Quatre des syndicats de salariés de Pôle emploi[1] ont appelé à une grève le 6 mars 2017[2]. Cette mobilisation s’opère autour de plusieurs revendications de nature assez différente. Elles font apparaitre les grandes questions qui se posent à Pôle Emploi au terme de cette dernière période.
DES INCERTITUDES POLITIQUES PLANENT SUR L’AVENIR DE POLE EMPLOI
Une incertitude politique plane sur l’avenir de la structure centrale du service public de l’emploi, en effet, une fois de plus, diverses pistes de réforme sont évoquées comme :
- La régionalisation de Pôle emploi[3] (dont les directions régionales de Pôle Emploi seraient confiées aux Conseils régionaux),
- Le développement de la sous-traitance à des prestataires privés, avec des questions sur la nature des publics externalisés, les financements engagés (d’insuffisants à trop généreux) et les résultats obtenus en termes de placement de chômeurs par les organismes privés
- L’absorption d’une activité de formation professionnelle au sein de Pôle emploi (représenté par exemple par une part de l’AFPA),
- L’intégration des cotraitants, Missions locales et Cap emploi, au sein de Pôle Emploi, dans une seule structure de service public, sous prétexte d’homogénéité de services rendus sur tout le territoire,
- etc.
Mais l’inquiétude la plus immédiate porte sur le financement de Pôle Emploi qui se trouve conditionné à l’avenir de l’Unédic, premier financeur de l’organisme. La négociation de la nouvelle convention de l’assurance chômage par les partenaires sociaux est relancée, ses résultats sont encore incertains et le poids du déficit annuel, de l’ordre de 4 milliards d’euros, pèse sur le résultat des négociations.
Des menaces de nationalisation de l’Unédic, faisant suite à la montée du rôle joué par l’État ces dernières années vis-à-vis de l’organisme, planent sur l’existence même du système actuel de l’assurance-chômage. Une telle évolution aurait évidemment des conséquences directes sur le financement de Pôle Emploi.
LES MOYENS DE POLE EMPLOI N’ONT PAS SUIVI LA HAUSSE DE 25% DU NOMBRE DES DEMANDEURS D’EMPLOI EN PRÈS DE 5 ANS
Sur le plan matériel, les moyens, en locaux, en outils et en personnels, n’ont pas suivi la croissance du nombre des demandeurs d’emploi inscrits entre mai 2012 et janvier 2017[4].
- Le nombre des inscrits à Pôle emploi a augmenté de 25% soit plus de 1 300 000 demandeurs d’emploi supplémentaires, France entière toutes catégories.
- L’augmentation en catégorie A (personnes immédiatement disponible) a été de 18% et de 25% pour les catégories tenues à une recherche d’emploi soit plus de 1 160 000.
Les personnels de Pôle emploi (de l’ordre de 55 000 salariés) sont, dans leur ensemble, dynamiques et motivés, dont les personnels d’encadrement, mais ils se trouvent fréquemment dans des situations de tension ou confrontés à de graves difficultés du fait de l’organisation et du manque de moyens.
Cette absence de la nécessaire croissance des moyens pour faire face à l’afflux de bénéficiaires a occasionné une tension interne assez forte à laquelle la direction de Pôle emploi a répondu par une baisse progressive de la relation physique entre les agents de Pôle Emploi et les demandeurs d’emploi.
LES RÉORGANISATIONS SUCCESSIVES DE POLE EMPLOI NE SONT PAS SANS CONSÉQUENCE.
La direction de Pôle emploi a déjà fait évoluer à plusieurs reprises les métiers en son sein, en particulier avec une opportune spécialisation des fonctions absente à l’origine.
Elle cherche aujourd’hui encore à réorganiser les fonctions des personnels en poste. Elle a ainsi engagé un redéploiement des agents chargés de l’indemnisation des chômeurs (pour la plupart anciens personnels de l’Unédic) vers les activités de suivi et d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Cette transition se ferait : « de manière progressive, sur la base du volontariat ».
Les syndicats, ayant appelé à la grève, dénoncent la « dématérialisation à outrance et le lancement de « bob emploi »[5], dans une nouvelle tentative de substitution des conseillers par la machine et de mise à distance des usagers« .
Il est exact que la procédure « 100% web » mise progressivement en place au sein de Pôle Emploi a modifié profondément le rapport avec les demandeurs d’emploi. L’impact est fort pour tous les demandeurs d’emploi concernés par cette démarche, en particulier quand les chômeurs n’ont pas accès ou dominent mal Internet pour diverses raisons, mais aussi lorsqu’ils dominent le web, tout en ayant besoin de dialogues et d’échanges dans leur accompagnement.
En 2017, Pôle emploi compte généraliser les rendez-vous par webcam entre les conseillers et les demandeurs d’emploi…
Or le numérique n’est pas seulement, comme le dit la direction de Pôle emploi, « un outil de plus », mais s’avère être très concrètement un outil de substitution à la relation en face à face.
