Lors du « Congrès des régions de France »[1], les présidents de conseils régionaux ont demandé l’élargissement des compétences des Régions[2] dans divers domaines (développement rural, etc.).
En particulier, ils ont demandé d’avoir un contrôle sur Pôle Emploi dans leur Région, en lien avec leur compétence en matière de développement économique.
« Nous voulons être à la manœuvre sur la formation des demandeurs d’emploi, car il y a une inadéquation entre les formations et les besoins de recrutement » – Présidente du conseil régional d’Occitanie (PS).
« Qu’on nous donne la compétence entière sur le continuum orientation-formation-emploi ! », Présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté (PS).
LES PRÉSIDENTS DE RÉGIONS FORMULENT DES REVENDICATIONS SUR LA GOUVERNANCE DE POLE EMPLOI
La demande des régions part du fait qu’elles ont conservé une partie du financement de la formation des demandeurs d’emploi (loi « avenir professionnel »).
Les régions jouent, plus ou moins efficacement, un rôle dans le développement économique et entretiennent des relations avec certaines entreprises dans des bassins d’emploi. C’est ce qui explique leurs demandes d’intervention sur Pôle emploi.
En réalité, les demandes des responsables des Régions, vis-à-vis de Pôle emploi, sont de nature fort diverse, selon les régions :
- Une simple articulation sur les formations des chômeurs[3],
- Une unification du pilotage de l’accompagnement et de l’achat de formations en faveur des demandeurs d’emploi au travers d’une forme d’autorité fonctionnelle sur les équipes de Pôle Emploi en région,
- Une collecte ou un contrôle sur les offres d’emploi,
- Une décentralisation complète de la gestion de Pôle emploi[4] en leur faveur.
Cela va de la simple demande d’une meilleure coordination sur la thématique de formation des chômeurs à l’ambition d’une prise de contrôle totale de Pôle emploi par la Région.
LA CRITIQUE DE POLE EMPLOI APPARAIT DE MANIÈRE IMPLICITE OU EXPLICITE DANS LE DISCOURS DES RESPONSABLES DES RÉGIONS.
Derrière tous les discours des responsables régionaux, la critique de Pôle emploi et de son travail apparait, de manière implicite ou explicite, selon les cas.
L’association Régions de France estime que la répartition des compétences en ce qui concerne les formations comme les offres d’emploi est défectueuse. Sont évoqués des prestations d’accompagnement proposées aux chômeurs inadéquates, une mauvaise orientation professionnelle proposée, des offres ne correspondant pas aux profils, de mauvais choix des formations, etc.
« L’État a tout essayé contre le chômage, sauf cette idée simple : faire davantage confiance aux territoires. Confier aux régions le pilotage de Pôle Emploi, c’est s’assurer que les politiques de l’emploi soient menées au plus près des réalités économiques locales. Et qu’enfin, on s’attaque au paradoxe insupportable de ces milliers d’emplois non pourvus » – la présidente de la région des Pays de la Loire (LR).
La répartition des compétences entre l’État, la région et les municipalités est remise directement en cause, car elle entraînerait « une véritable perte d’énergie ». Cet argument semble tout à fait contestable quand on observe la situation actuelle des missions locales (État et toutes les collectivités locales), un autre acteur de l’emploi.
LE PREMIER MINISTRE A ANNONCÉ TROIS EXPÉRIMENTATIONS DE RÉGIONALISATION ACCRUE DE LA GOUVERNANCE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE AU SEIN DE POLE EMPLOI
Le Premier ministre s’est dit prêt à « proposer à des régions volontaires de renforcer les politiques de formation professionnelle » avec « un nouveau rôle dans l’action de Pôle Emploi ».
« Une instance de gouvernance présidée par le patron du conseil régional » pourrait « piloter des expérimentations » concernant une régionalisation accrue de la gouvernance de la formation professionnelle au sein de Pôle Emploi, pour identifier les besoins spécifiques en main-d’œuvre de chacune et les outils à déployer pour y répondre. Cela concernerait trois régions, mais reste flou à ce stade. Dans la loi NOTrE de 2015, un dispositif expérimental pour les régions qui en faisaient la demande avait été inscrit, mais il n’a pas concerné Pôle emploi.
