Un intéressant rapport sur les « Travailleurs des plateformes »[1], publié par l’Institut Montaigne, propose une analyse de la situation actuelle et des propositions qui font débat.
LES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES SERAIENT 200 000 EN FRANCE
Cela représente 0,8 % des actifs en emploi. Mais au-delà d’un impact encore limité, les plateformes ont créé « une nouvelle façon de trouver et d’exercer un travail et tant elles jouent déjà un rôle central pour certaines catégories de travailleurs ». Elles auraient pris « une place centrale en jouant le rôle d’intermédiaire dans l’offre et la demande de biens et de services ».
Ce rapport, s’intéresse à un type de plateformes digitales ayant pour caractéristiques un niveau d’interventionnisme de la plateforme élevé. Elle définit par exemple les prix, les pratiques des travailleurs, leur évaluation, les incitations à la connexion, ou encore l’existence de sanctions, et une activité significative en termes de revenus pour les travailleurs indépendants qui en dépendent.
Il identifie trois catégories de travailleurs des plateformes, en fonction de leur situation par rapport à leur activité :
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des salariés utilisant les plateformes afin de compléter leurs revenus[2] ;
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des travailleurs indépendants utilisant les plateformes comme forme d’activité exclusive ;
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des personnes très qualifiées qui visent « davantage de flexibilité et « travailler mieux » en se tournant vers un intermédiaire numérique (les freelances). »
Un exemple concerne le profil des coursiers à vélo[3].
UN DÉBAT RESTE OUVERT ENTRE DEUX VISIONS OPPOSÉES SUR LE SUJET.
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Les uns pensent que les plateformes permettent de « pallier l’incapacité chronique des pouvoirs publics à apporter une solution d’emploi aux travailleurs les moins armés ».
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Les autres estiment que « les plateformes sont un moyen de contourner la protection des travailleurs (salaire minimum, droits individuels et collectifs du travail, etc.) ».
Ces deux propositions peuvent être additionnées, car elles ne sont pas totalement contradictoires, elles dépendent des critères pris en compte.
Mais cette approche ignore l’impact des plateformes sur l’activité des entreprises traditionnelles existantes qui doit être pris en compte pour apprécier les transformations à adopter. La distorsion de concurrence apparait rester un problème.
Le rapport propose une acceptation de la situation présente des plateformes, accompagnée d’efforts de couverture sociale[4] en quelque sorte « sur mesure » dépendant des choix de chacun ; il s’agit d’une vision ultra libérale[5].
LE RAPPORT PRÔNE QUE LES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES RESTENT DES INDÉPENDANTS.
Ce rapport de l’IM part d’un point de vue « pro-plateforme », c’est pourquoi il considère :
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Que la requalification des travailleurs en salariés est à écarter[6],
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Que « la création d’un statut juridique ad hoc pour les indépendants est dépassée[7]. À court terme, la priorité est d’établir un cadre pour limiter les dérives».
Le rapport formule donc des recommandations pour assurer « un encadrement fort du travail sur les plateformes et ainsi protéger les travailleurs ».
Dans cette perspective, des mesures sont proposées pour écarter la menace d’une requalification en masse des travailleurs comme salariés, au travers d’une évolution des plateformes prouvent l’autonomie de leurs « prestataires »[8].
Cet objectif ne semble pas atteint en l’état actuel des règles des plateformes, des dispositions du droit du travail et de la multiplication des actions en cours.
La situation d’un « indépendant » travaillant régulièrement pour une même plateforme, avec une organisation bien cadrée, pourra prétendre à une requalification en contrat de travail, à condition qu’il la demande.
Le modèle ne tient, aujourd’hui, que par une acceptation par une majorité des « indépendants » de leur statut. Cette acceptation repose sur le bénéfice qu’ils pensent retirer du système. Celui-ci aura tendance à être miné par les questions de rémunérations faibles, le temps de travail important et une couverture sociale partielle. L’usure guette ce système sauf turn-over rapide des indépendants qui exercent pendant un temps limité.
CONSOLIDER LES PLATEFORMES POUR PROMOUVOIR UNE AUTRE MODÈLE SOCIAL
Les solutions proposées par le rapport sont au final de
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« Permettre le développement des plateformes en garantissant l’autonomie réelle des travailleurs des plateformes»[9] et de
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« Faire de la protection sociale des travailleurs des plateformes un laboratoire des nouvelles protections »[10].
La conclusion du rapport apparait clairement. Le projet proposé consiste à bétonner la situation juridique des plateformes numériques et de dessiner un modèle ou les droits sociaux seraient rattachés à chaque travailleur au-delà de son ou ses employeurs. L’exemple des travailleurs des plateformes serait « un laboratoire des nouvelles protections » ayant pour ambition d’être élargies à d’autres situations, c’est-à-dire celle des salariés…
La motivation qui est affichée dépasse alors largement le cas des « travailleurs des plateformes » pour viser une « vision futuriste, la protection sociale correspond au travailleur, et non au contrat auquel il est lié ».
