LA POLITIQUE DE LA VILLE A ABANDONNÉ SON VOLET EMPLOI
Un point s’impose, un an après le rejet du plan Borloo de relance de la politique de la ville[1] par le Président de la République (22 mai 2018). Le « changement de philosophie et de méthode », mis en œuvre dans les quartiers listés par le gouvernement, laissent les élus locaux et mes associatifs insatisfaits. Certains appellent à un changement de politique.
Des membres du « Conseil présidentiel des villes »[2], réunissant des personnalités issues des quartiers prioritaires à cette occasion, s’interrogent sur l’utilité du Conseil. Le président n’a présidé le Conseil qu’une seule fois. Les élus locaux n’étaient pas représentés dans ce Conseil !
Le ministre en charge de la Ville et du Logement[3] vient de faire un point sur la politique menée. Seule l’expérimentation des « emplois francs »[4] concerne l’emploi des habitants des quartiers[5]. 6 000 emplois francs[6] auraient été signés et l’objectif de 20 000 d’ici la fin de l’année 2019 est maintenu. On est très loin des objectifs initiaux annoncés de cette aide aux entreprises.
L’AFFAIBLISSEMENT DES OUTILS EN FAVEUR DE L’EMPLOI DANS LES TERRITOIRES À FORT TAUX DE CHÔMAGE EST IDENTIFIÉ PAR LES ÉLUS LOCAUX.
L’association des maires Villes et banlieue de France vient de publier un communiqué[7] significatif intitulé : 22 mai 2019 : « Un an après, “les mâles blancs”[8] n’ont pas à pâlir. » Ce texte précise, en particulier, que :
« La réforme des « contrats aidés » et des « missions locales », notamment, fragilisent gravement les outils en faveur des habitants les plus en rupture. »
Pole emploi n’a pas réalisé non plus, à quelques exceptions près, d’efforts particuliers sur des zones où sa présence s’avère difficile (physiquement).
L’EXPÉRIENCE CONDUIT À PLUSIEURS LEÇONS EN MATIÈRE D’EMPLOI DANS LES TERRITOIRES À FORT TAUX DE CHÔMAGE
Sans entrer dans le détail, les acteurs de l’emploi ayant œuvré dans les quartiers et les villes pauvres retiennent plusieurs leçons.
1. Il existe en France des territoires où le chômage se situe au-delà du double de la moyenne. Les appellations de quartiers sensibles, populaires ou prioritaires ont perdu de leur sens, sans compter les sigles successifs désignant des Zones : ZUS, etc. Le vrai critère est l’emploi qui traduit à la fois la pauvreté et les discriminations à l’embauche.
2. Les causes de cette situation sont diverses selon les territoires : diminution des activités industrielles, présence de populations d’origine étrangère peu ou pas intégrée, relégation de diverses populations en difficulté dans le logement social, faiblesse du taux d’emploi des femmes, importance du nombre de jeunes décrocheurs scolaires, etc.
3. Les territoires concernés ne figurent pas tous dans le cadre de la politique de la ville (fondée à tort, depuis 2014, sur le seul critère des ressources des habitants).
4. S’il faut sans aucun doute consulter les acteurs locaux, la question de l’emploi est une question nationale et l’emploi se trouve peu dans les quartiers à fort taux de chômage. Ce sont des acteurs externes qu’il convient de mobiliser et tant pis si ce sont des « mâles blancs quadragénaires » n’en déplaise au président de la République dont la formule est à la fois fort déplaisante, mais aussi symptomatique de son ignorance de la réalité de ces territoires.
5. Parmi les actions menées, depuis des décennies, certaines ont fait la preuve de leur efficacité, mais aucune n’a bénéficié de la pérennité nécessaire pour installer une pratique vertueuse. Les politiques annuelles changeantes portent une responsabilité majeure sur l’absence d’améliorations notables.
6. Il n’y a plus aujourd’hui de véritable politique de l’emploi ciblée sur les quartiers à fort taux de chômage. Les emplois francs constituent une mesure marginale.
7. Elle nécessite d’engager un budget propre pour y parvenir.
Le sujet « Politique de la ville » a été commenté sur ce blog, au travers de plusieurs billets :
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Billet du 23 octobre 2014 : « L’expérimentation des « emplois francs » stoppée par le PLF 2015 ». https://bit.ly/1wjicWd
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Billet du 5 mars 2017 : « Le retour du fantôme des « emplois francs » imaginé par Emmanuel Macron ». http://bit.ly/2mtyCh3
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Brève du 15 novembre 2017 – « Quartiers prioritaires : aucune annonce significative en faveur de l’emploi des habitants ». http://bit.ly/2zLLVhl
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Billet du 10 avril 2018 : « La nouvelle politique de la ville fera-t-elle l’impasse sur l’emploi ? » https://bit.ly/2HmXdfz
[1] La politique de la ville est une politique de cohésion urbaine et de solidarité envers les quartiers les plus défavorisés. Elle vise à restaurer l’égalité républicaine et à améliorer les conditions de vie des habitants..
[2] Le conseil présidentiel des villes (CPV), composé de 26 « acteurs économiques, sociaux, culturels et sportifs d’envergure nationale engagés pour les quartiers » avait vocation à alimenter la réflexion du Président de la République sur la politique de la ville.
[3] Du 17 mai 2017 au 16 octobre 2018, le ministère de la Ville n’apparaissait plus dans le gouvernement. Depuis, un ministre chargé de la ville et du logement sous la responsabilité du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
[4] L’accompagnement du dispositif reviendra à niveau de Pôle Emploi qui disposera de l’adresse (dans le quartier) des demandeurs d’emploi concernés et sera à même d’informer les employeurs de cette opportunité de nouvelle prime.
[5] Les autres mesures évoquées par le ministre concernent le dédoublement des classes de CP et CE1 (190 000 élèves), des offres de stages de troisième (8 000 pourvus), des investissements pour la rénovation urbaine (écoles, logements, etc.)
[6] Le dispositif des emplois francs apporte une aide aux entreprises qui embauchent des chômeurs des quartiers concernés ; une aide à l’embauche de 5 000 € par an sur trois ans pour un CDI et de 2 500 € sur deux ans pour des CDD d’au moins six mois.
[7] Communiqué du 22 mai 2019 – https://bit.ly/2M2vfvH
[8] « Ça n’aurait aucun sens que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s’échangent un rapport » a déclaré Emmanuel Macron au cours de sa présentation le mardi 22 mai des mesures pour les banlieues.
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