratique, la promotion par le système d’orientation et le système éducatif de la poursuite des études auprès des jeunes pose de nombreuses questions.
Si tous les efforts menés pour éviter la sortie de l’enseignement secondaire sans diplôme apparaissent comme légitimes. D’autres politiques de prolongations d’études peuvent sembler contestables.
Par exemple, dans la filière professionnelle, la généralisation du baccalauréat professionnel s’est accompagnée de la disparition BEP. Elle a conduit à une prolongation des études. Paradoxalement, les bacheliers professionnels s’avèrent plus difficilement employables que les anciens titulaires de BEP et sont amenés à s’engager dans des études supérieures avec de forts taux d’échec.
Autre exemple, la poursuite d’études encouragée par le système éducatif d’entrée dans l’enseignement supérieur d’un nombre croissant de bacheliers professionnels débouche sur un très fort taux d’échec échecs. En effet, seulement 7% d’entre eux seulement parviennent à obtenir une licence dans une université.
Il est logique d’augmenter les effectifs d’une formation donnée, quand cette augmentation correspond à un besoin constaté ou bien à une perspective sérieuse et argumentée.
Mais, il semble que cela soit une erreur de décréter qu’une proportion donnée d’une classe d’âge doit atteindre un certain seuil de formation pour des motifs idéologiques. Des politiques fixent aujourd’hui un objectif politique de 60% d’une classe d’âge validant une Licence ou de 50% obtenant un master2.
Au risque de paraitre cynique, on peut se demander si certains décideurs ne pensent pas qu’une augmentation des effectifs étudiants de 65 000 jeunes[1] correspond à 65 000 demandeurs d’emploi de moins ; ce qui est évidemment bienvenu dans un contexte de chômage de masse.
D’une manière générale, il est exact que les demandes des recruteurs du secteur privé évoluent progressivement vers des profils disposant de niveaux de diplômes supérieurs, encore que cela dépende beaucoup des métiers et des secteurs professionnels.
Par exemple, un recruteur recherchera un(e) secrétaire disposant d’un brevet de technicien supérieur, plutôt qu’un niveau inférieur. Dans l’industrie, les demandes concernant le personnel de production ont évolué vers des profils à bac+2 (BTS) à bac+3 (licences professionnelles).
Mais les métiers qui proposent le plus de recrutement en 2016 (hors emploi saisonnier)[2] restent des emplois peu qualifiés d’agents d’entretien de locaux, d’aides à domicile et aides ménagères, d’aides et apprentis de cuisine, employés polyvalents de la restauration, d’aides-soignants, d’ouvriers non qualifiés de l’emballage et manutentionnaires, etc.
Les recrutements massifs, nécessitant une formation d’enseignement supérieur supérieure, correspondent généralement à des filières courtes qui concernent : « les secrétaires bureautiques et assimilés » (bac+2/3), les « Attachés commerciaux » (bac+2/3), les professionnels de l’animation socioculturelle (bac+2/3).
Le seul recrutement massif nécessitant un diplôme à bac+5 concerne les « Ingénieurs et cadres d’étude, R&D en informatique, chefs de projets informatiques ».
LES ÉVOLUTIONS DU MONDE DU TRAVAIL ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR N’APPARAISSENT PAS EN PHASE.
L’enseignement supérieur a été réorganisé depuis des années sur le modèle européen comprenant trois niveaux : Licence, Master et Doctorat (LMD).
- Dans le secteur privé, dans la pratique les diplômes demandés restent fréquemment des BTS ou DUT (bac+2)[3] ou, encore parfois, la maîtrise, c’est-à-dire un Master1. Pour les recrutements à bac+5, c’est-à-dire à Master2, formation et recrutement correspondent assez bien. La plupart des conventions collectives nationales (CCN) ne prennent pas en compte la « Licence ».
- Pour leurs recrutements, beaucoup de concours de la fonction publique nécessitent toujours une maîtrise, c’est-à-dire un Master1 (bac4).
L’ACCÈS À LA POURSUITE DES ÉTUDES DONNE LIEU À DE NOMBREUX ÉCHECS
L’éducation nationale et l’enseignement supérieur souffrent de manière structurelle des choix politiques qui règlent leur fonctionnement.
L’injonction d’une absence de redoublement, une orientation conditionnée par les capacités d’accueil des lycées (tant de places disponibles dans telle section), un nombre de bacheliers imposés au niveau politique (avec l’objectif de 80% d’une classe d’âge), etc. conduisent à faire poursuivre des formations à de jeunes qui ne sont pas à leur place dans les formations où ils se trouvent. Cet état de fait conduit à des échecs scolaires ou universitaires.
Ces mécanismes conduisent à une part de prolongation d’études peu pertinentes.
Ces poursuites d’études produisent,
- dans un premier temps, une satisfaction sociale, de la part des jeunes et de leurs familles,
- dans un second temps, des échecs massifs au lycée (bac de toutes mention non obtenu) et en cycle de licence, avec plus de 100 000 décrocheurs universitaires ne validant aucun diplôme du supérieur et se trouvant en difficulté pour accéder à un premier emploi.
Le choix politique de la sélection par l’échec, dans l’enseignement secondaire ou supérieur, constitue une grave erreur dont beaucoup de jeunes sont victimes.
Ce choix, de libre ouverture de nombreux cursus aux jeunes, conduit beaucoup d’entre eux à entrer sur le marché du travail dans des situations difficiles. Pour les plus avancés dans leur cursus, ils ont de fortes perspectives d’un déclassement entre niveau d’études et emploi, ce qui conduit naturellement à une profonde insatisfaction.
[1] Les effectifs étudiants augmentent du faîte du nombre croissant de bacheliers. Au début des années 2010, l’augmentation des effectifs était de l’ordre de 10 000 nouveaux étudiants par an. En 2013 et 2014, la hausse a été d’environ 30 000 étudiants par an. À la rentrée universitaire 2015, les effectifs universitaires ont augmenté de 65 000 étudiants.
[2] Enquête annuelle « Besoins en Main-d’Œuvre » 2016 de Pôle Emploi.
[3] Voire la « Licence professionnelle » selon sa mention, dans certains secteurs et métiers précis.
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