Cette idée progresse, par ailleurs, à tort ou à raison, via des régimes universels de santé, chômage, retraite, etc.
[1] Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi – Rapport – Avril 2019 –
[2] Ils ont une couverture sociale de par leur statut de salarié.
[3] L’étude statistique réalisée sur les coursiers à vélo conduit à quelques chiffres clés : « 96 % d’entre eux sont des hommes âgés en moyenne de 26 ans ; Ils sont étudiants pour 57 % d’entre eux ; Ils touchent en moyenne une rémunération équivalente au SMIC (soit 7,70 euros net par heure) ; et pour ¾ d’entre eux, travaillent le samedi et le dimanche. »
[4] Les travailleurs indépendants bénéficient de la protection sociale, de la retraite et de la santé, mais ils ne disposent pas d’autres pans de la protection sociale comme la complémentaire santé, l’assurance AT-MP, l’assurance chômage ou les congés payés. Leur niveau de cotisations est moindre.
[5] « Nous sommes convaincus que le régime de protection sociale doit être adapté pour permettre au travailleur de sélectionner les services auxquels il souhaite avoir droit (en mettant en place certaines obligations). Dans cette vision futuriste, la protection sociale correspond au travailleur, et non au contrat auquel il est lié. »
[6] « Même s’il serait tentant d’opter pour cette solution de facilité aujourd’hui défendue par la jurisprudence française, cela mettrait en danger l’existence des plateformes et de leurs travailleurs qui ne souhaitent pas, pour une grande partie d’entre eux, rebasculer dans le monde du salariat. »
[7] Cette position de statut spécifique a été défendue par le gouvernement à plusieurs reprises. Elle a été soutenue par des syndicats de salariés qui interviennent auprès des indépendants dépendants des plateformes.
[8] « Cela implique de leur donner davantage de visibilité sur les algorithmes qui les gouvernent au travers de notes ou de primes, tout en empêchant les requalifications en masse qui pourraient faire sortir les acteurs de l’économie des plateformes de France. »
[9] Propositions pour sécuriser le statut juridique des prestataires des plateformes.
- « Sécuriser l’interprétation juridique du travail indépendant sur les plateformes.
- Mettre les algorithmes au service des travailleurs des plateformes.
- Développer des algorithmes non discriminants.
- Encourager un partage régulier des données collectées par les plateformes sur leurs travailleurs auprès des autorités publiques et des acteurs de l’écosystème (assureurs collaboratifs, sites d’information communautaires).
- Garantir aux indépendants une visibilité raisonnable sur les évolutions des conditions d’utilisation de la plateforme.
- Créer les conditions d’un dialogue entre indépendants et plateformes de travail à la demande.
- Assurer la portabilité du capital immatériel des travailleurs.
- Encourager les bonnes pratiques des plateformes de travail à la demande via des sites collaboratifs. »
[10] Propositions pour assurer la protection sociale des travailleurs dépendant des plateformes.
- Donner aux travailleurs des plateformes tous les moyens pour exercer leurs droits sociaux.
- Améliorer la responsabilité sociale des plateformes en imposant, secteur par secteur, la couverture des risques professionnels majeurs, en particulier les accidents du travail.
- Faire des plateformes de travail à la demande (notamment pour leurs publics « peu qualifiés ») des tremplins professionnels grâce à des politiques de formation innovantes.
- Instaurer un droit universel à la complémentaire santé et à la complémentaire retraite pour les travailleurs non couverts (ni étudiants, ni salariés) au-delà d’un certain seuil de chiffre d’affaires.
- Favoriser la constitution d’une épargne de long terme pour les travailleurs des plateformes en créant un produit d’épargne adapté à leurs besoins.
- Soutenir une garantie chômage complète (partiellement obligatoire) et créer une garantie chômage « de crise » pour les indépendants (obligatoire).
- Réduire le fossé entre salariés et indépendants sur la question des logements en inventant de nouveaux dispositifs de cautionnement.
- En s’inspirant du modèle du portage salarial, favoriser l’émergence de « plateformes de plateformes », capables de mutualiser les risques individuels des travailleurs des plateformes, et d’inventer des garanties collectives sur-mesure.
Un commentaire to “Que vont devenir les « travailleurs » des plateformes digitales ?”
17 avril 2019
élianeil faut dire que le développement important d’emplois « uberisés » implique des risques spécifiques pour ces travailleurs : les conditions de travail indépendant très modulables (horaire, emploi du temps, lieu…) rémunéré à la tâche présentent certains avantages mais aussi beaucoup d’inconvénients pour la santé et la sécurité du travail avec de la précarité, et peu de prévention des risques professionnels et de protection sociale : voir « La prévention des risques professionnels liés aux plateformes de services » : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=574