La digitalisation accélérée des procédures de Pôle emploi répond à un impératif financier (pour faire une économie) et non comme une réponse aux besoins des demandeurs d’emploi dans leur très grande majorité…
Cette évolution n’est pas propre à Pôle emploi, on la retrouve dans l’évolution de l’accueil de la plupart des services publics français, avec les mêmes conséquences négatives, par exemple dans la réduction de l’accueil aux Caisses d’allocations familiales (CAF) qui vient d’être opéré.
La dématérialisation des services publics doit être davantage maitrisée.
L’équilibre et la complémentarité entre l’approche digitale et le contact physique avec les personnels des services publics doivent être réalisés. Si des excès ont été commis, il faudra accepter de revenir vers une offre de services publics adaptée à chaque public et visant la qualité.
POLE EMPLOI RESTE LÉGITIMEMENT UN SUJET DE DÉBATS ET ASPIRE A UNE NOUVELLE ORIENTATION
Les orientations de la direction de Pôle emploi, depuis sa création, apparaissent, à la plupart des professionnels de l’emploi et de la formation, comme accordant une priorité à la gestion financière plutôt qu’à la performance de la structure. Les questions budgétaires priment (c’est la gestion de la « boutique »). Les résultats de la structure viennent loin après d’où une insatisfaction quant au service reçu, un allongement de la durée d’inscription, un faible taux de placement des chômeurs par l’organisme… Il y a eu une réelle rupture de l’état d’esprit et des priorités entre la période de la fin de l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE) et celle ouverte par la création de Pôle emploi, après la fusion avec la gestion de l’indemnisation-chômage.
Pour résumer « de manière un peu caricaturale », Pôle emploi gère efficacement l’assurance chômage, a une activité trop limitée en termes de relation avec les entreprises (collecte d’offres d’emploi), oriente professionnellement des chômeurs, mène une activité ponctuelle en termes d’accompagnement, direct et via des prestataires, prescrit des formations de qualité variée, et, enfin, se trouve en fin de compte à l’origine d’une faible part des sorties de demandeurs d’emploi… L’organisation actuelle n’est pas satisfaisante. L’évolution de Pôle Emploi nécessite un nouveau souffle.
Une nouvelle période devrait s’ouvrir au terme des débats aujourd’hui ouverts, en tenant compte de la situation et du bilan, pour refonder Pôle Emploi.
[1] Ces quatre syndicats sont le SNU-FSU, Force Ouvrière, la CGT et Solidaires !, ces syndicats représentent à eux quatre 46% des personnels de Pôle emploi, suite aux élections de 2016.
[2] Cette mobilisation s’opère autour de plusieurs revendications de nature assez différente pour obtenir : « La fin de tout processus de régionalisation et de privatisation, la défense du caractère public et national de Pôle emploi ; La défense de nos missions de service public et de protection sociale collective dans le cadre du régime d’assurance chômage, le maintien des activités de Pôle emploi telles que prévues par la loi de fusion du 13/02/2008 ; L’arrêt de la sous-traitance et la ré-internalisation de toutes nos activités ; La reconnaissance et l’évolution de tous nos métiers dans le respect de nos expertises, qualifications et identités professionnelles ; Le maintien des effectifs et l’embauche de tous les personnels en CDI ; L’amélioration de nos conditions de travail et de la qualité du service rendu aux usagers (demandeurs d’emploi, entreprises, salariés…) ; Une augmentation générale des salaires et traitements (point d’indice et point salaire) ; La conciliation de la vie professionnelle et personnelle pour tous les salariés : formations au plus proche des territoires, respect des accords en vigueur (OATT) ».
[3] L’appel à la grève vise à « défendre le caractère public et national de Pôle emploi« .
[4] Evolution du nombre des inscrits à Pôle emploi entre mai 2012 et janvier 2017 (chiffres DARES)
Catégorie A | Catégorie B | Catégorie C | Catégories A, B, C | Catégorie D | Catégorie E | Toutes catégories | |
Mai 2012 | 3 159 700 | 589 400 | 876 700 | 4 625 800 | 253 300 | 381 200 | 5 260 300 |
Janvier 2017 | 3 724 000 | 735 300 | 1 328 900 | 5 788 200 | 348 100 | 442 100 | 6 578 400 |
Augmentation | +564 300 | +145 900 | +452 200 | +1 162 400 | +94 800 | +60 900 | +1 318 100 |
en % | +18% | +25% | +52% | +25% | +37% | +16% | +25% |
[5] https://www.bob-emploi.fr/ est une plateforme numérique destinée à accompagner les demandeurs d’emploi. Elle a été développée par l’association loi de 1901, Bayes Impact, en partie financée par Pôle emploi. La raison du choix fait par la direction de Pôle emploi de ce site Internet, plutôt que d’un autre acteur site privé déjà existant, reste mystérieux. Cette association affiche tout simplement son ambition de « CONSTRUIRE LE FUTUR DU SERVICE PUBLIC » !
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