LA PREMIÈRE REQUALIFICATION EN CONTRAT DE TRAVAIL DU LIEN ENTRE UBER ET UN CHAUFFEUR « INDÉPENDANT » VA CONTRIBUER À MODIFIER LA SITUATION.
Une première : la cour d’appel de Paris a jugé, le 10 janvier 2019, que la relation de travail entre un chauffeur VTC et Uber constituait un contrat de travail. Un conducteur VTC avait saisi la justice en juin 2017, après que la plate-forme eut « désactivé son compte » le « privant de la possibilité de recevoir de nouvelles demandes de réservation ».
La Cour d’appel estime que le contrat « ayant lié » un ancien chauffeur à « la société de droit néerlandais Uber BV est un contrat de travail ». Elle mentionne « un faisceau suffisant d’indices » qui caractérise « le lien de subordination » liant le chauffeur à la plate-forme. L’argumentation de la Cour est complète et bien étayée. Elle renvoie donc le dossier aux prud’hommes[1].
Uber veut utiliser tous les moyens judiciaires et a ainsi annoncé qu’il allait se pourvoir en cassation. Uber continue à défendre le principe selon lequel ses chauffeurs sont des autoentrepreneurs et refuse toujours de les embaucher au statut de salarié.
Plusieurs autres actions ont été engagées en France contre UBER et que le risque de rupture pour la plateforme apparait croissant.
Dans plusieurs pays européens (Belgique, Espagne, etc.), des actions sont également engagées contre les plateformes. Le sujet apparait général.
LA COUR DE CASSATION A CONFIRMÉ LE LIEN DE SUBORDINATION ENTRE PLATEFORME ET TRAVAILLEURS
Dans son arrêt du 28 novembre 2018, la Cour de cassation a établi pour la première fois, un lien de subordination entre une société de livraison de repas[2] et l’un de ses coursiers à vélo. Elle précise :
« Le lien de subordination entre la plate-forme et le livreur est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné », au moyen d’un système de géolocalisation et d’un régime de sanctions.
Par cette formule, la Cour de cassation vise de fait toutes les plates-formes, puisqu’elles fonctionnent toutes selon le même type de procédure.
UNE MODIFICATION CONTRACTUELLE ENTRE PLATEFORME NUMÉRIQUE ET « INDÉPENDANTS » SEMBLE SE PROFILER.
Cette décision a toute chance de multiplier les contentieux entre UBER et ses chauffeurs « indépendants » et, éventuellement à terme, de conduire à une évolution contractuelle.
Elle peut concerner également d’autres plates-formes numériques de services qui sont potentiellement impactés par ces jurisprudences. Leur modèle économique pourrait être remis en cause, sachant qu’elles emploient aujourd’hui de l’ordre de 200 000 travailleurs « indépendants », à des conditions diverses.
Selon la CFDT Transport, en ce qui concerne UBER,
« la grande majorité des chauffeurs ne souhaitent pas la requalification comme salariés, mais veulent obtenir un tarif minimum de course pour vivre de leur activité. » (…)
« Si Uber ne veut pas se retrouver face à une action collective et se voir finalement condamné à être une entreprise à la tête de plus de 30 000 salariés sur le territoire, elle doit, dès maintenant, ouvrir les portes des négociations. »
Le statut d’auto entrepreneur n’a pas été conçu pour permettre une possibilité de substitution au salariat pour le compte de plateforme numérique. On a assisté à un détournement de cette bonne idée au bénéfice de grands groupes numériques.
La position de la CFDT semble tout à fait discutable, car elle prône le maintien d’un modèle économique, qui est jugé illégal, en échange d’une augmentation des tarifs. La jurisprudence en cours d’évolution va peser.
Le fait de voir des organisations syndicales de salariés (CFDT-VTC et FO Capa-VTC[3]) prendre en main l’organisation de la défense des chauffeurs met en évidence la réalité. Un chauffeur travaillant avec l’application Uber apparait comme un salarié classique. Il devrait avoir droit à un salaire, des congés payés, une couverture sociale et le paiement d’heures supplémentaires.
LE LÉGISLATEUR DEVRAIT SE RÉSOUDRE À TRAITER LA QUESTION DE LA REQUALIFICATION SANS PLUS ATTENDRE…
Le gouvernement, dans son projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), a envisagé de « sécuriser » la relation entre plates-formes et travailleurs. Il s’agirait en gros d’éviter les requalifications en contrat de travail pour toute entreprise qui signerait une charte apportant des droits sociaux supplémentaires aux travailleurs indépendants.
Cette disposition semble désormais bien dépassée compte tenu de la récente décision de la Cour de cassation. Il semblerait absurde que la nouvelle loi ne tienne pas compte de la jurisprudence.
Le gouvernement gagnerait à reconnaitre la requalification en contrats de travail des conventions existant entre les plateformes et leurs travailleurs ; plutôt que de voir le texte de loi dépassé par la jurisprudence avant même son adoption …
L’adoption de la loi a été reportée après le « grand débat » ; cela laisse un peu de temps pour la réflexion…
[1] Débouté en premier instance en juin 2018 par le tribunal des prud’hommes de Paris, qui s’était déclaré incompétents en juin 2018 au profit du tribunal de commerce de Paris.
[2] La société de livraison de repas concernée, Take Eat Easy, a disparu depuis.
[3] La Confédération Force Ouvrière et la Fédération FO Transports ont créé un Syndicat FO – CAPA VTC au printemps 2017.
« Fort de l’apport de membres de l’Association des chauffeurs, capacitaires et VTC (CAPA VTC), de la Fédération des exploitants VTC ainsi que de travailleurs de plateformes de transport de personnes, Force Ouvrière se mobilise pour revendiquer une reconnaissance pleine et entière des droits collectifs dont ces travailleurs sont actuellement privés. FO refuse d’entériner cette zone grise où règne la précarité pour des travailleurs économiquement dépendants mais soi-disant indépendants qui se retrouvent à devoir travailler deux fois la durée légale du travail pour gagner le Smic. Pour FO, il ne saurait être question d’instaurer un « statut de la zone grise ». Il convient de laisser ces travailleurs être de véritables indépendants, libres de décider des conditions dans lesquelles ils exercent leur travail et sans le lien de subordination imposé par les plateformes, ou bien de les requalifier en salariés avec les obligations inhérentes à la plateforme qui les emploie (cotisations, Smic, prise en charge de la TVA, etc.). Il est de la responsabilité de l’État de faire respecter la loi et les droits collectifs, de contrôler et de remédier à cette zone de non-droits. »
Pas de commentaire sur “Les relations entre les plateformes et leurs travailleurs semblent condamnées à évoluer.”