Cela pourrait être précisé dans le projet de loi « 3D – décentralisation, déconcentration et différenciation », qu’il a annoncé pour 2019, mais dont le contenu est encore incertain. Ce texte semblerait destiné à renouer des liens distendus entre le gouvernement et les Régions, il devrait pour atteindre son but contenir des « concessions » de l’État aux Régions.
Les responsables du ministère du Travail, comme ceux de Pôle emploi, ressentent comme une réelle menace les demandes portant sur une régionalisation de Pôle emploi ou d’un « pilotage régional »[5]. Une part des personnels s’en inquiètent également.
D’autant qu’un certain nombre d’observations des représentants des régions dénotent une méconnaissance des règles du jeu. En particulier, imaginer que les formations suivies peuvent déboucher sur une « garantie d’embauche » est, on le sait, illusoire. Tout comme penser que les formations, actuellement proposées, ne correspondent pas aux secteurs qui connaissent un déficit de main-d’œuvre constitue un procès maladroit.
MAIS L’EMPLOI RELÈVE BIEN D’UNE COMPÉTENCE NATIONALE
La politique de l’emploi et ses acteurs relèvent d’une compétence nationale pour des raisons très concrètes. En effet, elle suppose :
- Des mobilités interrégionales et nationale des chômeurs,
- Des partenariats avec des PME, des ETI et des grandes entreprises interrégionales, nationales ou internationales,
- Des recrutements ouverts à l’ensemble des débutants et des chômeurs où qu’ils résident,
- Une connaissance du marché du travail, dont les opérateurs sont nationaux (DARES, Insee, etc.),
- La maitrise des grands chantiers de formation qui sont évidemment nationaux (numérique, énergie, etc.),
- etc.
Il faut appliquer une logique nationale et offrir des efforts équivalents sur tout le territoire pour répondre aux besoins des travailleurs et des 800 000 jeunes arrivant chaque année sur le marché du travail.
Exemple : Quand une promotion de 20 ou 30 étudiants obtiennent le même diplôme à Poitiers ou Limoges, ces jeunes chercheront du travail sur la France ou à l’étranger et pas seulement sur la région Nouvelle Aquitaine !
Rien n’empêche naturellement Pôle emploi de continuer à travailler en lien avec les collectivités locales, comme c’est déjà le cas au travers de nombreuses conventions avec les communes (dans tous les domaines), avec les départements (sur le volet de la Solidarité et du RSA) ou avec les régions (pour la formation). Cela peut sans doute être ajusté et amélioré.
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La revendication politique des Régions concernant l’obtention d’une compétence sur l’emploi, via le contrôle de Pôle emploi, intervient à près d’un an du renouvellement des Conseils régionaux. Elle va probablement constituer un des arguments de la campagne électorale à venir dans un lot de demandes de nouvelles compétences.
Le risque d’une potentielle régionalisation de Pôle emploi mérite donc d’être pris en compte par tous les acteurs de l’emploi.
[1] A Bordeaux, lundi 30 septembre et mardi 1er octobre 2019.
[2] « La France va mieux, mais je continue à voir des taux de chômage de 15, 16 voire 17%. C’est pourquoi je demande un changement de modèle où les réponses peuvent être apportées par nos territoires » – le Président de l’association Régions de France (ARF).
[3] Il est exact que : « Si sur certains territoires on rencontre une tension particulière, on peut ouvrir une formation bien plus rapidement en agissant au niveau local. » Mais en fait c’est déjà possible de manière très volontariste.
[4] « C’est une question de cohérence. La région est en charge du développement économique, c’est une compétence maintenant bien reconnue. Plus de 85 % des aides aux entreprises viennent des régions. En même temps, on est responsables de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi. On considère qu’il manque un maillon de la chaîne pour établir une vraie cohérence dans l’efficacité sur les politiques de l’emploi. » – le vice-président en charge de la formation et de l’apprentissage de Normandie.
« L’État a tout essayé contre le chômage, sauf cette idée simple : faire davantage confiance aux territoires. Confier aux régions le pilotage de Pôle Emploi, c’est s’assurer que les politiques de l’emploi soient menées au plus près des réalités économiques locales. Et qu’enfin, on s’attaque au paradoxe insupportable de ces milliers d’emplois non pourvus » – la présidente de région des Pays de la Loire (LR).
[5] Le service public de l’emploi (SPE) est actuellement géré par les préfets de région et de départements, donc en lien direct avec les territoires. Pôle emploi est un établissement public, rattaché au ministère du Travail.
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