LE TRAVAIL A DOMICILE EST DÉSORMAIS UTILISE POUR RÉDUIRE LES EFFECTIFS PRÉSENTS EN ENTREPRISE.
Les entreprises et les salariés ont été incités, dès le début de l’urgence sanitaire, à la mi-mars, à avoir recours au « télétravail ». Une part des salariés se sont engagés dans cette voie. De récentes déclarations publiques (Premier ministre, ministre du Travail, etc.) appellent à la prolongation de cette organisation du travail après le 11 mai jusqu’à l’été.
L’objectif est de diminuer le retour des effectifs dans des entreprises, qui reprennent le travail à partir du 11 juin, et de réduire la fréquentation des transports collectifs.
« Le télétravail va aussi désaturer les transports et donc permettre un déconfinement qui soit plus serein et plus progressif. » – La ministre du Travail.
« Je crois qu’il y a aujourd’hui cinq millions de Français qui travaillent en télétravail. Certains le faisaient déjà un peu et le font maintenant beaucoup et pour beaucoup, c’est aussi une expérience nouvelle. Mais, dans le contexte du déconfinement progressif que nous faisons, c’est très important qu’au maximum possible, ceux qui télétravaillent continuent à télétravailler parce que ça évite d’être trop nombreux sur le lieu de travail. » La ministre du Travail.
Les impératifs contraignant du « protocole de déconfinement »[1] (espace de travail, entrées, circulation, sortie…) conduit l’employeur à réduire les effectifs en situation de travail pour respecter les recommandations, donc à avoir recours au maintien de salariés à domicile ou au chômage partiel.
Mais il faut prendre en compte la réalité :
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Le télétravail a été imposé aux salariés par leurs employeurs public ou privé suite à la décision du gouvernement.
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Le travail à domicile n’est pas une solution majeure. Il n’y a pas 5 millions de français dans le secteur privé travaillant à domicile (voir les effectifs en chômage partiel pour une raison ou une autre auquel s’ajoutent les salariés présents sur le terrain ou en entreprise). Ce qui explique la formule « je crois » utilisée par la ministre.
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La reprise des activités devra imposer la nécessité de présence dans l’entreprise de nombreux cadres, professions intermédiaires et employés, dont la présence ne peut pas rester virtuelle[2]. La ministre du Travail a rappelé que « l’employeur peut lui demander de venir néanmoins. C’est pour des raisons de service » (…) « C’est à l’employeur d’expliquer pourquoi on ne peut pas faire autrement. Je pense que, dans la pratique, l’immense majorité des personnes qui travaillent en télétravail vont le rester. »
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Le travail à domicile, imposé par les circonstances de crise sanitaire, ne peut pas être confondu avec le télétravail, tel que défini précisément par le Code du Travail.
MAIS LE TRAVAIL A DOMICILE N’EST PAS AUTOMATIQUEMENT DU TÉLÉTRAVAIL.
Le président de la CFE-CGC a bien décrit la situation :
« Il faut gérer la reprise avec un encadrement sanitaire. À ce titre, je ne suis pas défavorable au fait de maintenir et de prolonger le dispositif de l’activité à domicile, mais on ne peut pas appeler cela du télétravail. Travailler dans la cuisine, avec les enfants, dans un environnement qui n’est pas prévu pour cela, ça n’est pas du télétravail. Le télétravail est quelque chose de codifié, d’organisé via un accord. »
Le télétravail est encadré par les articles L1222-9, 10 et 11 du Code du travail[3], suite à la loi du 5 septembre 2018.
Sans entrer dans le détail juridique, les salariés travaillant à domicile, depuis le 17 mars, se trouvent dans une situation exceptionnelle, prévue par le Code du Travail :
« En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. » Article L1222- 11.
Mais de ce fait, les dispositions prévues pour le télétravail ne sont généralement pas respectées.
LE MYTHE DU « TOUT TÉLÉTRAVAIL » NE TIENDRA PAS LA ROUTE.
L’apologie du télétravail a des origines idéologiques diverses qui sont reprises en ce moment.
Des politiques[4], journalistes et « experts » annoncent un « changement de société ». Ils ne prennent pas en compte la réalité des bricolages de fortune, organisés dans une situation d’urgence pour travailler à domicile, ceux-ci n’ont pas vocation à perdurer dans la très grande majorité des cas.
Par exemple, une enquête intitulée « #Montravailàdistance, Jenparle » vient d’être menée. Ses premières conclusions portent sur « La révolution du travail à distance »[5]. La démarche est intéressante, mais bien fragile dans la mesure où elle est inspirée a priori par une thèse préalable à l’enquête[6] :
« Le travail ne sera plus comme avant, mais le télétravail non plus après le confinement ».
Dans la pratique, il faudra refermer la parenthèse du travail à domicile de la période de crise, à de rares exceptions près. Elles existent et méritent de s’installer !
LES ORGANISATIONS SYNDICALES DÉTAILLENT PRÉCISEMENT LA LISTE DES PROBLÈMES POSES PAR LE TRAVAIL D’URGENCE A DOMICILE.
La CFDT Cadres a présenté les risques liés à la mise en place soudaine du télétravail à temps plein pour les salariés[7]. Les risques sont identifiés : Absence de matériel informatique et annexes adéquat[8] ; Pas d’aménagement optimal du domicile[9] ; Un isolement professionnel[10] ; Un isolement social[11] ; Un risque de surcharge et de connexion permanente[12] ; Un danger pour la sécurité des données[13].
