La création du « fichier unique » des demandeurs d’emploi, accessible à tous les acteurs du « réseau pour l’emploi » (https://vu.fr/mDURl), reste à préciser, suite à la censure de l’article 4 prononcée par le Conseil Constitutionnel.
La décision du CC répond tout à fait à l’exposé des risques que j’avais évoqué dans un billet récent sur ce blog.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL VALIDE LA LOI POUR LE PLEIN EMPLOI, MAIS …
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi pour le plein emploi, dont il avait été saisi par plus de soixante députés, par sa décision n° 2023-858 DC du 14 décembre 2023[1].
Le projet de loi pour le plein emploi a été globalement validé par le Conseil constitutionnel
Mais il censure une disposition portant sur le projet de « fichier unique » des demandeurs d’emploi et émet des recommandations sur les mesures concernant les bénéficiaires du RSA (temps d’activité et sanctions).
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Il a censuré des dispositions autorisant un partage d’informations entre les personnes morales constituant le réseau pour l’emploi.
« Le Gouvernement tiendra évidemment compte de cette décision s’agissant du partage des données et informations dans le cadre de la mise en place du réseau pour l’emploi[2] », selon le communiqué du ministère du Travail.
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Il a assorti de « réserves d’interprétation des dispositions relatives aux obligations résultant du dispositif de contrat d’engagement pour les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires du revenu de solidarité active. »
LE PARTAGE D’INFORMATIONS AU SEIN DU RÉSEAU FRANCE TRAVAIL DOIT ÊTRE BIEN PRÉCISÉ
Le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions de l’article 4 autorisant les personnes morales constituant le réseau pour l’emploi à partager entre elles certaines informations.
Le Conseil constitutionnel rappelle que la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée[3].
Le Conseil constitutionnel reconnait que « ces dispositions visent à favoriser la coordination des acteurs concourant au service public de l’emploi et améliorer les parcours d’insertion sociale et professionnelle des personnes bénéficiant de leurs services. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général ».
Mais, néanmoins, il fait plusieurs constats
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D’une part, le CC juge que les personnes morales autorisées à partager ces données au sein du réseau pour l’emploi sont nombreuses et de natures diverses (liste jointe[4]).
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D’autre part, les données susceptibles d’être partagées[5] sont toutes celles nécessaires à l’évaluation de leur situation, au suivi de leur parcours d’insertion, à la réalisation des actions d’accompagnement, à l’établissement des statistiques et à la gestion de l’assurance chômage.
Mais il s’agit aussi de données à caractère personnel, y compris de nature médicale, qui seraient communiquées à un très grand nombre de personnes, « dont la désignation n’est subordonnée à aucune habilitation spécifique et sans qu’aucune garantie n’encadre ces transmissions d’informations ».
La question ne peut pas être renvoyé à une décision réglementaire (via un décret en Conseil d’État[6]) compte tenu de sa nature.
Le Conseil constitutionnel considère que « ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et les déclare donc contraires à la Constitution ».
DES INTERPRÉTATIONS DE DEUX DISPOSITIONS SERONT À PRENDRE EN COMPTE.
Sans mettre en cause la constitutionnalité du texte, le Conseil constitutionnel formule deux observations.
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Il estime que la durée d’activités hebdomadaires pour les bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA) « devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé et limitée au temps nécessaire à l’accompagnement requis »[7]. Une durée d’au moins quinze heures est prévue dans le texte de loi.
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Pour les sanctions applicables au demandeur d’emploi en cas de manquement à ses obligations, le Conseil constitutionnel demande au pouvoir réglementaire de « veiller au respect du principe de proportionnalité des peines »[8].
[1] https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2023-858-dc-du-14-decembre-2023-communique-de-presse
[2] « Ce Réseau pour l’emploi sera doté d’un système d’information commun auxquels pourront accéder l’ensemble des acteurs impliqués, en veillant au respect de la protection des données personnelles. » précise le ministère.
[3] « Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.
Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités. »
[4] « L’État, les régions, les départements, les communes et certains groupements de communes, l’opérateur France Travail, les missions locales et les organismes de placement spécialisés dans l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, mais aussi les organismes publics ou privés dont l’objet consiste en la fourniture de services relatifs au placement, à l’insertion, à la formation et à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, les organismes chargés du repérage et de l’accompagnement spécifique des personnes les plus éloignées de l’emploi, les entreprises adaptées constituées par des collectivités territoriales ou des organismes publics ou privés, les établissements et services d’aide par le travail accueillant des personnes handicapées, les établissements et services médico-sociaux de réadaptation, de pré-orientation et de rééducation professionnelle, les organismes chargés de la mise en œuvre des plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, les maisons de l’emploi, les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, les autorités et les organismes délégataires du conseil départemental vers lesquels les demandeurs d’emploi peuvent être orientés en vue de leur accompagnement, les organismes débiteurs de prestations familiales chargés du service du revenu de solidarité active et les structures dont l’objet est l’accompagnement à la création d’entreprises pour les personnes à la recherche d’un emploi. »
[5] « Outre celles permettant l’identification des bénéficiaires des services des personnes morales participant au réseau pour l’emploi. »
[6] Un décret en Conseil d’État devait initialement déterminer les « modalités de traitement des données à caractère personnel nécessaires à la mise en œuvre de leurs actions » …
[7] « Par une réserve d’interprétation, il juge [néanmoins] à cet égard que, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles résultant des dispositions précitées du Préambule de la Constitution de 1946, cette durée devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé et limitée au temps nécessaire à l’accompagnement requis, sans pouvoir excéder la durée légale du travail en cas d’activité salariée. »
[8] « Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge que, toutefois, il appartiendra au pouvoir réglementaire, en fixant ces durées et la part du revenu ou des allocations pouvant être suspendue ou supprimée, de veiller au respect du principe de proportionnalité des peines. »
« Le législateur a prévu qu’un décret en Conseil d’État détermine les durées minimale et maximale de la sanction de radiation de la liste des demandeurs d’emploi et de celle de suspension ou de suppression du revenu ou des allocations versées par l’assurance chômage, ainsi que la part de ces revenus ou allocations pouvant faire l’objet d’une telle sanction. »
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