LA COMMUNICATION POLITIQUE SUR L’EMPLOI SEMBLE DEVOIR REMPLACER L’ACTION
Depuis plusieurs mois déjà, le langage de Muriel Pénicaud (ou celui de son collaborateur) semble destiné à transformer la réalité en usant de mots nouveaux et de formules de langage destinés à être repris par les médias pour valoriser une politique minimaliste.
Cette stratégie est commune à la Présidence, au Premier ministre et à quelques autres ministres, mais c’est la ministre du Travail qui excelle le mieux dans cette stratégie du langage[1].
Cette pratique n’est pas nouvelle et on a vu d’autres responsables politiques jouer sur le langage pour faire du neuf avec du vieux, pour faire rêver, pour se faire valoir comme des experts qui en savent bien plus que nous, etc.
La ministre du Travail est une femme intelligente, qui connait très bien son sujet. C’est aussi pour cette raison que son discours peut étonner. Car elle reconnait bien honnêtement que :
« (…) il n’y a pas 3 millions d’emplois disponibles immédiatement, pour tout le monde. »
SA POLITIQUE SE CARACTÉRISE PAR LA RÉDUCTION DES MOYENS DE LA POLITIQUE DE L’EMPLOI
Sa politique se caractérise par la réduction des moyens de la politique de l’emploi (disparition de 2/3 des emplois aidés, des aides à l’embauche dans les PME, etc.). La diminution rapide du budget de son ministère va se poursuivre au travers du projet de loi de finances 2019.
Derrière ces choix, l’idée implicite est que le marché du travail doit vivre avec une intervention réduite de la part de l’État, en dehors de quelques expérimentations à faible coût pour la communication politique. C’est le cas, par exemple, de la petite expérimentation des « emplois francs »[2].
L’emploi n’apparait pas comme un objectif politique. Aucune lecture de l’impact sur l’« emploi » des projets de loi n’a lieu. Depuis un an, la situation de l’emploi n’a pas connu une amélioration significative. Le nombre des inscrits à Pôle emploi n’a pas diminué. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas affiché un objectif emploi chiffré …
EN L’ABSENCE D’UNE POLITIQUE, LE DISCOURS EST DESTINÉ À OCCUPER L’OPINION
Alors reste le discours pour nourrir les médias et assurer vis-à-vis de l’opinion un effet d’activité sur l’une des questions les plus importantes pour les gens d’après nombre de sondage.
Sans faire une thèse sur les nombreux discours de la ministre du Travail (et ils le mériteraient probablement), je souhaite citer ici des formules figurant dans un entretien du 4 juin 2018, accordé au quotidien La Croix[3].
L’ÉMANCIPATION PAR LE TRAVAIL
La ministre déclare :
« L’émancipation par le travail est notre projet de société. »
Cette formule peut paraitre assez proche de la formule allemande « Arbeit macht frei » ou « le travail rend libre » qui a été reprise par les nazis dans les années 1930[4] (même si elle existait préalablement). Il ne s’agit en aucun cas de prétendre que la ministre est nazie, mais seulement de dire que son affirmation apparaitre pour le moins malheureuse, et démontre une certaine absence de culture du rédacteur.
Par ailleurs, à quoi sert cette proposition sinon à faire du vent, quel est son apport ?
DES JEUNES PEU AIDÉS
Les propos tenus sur l’insertion professionnelle des jeunes laissent pantois les professionnels de l’emploi, car la ministre prétend que l’on va enfin faire quelque chose en paraissant ignorer les actions des missions locales, de Pôle emploi et de diverses structures dédiées. Ces propos sont choquants, d’autant que les nouvelles initiatives proposées apparaissent bien marginales. On lit ainsi des affirmations surprenantes par exemple :
« Apprendre à se lever tôt le matin, (…) cela ne va pas de soi pour des jeunes qui n’ont jamais travaillé… »
Ce mépris de la jeunesse pris dans son ensemble ne répond pas à la réalité d’une jeunesse qui étudie, travaille, s’engage, etc. S’il est vrai qu’il faut mener un travail sur certains comportements, cela ne concerne qu’une frange de jeunes en rupture sociale (décrocheurs scolaires et universitaires) et non pas « la jeunesse » !
Sur ce point, le fait de confier à Pôle emploi la mise en œuvre d’un projet de « 100 000 formations sur les savoir-être professionnels » contourne les missions locales qui traitent une part majeure du public ciblé.