L’UGICT-CGT fait valoir des arguments factuels à propos du travail à domicile[14] : « La quasi-totalité des parents d’enfants et, notamment les femmes, sont obligés de télétravailler en s’occupant de leurs enfants[15] » ; « La majorité des salariés qui ne télétravaillaient pas auparavant ne sont pas équipés de siège ergonomique, n’ont pas de prise en charge des frais de connexion ou de téléphone, voire ne disposent même pas d’un ordinateur professionnel ! » ; « Les horaires de travail et le droit à la déconnexion des salariés ne sont pas garantis. » ; « De nombreux télétravailleurs n’ont même pas la possibilité de s’isoler au calme pour pouvoir travailler ! »[16].
Les organisations syndicales ont formulé des revendications, qu’il semble nécessaire de prendre en compte[17].
RAPPEL SUR LE TÉLÉTRAVAIL PENDANT LA PÉRIODE ÉPIDÉMIQUE
Dans le secteur privé, les entreprises dotées d’un accord collectif ou d’une charte sur le télétravail ont pu utiliser ces dispositions pour adapter leur organisation. Le salarié doit en principe donner son accord. Mais il existe une exception qui permet de se passer de cet accord en cas de risque épidémique (article L1222-11 du code du travail). Le ministère du Travail a estimé que le risque d’épidémie lié au coronavirus était un motif légitime d’imposer le télétravail. Les salariés n’ont pas pu refuser d’effectuer du télétravail.
Dans la fonction publique le télétravail[18] a la même définition que dans le Code du travail et s’organise sensiblement de la même façon que dans le secteur privé. Ce sont des arrêtés et des décisions, propres à chaque administration, qui encadrent sa mise en œuvre.
[1] https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/protocole-national-de-deconfinement-pour-les-entreprises-pour-assurer-la
[2] La ministre souhaite que les salariés viennent « par rotation, pas tous en même temps. Là aussi, pour éviter d’être trop nombreux en même temps dans les transports ou sur le lieu de travail. » Une formule pas toujours possible semble-t-il.
[3] Section 4 : Télétravail – https://bit.ly/3bauo3g
[4] « Depuis le 15 mars, le télétravail s’est imposé comme un mantra dans le discours gouvernemental. Il serait devenu la solution miracle pour dédensifier les open-space, réduire l’affluence dans les transports en commun, faire tourner les équipes, afin de respecter les distances sanitaires… » – UGICT CGT.
[5] Terra Nova s’est associé à l’initiative « #Montravailàdistance, Jenparle ! », lancée par Res publica avec plusieurs partenaires (la CFDT, Metis Europe, Management & RSE et Liaisons sociales magazine), afin de mieux comprendre les transformations du travail qui s’accélèrent dans cette période si particulière.
[6] « L’expérience du travail à distance réalisée à grande échelle durant les semaines de confinement laissera des traces, et est déjà riche d’enseignements. Pour mieux identifier les types de difficultés rencontrées par certains salariés, mais aussi les gains pour d’autres, durant cette période inédite. Elle contribuera aussi à accélérer la transition managériale, pour inciter les managers à repenser leur valeur ajoutée et l’exercice de leur fonction. » Par Thierry Pech, Martin Richer, le 29/04/2020
[7] https://www.cadrescfdt.fr/actualites/le-teletravail-lere-du-coronavirus-loeil-cfdt-cadres
[8]« le salarié doit parfois utiliser son propre matériel ou un matériel fourni pour l’occasion qu’il ne maitrise pas. »
[9] « Le salarié se retrouve confiné avec toute sa famille et n’a souvent pas d’endroit où il peut s’isoler pour travailler. – Le salarié doit partager le réseau internet avec le reste de la famille : le besoin de plus en plus important en bande passante (visio, VOD…) minimise la qualité des échanges professionnels. – Le salarié n’a pas le mobilier adapté pour travailler dans de bonnes conditions ergonomiques. »
[10] La communication à distance ne s’improvise pas et certains se sont retrouvés en télétravail à temps complet du jour au lendemain sans jamais avoir pu tester cette organisation du travail. Les échanges sont mal organisés et on peut constater selon les cas une sur ou sous sollicitation. »
[11] certains se retrouvent seuls à leur domicile sans pouvoir échanger en présentiel
[12] « le confinement renforce la porosité des temps et certains ont du mal à « couper » la connexion. Si cela se retrouve dans le télétravail « classique », cette problématique explose dans la situation actuelle. »
[13] Le nombre de cyberattaques augmente mathématiquement dès qu’une crise (grève, coronavirus…) se déclenche. Or, les réseaux personnels sont moins bien protégés face aux cyberattaques que les réseaux privés d’entreprise. En se retrouvant seul à son écran le salarié est aussi plus exposé à des tentatives d’hameçonnage ou de mails frauduleux.
[14] Communiqué UGICT-CGT : Le télétravail oui, mais pas en « mode dégradé » – 29/04/20
[15] Rares sont les employeurs qui ont mis en place une baisse du temps et de la charge de travail pour permettre de s’occuper de ses enfants.
[16] L’Ugict-CGT exige le respect du Code du travail et l’ouverture de négociations immédiates avec tous les employeurs sur les conditions d’organisation du télétravail.
[17] « Le télétravail a été étendu en vertu de l’urgence sanitaire à de nombreux salariés et entreprises qui ne le pratiquaient pas jusque-là. Cette situation d’exception ne peut devenir la norme.
Il s’agit notamment de garantir : La prise en charge de l’intégralité des outils de travail par l’employeur (ordinateur, téléphone, connexion, fauteuil et bureau ergonomique, logiciels…) ; Le respect du temps de travail et du droit à la déconnexion, la définition de plages de travail pendant lesquelles le/la salarié doit être joignable ; Un management adapté au travail totalement à distance, une adaptation des objectifs de travail… ; Les moyens donnés aux représentants du personnel pour rester en contact avec les télétravailleurs, etc. »
[18] (Loi du 12 mars 2012, et décret du 11 février 2016 pour la fonction publique )
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