SIX FRANÇAIS SUR DIX N’ONT PAS CONFIANCE DANS LES CHIFFRES DU CHÔMAGE.
Dans un récent article, le politologue Bernard Sananès[1] analyse une défiance générale des français vis-à-vis des statistiques[2]. Il cite entre autres une estimation selon laquelle « six Français sur dix n’ont pas confiance dans les chiffres du chômage ».
Il commente en affirmant que : « C’est très préoccupant : le consensus sur les faits est le socle du débat rationnel et démocratique.[3] »
Il estime que la situation s’est dégradée à l’occasion de la communication politique sur la crise sanitaire : « La défiance à l’égard de la parole publique s’est intensifiée avec la crise sanitaire, c’est une réelle menace pour la démocratie. »
Les professionnels de l’emploi savent qu’il existe deux baromètres du chômage sans correspondance entre eux : d’une part, celui de la Dares (nombre d’inscrits à Pôle emploi) et, de l’autre celui de l’Insee (avec une enquête, conforme à la procédure du BIT).
Les travaux de la Dares et de l’Insee sont sérieux, à quelques disparitions de données près.
Leurs chiffres sont ce qu’ils sont, il y a des prévisions, des corrections et diverses manières de les présenter. Ils jouent sur France entière ou métropolitaine, etc.
Figurent des évolutions mensuelles (peu significatives), trimestrielles ou semestrielles, mais pour ma part, je préfère suivre les variations annuelles.
Bref, à partir des chiffres, il est possible de s’y retrouver pour un observateur averti.
Mais les commentateurs, représentants institutionnels, élus ou journalistes, semblent souvent s’y perdre, volontairement ou non !
Cet état de fait contribue aux doutes dans l’opinion, au-delà de la défiance existant dans tous les domaines et tous les sujets (comme l’illustre la multiplication exponentielle des indicateurs sur les évolutions du COVID en France).
LA DEFIANCE VIS-A-VIS DE LA PAROLE PUBLIQUE S’ACCROIT.
« … la défiance vis-à-vis de la parole publique est chaque jour plus forte, (…). Aujourd’hui, une partie de l’opinion se demande si la communication n’est pas en train de remplacer l’action. »[4]
LA COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT ACCROIT LE DOUTE.
L’exemple des annonces gouvernementales sur les mesures de soutien à l’économie et à l’emploi illustre un désordre qui alimente le doute.
Pré annonces et annonces de divers ministres sont faites pour convaincre de l’action du gouvernement avant l’adoption des mesures : adoption de la loi de finances 2021 puis 2022, la parution des textes d’application, la connaissance du calendrier sur plusieurs années, le type des dépenses : prêts de divers types, aides et subventions, exonérations fiscales…, etc.
Par exemple, il est intéressant de comparer les chiffres pré annoncés par divers ministres concernant les aides aux PME, dans le Plan de relance.
Dans les faits, toutes ces informations se mélangent allègrement dans l’esprit des citoyens comme des acteurs de l’emploi et de la formation. Un problème de lisibilité existe effectivement.
Exemple : on annonce un « plan jeunes » avec un renforcement de mesures emploi, alors que, dans la pratique, les résultats de la politique antérieure sont loin d’être atteints (PEC, garantie jeunes, etc.). Les acteurs restent dans l’incertitude des moyens dont ils disposeront (cas des missions locales).
Il existe bien un problème de communication politique du gouvernement autour de l’économie et de l’emploi.
L’EMPLOI DEMEURE L’UNE DES PRÉOCCUPATIONS MAJEURES DES FRANÇAIS.
D’après les sondages : « Quatre actifs sur dix ont peur de perdre leur emploi. »
La proportion des salariés du secteur privé ayant bénéficié du chômage partiel en avril explique bien cette prise de conscience très concrète.
Au point culminant, le recours au chômage partiel a concerné 8,8 millions de salariés du secteur privé[5].
LES CHIFFRES DU CHÔMAGE APPARAISSENT COMME UN INDICATEUR CLÉ AU NIVEAU POLITIQUE
Les chiffres du chômage apparaissent comme un indicateur clé au niveau politique et de leur impact (ou ceux des commentateurs) sur l’opinion.
« … la question de l’ampleur de la récession demeure et que celle du chômage, notamment celui des jeunes, pourrait être une bombe à retardement. »
« On y verra plus clair fin septembre avec le bilan de la rentrée, les réactions provoquées par le plan de relance et les chiffres du chômage. »
Il suffit de se rappeler de l’aventure de François Hollande qui avait annoncé une « inversion de la courbe du chômage », qu’il a trainé comme un boulet.
L’actuel président de la République est resté modeste en évitant de s’engager sur un retour au plein emploi et en se contentant de l’objectif d’un taux de chômage à 7%.
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L’enjeu politique pour le président de la République sera de savoir si, compte tenu des événements, il va se situer en premier lieu sur le terrain de « la protection » des personnes (prévention du COVID et soins à apporter aux malades) ou sur celui du redressement économique du pays. Ce dilemme a déjà été illustré fin aout où l’annonce prioritaire des mesures sanitaires (port du masque) a conduit au report de l’annonce du Plan de relance.
[1] Politologue, Bernard Sananès est le président-fondateur de l’institut de sondage et d’analyse, Elabe.
[2] L’Opinion – 31 Août 2020 – https://bit.ly/3gHln4n
[3] « La mise à distance de la parole publique. Celle-ci, qui s’est intensifiée avec la crise sanitaire, est une réelle menace pour la démocratie. » – Bernard Sananès.
[4] « Quand Emmanuel Macron et ses ministres parlent, on dit « c’est de la com ». – Bernard Sananès
[5] 8,1 millions de salariés ont fait l’objet d’une demande d’indemnisation pour le mois d’avril 2020.
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