L’ABSENCE D’ACCOMPAGNEMENT DES CHÔMEURS
En déclarant :
« Ma conviction, appuyée sur quarante ans d’expérience, c’est que nul n’est inemployable, sous réserve d’être aidé. »,
la ministre signifie clairement que le travail d’accompagnement des chômeurs confié à Pôle emploi, à ses cotraitants ou à ses sous-traitants n’est pas satisfaisant ou du moins suffisant.
Quelques moyens vont être accordés à des projets au travers d’un appel à projets, pour occuper les médias et l’opinion[5].
Le récent lancement d’une inspection à Pôle emploi va également en le sens de la défiance, de même que l’annonce de réduction des effectifs avant même les conclusions de la mission d’inspection.
CARICATURE MALHEUREUSE
D’autres propos de la ministre du Travail sont bien loin de la réalité par exemple :
« Pendant la crise, les entreprises embauchaient – et je caricature à peine – des hommes, âgés de 25 à 40 ans, qui n’habitaient pas dans des quartiers prioritaires de la ville, étaient très qualifiés et rarement handicapés ! ».
Cette affirmation est à la fois inexacte[6] et très idéologique. Elle rappelle à sa manière la déclaration d’Emmanuel Macron sur les « deux mâles blancs« [7].
INCLUSION
Enfin, quand la ministre affirme que le but du plan « 100 % inclusion » est de
« promouvoir le meilleur de l’innovation en matière d’inclusion des personnes les plus vulnérables »,
il faut comprendre que les personnes concernées doivent être embauchées et de préférence de manière durable.
L’abus du terme « inclusion » apparait comme un sommet du discours politique gouvernemental.
LA LANGUE DE BOIS NE REMPLACE PAS UNE POLITIQUE DE L’EMPLOI
Pour conclure, citons comme exemple de la langue de bois la formule suivante de la ministre :
« Nous voulons mettre en place une politique sociale active, innovante et la déployer à grande échelle »[8].
Qui peut être contre ? Personne. Qui peut à quoi cela correspond concrètement ? Personne. Le tour est joué. Seuls de vrais résultats sur le front du chômage manquent.
[1] les exemples abondent. Pourquoi parler de « Pognon de dingue » pour désigner l’assistanat ? Que veut dire « émanciper » plutôt que « libéraliser » ? Pourquoi parler de « transformation » quand on tente de faire de petites réformes d’ajustement ?
[2] Le choix de l’appellation « emplois francs » pourrait faire également l’objet de commentaires, car ces emplois ne bénéficieront pas d’une franchise et ne seront pas francs, ils auront juste une prime forfaitaire, tout au plus.
[3] La Croix du 4 juin 2018 – Propos Recueilli par Emmanuelle Réju
[4] La formule « le travail rend libre » figurait à l’entrée des camps de concentration et des camps d’extermination, notamment Auschwitz, Dachau, Gross-Rosen, Sachsenhausen, etc.
[5] Il s’agit de mettre en scène de nouveaux acteurs :
« Nous avons la chance d’avoir en France de nombreuses associations, entreprises et organismes de formation, qui travaillent depuis longtemps auprès des personnes les plus éloignées de l’emploi, rejointes récemment par des start-up. L’innovation sociale existe en France grâce à des pionniers qui se démènent sur le terrain. Nous allons les aider à amplifier leurs actions. » Mais : « Le nombre de bénéficiaires de ce programme spécifique n’est pas chiffré a priori ».
[6] Il suffit de se reporter aux chiffres DARES par catégorie, tranches d’âge et genre.
[7] Lire la TRIBUNE. « Deux mâles blancs » : tout ce que Macron fait entendre avec ces trois mots » – Denis Bertrand, sémioticien et professeur à l’université Paris-8, analyse cette expression prononcée par Emmanuel Macron en début de semaine lors de son discours sur les banlieues. Nouvel Obs – 26 mai 2018 – https://bit.ly/2lreXMG
[8] Une phrase reprend toutes ces notions :
« La solidarité et l’émancipation vont de pair. Toute l’histoire du mouvement social de l’insertion le montre : c’est par le travail que l’on reprend confiance en soi. Il est la clé de l’inclusion, non seulement parce qu’il permet de gagner sa vie de manière autonome mais aussi parce qu’il produit du lien social et qu’il est source d’estime de soi, de fierté individuelle et collective. »
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