Les études sur la prévision de l’impact du progrès de l’intelligence artificielle sur l’organisation du travail et donc sur l’emploi, se succèdent avec des prévisions (ou prédictions) fort variables allant de la « disparition du travail » jusqu’à une réorganisation en profondeur, dans des délais de plus ou moins rapide, du monde du travail et de l’économie.
Certaines réalités sont à peu près connues, comme l’installation d’un robot sur un poste de production à la place de 4 postes de travail, tandis que d’autres évolutions ne peuvent pas l’être précisément. Des évolutions commencent à apparaitre. Citons par exemple la baisse des effectifs du secteur banque/assurance, liée à la gestion en ligne, à la diminution des réseaux d’agences et à la diversification des acteurs sur ce secteur.
Il est difficile de contourner cette question dans la mesure où l’évolution de nombreux métiers, fonctions, et secteurs semble désormais acquise. Son importance n’est pas contestable, son calendrier est difficile à déterminer d’autant que l’évolution des techniques elles-mêmes reste peu prévisible.
IL SEMBLE DIFFICILE DE PRÉVOIR LES ÉVOLUTIONS QUI VONT SE PRODUIRE EN MATIÈRE D’EMPLOIS : LE DOUTE EST DE MISE.
Le cadre des changements à venir semble reposer sur la collecte et la maitrise des données (concernant toute la vie des personnes, des entités organisées, des constructions, des plantes, du temps, etc.), le traitement de ces données par des programmes (algorithmes), la transmission des informations (réseau 5G ou davantage), le mode de mise en œuvre de processus de décisions, etc.
Vient s’ajouter à ce panorama, sans doute trop rapide, la question du contrôle social et politique de cette évolution. Il s’agit en effet :
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D’assurer la sécurité face à des menaces sur des systèmes, dont la fragilité semble assez générale au stade auquel nous nous trouvons : pannes, sabotages, détournements, vols, etc.
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D’influer autant que possible la localisation mondiale des activités, mobilisant des outils de l’intelligence artificielle, car le risque de transfert d’activités (et d’emplois) est majeur,
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D’assurer une éthique en protégeant les personnes (leurs données, c’est-à-dire leurs intérêts par rapport à ceux des organisations privées ou étatiques) de processus qui risquent de devenir de plus en plus opaques, etc.
La réaction des citoyens, des décideurs politiques et sociaux ne fait que commencer à émerger. La société réclame aujourd’hui davantage de règles[1] et de contrôles publics face au développement naturel de nouvelles technologies.
En particulier, la nature des sociétés de la « nouvelle économie » (GAFAM et autres) qui mélangent présupposés idéologiques libertariens[2] et production de super profits appelle un encadrement politique. C’est-à-dire un contrôle qui nécessitera la création d’emplois et les budgets correspondants. De même, le développement de plateformes d’échanges ou de services incontrôlés (non imposés ou presque) n’est probablement qu’une étape dans le développement actuel de nouvelles technologies qui devrait se conclure par l’atteinte d’un nouvel équilibre économique dans lequel le marché du travail devra trouver sa place[3].
L’apparition de nouvelles formes de production, liées à des technologies et à des concepts, se produit dans un univers, à l’origine libre de règles, qui appelle un encadrement au travers de mesures politiques. En autre aspect, la question des emplois doit être l’un des facteurs à prendre en compte.
MAIS IL EST POSSIBLE DE CERNER DES TENDANCES.
L’OCDE ÉVALUE À PRÈS DE 50% LE NOMBRE DES EMPLOIS QUI SERAIENT TOUCHÉS PAR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Une récente étude de l’OCDE[4] présente une évaluation du nombre d’emplois touchés ou menacés par l’automatisation dans la zone OCDE.
Dans les 32 pays étudiés, près de la moitié des emplois risque d’être sensiblement affecté par l’automatisation compte tenu des tâches qu’il comporte.
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14% des emplois seraient « fortement automatisables» (c’est-à-dire caractérisés par une probabilité d’automatisation supérieure à 70 %). Ces derniers emplois sont menacés, mais il faut prendre ce chiffre comme un ordre de grandeur, car le risque varie. Ce pourcentage, appliqué à la France, correspondrait tout de même à 3 à 4 millions d’emplois menacés…
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32 % des emplois sont exposés à un risque d’automatisation compris entre 50 et 70 % :
« ce qui signifie que la manière dont ils sont exercés pourrait se transformer sensiblement sous l’effet de l’automatisation – en d’autres termes, bien que toutes les tâches qu’ils comportent ne soient pas concernées, une forte proportion pourrait être automatisée, si bien qu’ils exigeront des compétences différentes ».
Le risque d’automatisation dépend naturellement des secteurs.
« L’automatisation touche principalement des emplois des secteurs manufacturier et agricole, même si certaines activités de service, comme les activités de poste et de courrier, de transport terrestre et les services de restauration sont également très facilement automatisables. »
Il dépend également du niveau de qualification des personnes.
Les professions les plus exposées au risque d’automatisation sont celles qui exigent un faible niveau de formation[5]. Les professions qui se prêtent le moins à une automatisation « requièrent une formation professionnelle et/ou un diplôme de l’enseignement supérieur ».
« L’intelligence artificielle menace sans doute davantage les emplois non qualifiés que les précédentes vagues de progrès technologique, qui s’étaient essentiellement traduites par une substitution de la technologie aux emplois moyennement qualifiés et avaient entraîné une polarisation du marché du travail. »
L’étude se conclut sur les besoins en formation professionnelle à mettre en œuvre d’une manière préventive ou curative à destination des salariés en poste et des chômeurs.
Elle appelle également une transformation rapide de la formation initiale chez les jeunes pour permettre leur entrée sur le marché du travail.
Cette problématique se pose évidemment de manière très différente selon les pays.
[1] Les règles à mettre en place devraient conduire à des régulations, mais sans doute aussi des interdictions de telle ou telle pratique. C’est l’objet, par exemple, du développement de règles relatives à la gestion des données : RGPD.
[2] Par exemple, Facebook a vu sa logique initiale de libre conversation entre les personnes entachée de dérives négatives et unanimement rejetées (trafic humain, harcèlement, incitation à la haine, etc.) dont le devenir est aujourd’hui en question. La collecte d’informations personnelles et leur exploitation fait l’objet de débats. Le fait que cette société dispose du budget de la taille d’un État, et des moyens financiers d’agir sur les gouvernements, pose encore un autre problème.
[3] Cette régulation aura lieu dans un pays d’abord, puis essaimera dans d’autres. Reste juste à savoir qui va commencer à réguler le développement de ces marchés. L’audition du patron de Facebook devant le Congrès des états unis est révélateur.
[4] Source : OCDE – “working paper on jobs most at risk of automation” – mars 2018
Les travaux réalisés par des chercheurs pour l’OCDE portent sur une zone géographique comprenant 32 pays qui participent à l’Évaluation des compétences des adultes. Les chiffres cités concernent l’ensemble des pays étudiés.
[5] La thèse existante selon laquelle l’automatisation pourrait avoir des conséquences négatives sur certaines professions très qualifiées est globalement contredite par cette étude.
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