LE RAPPORT ANNUEL DE LA COUR DES COMPTES CONSTATE LA PERMANENCE DES PROBLÈMES LIÉS AU TRAVAIL DÉTACHÉ EN FRANCE[1].
Le titre du Rapport résume bien la situation : « Une politique de lutte contre la fraude déployée tardivement par la France, avec des résultats contrastés ».
La France est deuxième pays d’accueil de travailleurs détachés (après l’Allemagne) et a accueilli en 2017 : 516 000 salariés détachés issus des pays de l’Union européenne, soit une hausse de +46 % par rapport à 2016. Les chiffres de 2018 sont attendus.
Ce chiffre est celui officiellement connu, il ne comprend pas le nombre des emplois de travailleurs détachés, intervenant souvent ponctuellement, non déclaré et donc non comptabilisé.
Selon un rapport sénatorial de 2013, la fraude aurait concerné entre 220 000 et 300 000 travailleurs détachés illégalement en France.
La question de la présence de ces salariés revêt une réelle importance.
DES LOIS ONT ÉTÉ ADOPTÉES EN FRANCE POUR ENCADRER LE TRAVAIL DÉTACHÉ
Trois lois ont été adoptées en 2014, 2015 et 2016[2] pour disposer de moyens juridiques pour lutter contre la fraude au travail détaché. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 oblige les salariés détachés à produire un formulaire attestant de leur affiliation à la sécurité sociale de leur pays d’origine[3].
Le travail détaché, dans sa version initiale de 1996, a introduit une concurrence déloyale entre les salariés et leurs employeurs. C’est pourquoi elle a été révisée.
La révision de la directive européenne de 1996, sur le détachement de travailleurs, adopté le 28 juin 2018, n’a pas encore porté ses fruits.
Elle prévoit « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail ». Mais elle n’entrera en vigueur qu’en 2022… De plus, le transport routier ne rentre pas dans le champ de la Directive.
Et pour terminer, la loi du 5 septembre 2018 a doublé le plafond de l’amende encourue pour défaut de déclaration préalable.
LA COUR DES COMPTES TRAITE DES FRAUDES
La position de la Cour des comptes ne remet aucunement en cause le système du travail détaché, mais s’attache seulement les fraudes par rapport aux règles fixées par la loi et de l’insuffisance de leur traitement.
« Ce n’est pas le statut en lui-même de travailleur détaché qui pose problème, d’autant qu’il sera encore mieux encadré en 2020, mais la fraude au travail détaché, sous toutes ses formes. »
La Cour des comptes interpelle, tout de même, clairement le gouvernement sur l’importance la mesure du nombre de travailleurs détachés.
« Les données sur le recours au travail détaché ne permettent pas encore de cerner le phénomène avec précision : les statistiques produites par la Commission européenne en sous-estiment la réalité, et le ministère du travail français ne dispose que depuis l’automne 2016 d’un système robuste de déclaration préalable au détachement. »
CES FRAUDES PRENNENT PLUSIEURS FORMES.
« (…) trois formes de fraudes ont pu être clairement caractérisées. Elles font toutes intervenir un bénéficiaire final installé en France, qui peut agir dans le cadre de marchés publics, et sont parfois organisées à partir du territoire national. »
La fraude peut prendre la forme d’une absence de déclaration préalable, pourtant obligatoire, qui freine le ciblage efficace des contrôles.
Elle porte également sur une absence de respect du Code du travail français à l’égard de ces salariés qui concerne le salaire minimum, la durée de travail, les repos et congés, les conditions de travail et d’hébergement, etc.
La fraude peut consister à dissimuler volontairement des salariés étrangers juridiquement employés en France (ayant une activité continue), sous le statut de travailleurs détachés a priori provisoire.
DES PROGRÈS IMPORTANTS RESTENT A ACCOMPLIR
Ce bilan contrasté appelle selon la Cour des Comptes :
« des progrès importants à accomplir dans trois domaines prioritaires d’action » (…) dans la politique de prévention, le ciblage des contrôles pour gagner en efficacité et l’aboutissement des procédures en termes de sanctions ».
1. La politique de prévention repose sur la sensibilisation des entreprises, des agents publics et des salariés concernés
« Une telle politique d’information et de sensibilisation est d’autant plus importante à mener que, pour des emplois au niveau du Smic, le recours au travail détaché n’est pas plus intéressant en termes économiques pour les entreprises que l’emploi direct d’un salarié, dès lors que les règles du détachement de travailleurs sont respectées. »
Ce constat est a priori réaliste, mais à condition que les nouvelles règles deviennent effectives et soient respectées.
2. Le ciblage des contrôles doit être plus efficace :
« Aujourd’hui, les services de contrôle et d’enquête ne disposent pas des outils qui leur permettraient de cibler efficacement leurs contrôles. »
La formule illustre bien la situation et le Rapport de la Cours des comptes entre dans le détail.
3. Les procédures doivent aboutir en termes de sanctions[4].
Une partie des problèmes débouchent sur la mise en cause d’entreprises étrangères. Les délais de réponse des autres États membres aux demandes d’information sont trop longs…
Les parquets et tribunaux rencontrent des difficultés, reconnues par la Chancellerie, pour traiter l’afflux des procédures relevant du « travail détaché ».
« Malgré la coopération entretenue avec la DGT, les fraudes au détachement de travailleurs représentent, du point de vue de la Chancellerie, des cas importants, complexes et assez mal maîtrisés. » (…) « Les peines de prison prévues par le code du travail sont extrêmement rares. »
La Cour des comptes prône un renforcement des sanctions administratives et pénales, qui se traduise :
-
par des fermetures de chantiers ou d’établissements, et
-
par la mise en cause des donneurs d’ordres et maîtres d’ouvrage qui ont recours aux entreprises concernées.
***
L’importance prise progressivement par le nombre de « travailleurs détachés légaux », et de ceux travaillant en fraude, pèse sur le marché du travail français (pour atteindre de l’ordre de 5% des emplois du secteur privé).
En admettant que l’interprétation française de la récente Directive européenne permette de limiter l’intérêt du recours au travail détaché, ce qui reste à prouver, la persistance des fraudes doit être combattue dans le cadre, plus général, du travail illégal.
Le repérage des fraudes et la mise en place de sanction nécessitent des progrès dans les méthodes, mais surtout la disponibilité des moyens.
[1] https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/02-lutte-fraude-travail-detache-Tome-1.pdf
[2] Lois n° 1059 du 10 juillet 2014, n° 0181 du 6 août 2015 et n° 1084 du 8 août 2016.
[3] Renforcer la lutte contre les fraudes au détachement – 31/05/2017 – https://bit.ly/2D8yVEg
[4] LA COUR DES COMPTES CONSIDÈRE QUE L’IMPLICATION DES SERVICES DE CONTRÔLE RESTE INÉGALE.
Elle félicite l’inspection du travail en 2017, par rapport à d’autres acteurs, qui a conduit des contrôles ayant débouché sur 859 infractions et 1 034 irrégularités sanctionnées par des amendes dans des secteurs comme l’agriculture, la construction, l’intérim ou le transport routier. Mais aussi l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), créé en 2005 au sein de la gendarmerie nationale.
« Parmi les 7 750 affaires restantes en moyenne, 5 000 n’ont pas fait l’objet de poursuites pénales mais de procédures alternatives (rappel à la loi, amendes sur accord des personnes incriminées, etc.). Sur les 2 750 poursuites pénales dominent les convocations par un officier de police judiciaire. Le nombre d’ordonnances pénales varie entre 21 et 26 selon les années. »
Pas de commentaire sur “Comment lutter contre la fraude au travail détaché ?”