De « nombreuses mesures » ont été annoncées par le gouvernement pour « transformer l’apprentissage » le 9 février. Il s’agit là d’une présentation des pistes et beaucoup de précisions manquent encore, suite à cette déclaration pour savoir qu’elles seront les règles du jeu.
LA PRÉSENTATION DES PISTES DE RÉFORME DE L’APPRENTISSAGE S’ACCOMPAGNE D’UN DISCOURS INEXACT.
Les chiffres annoncés, par la ministre du Travail, sur l’insertion professionnelle des apprentis n’ont pas vraiment de signification[1], dans la mesure où ils oublient les jeunes qui abandonnent leur contrat d’apprentissage (plus de 28%) comme tous ceux qui choisissent une poursuite d’études postérieure, ce qui heureusement intervient fréquemment. Le taux d’insertion professionnel à 6 mois ne concernent que moins de la moitié des jeunes ayant signé un contrat d’apprentissage.
De plus, présenter l’apprentissage comme un moyen d’insertion professionnelle constitue une profonde erreur. Le premier objet est l’obtention d’un diplôme et d’une qualification professionnelle, principalement dans le cadre d’une formation initiale. Cette approche « ministère du Travail » s’oppose à l’approche « formation initiale » du ministère de l’Éducation nationale et de celui de l’enseignement supérieur.
La ministre du Travail avait évoqué une « révolution copernicienne »[2] ; elle n’est pas au rendez-vous. À la lecture des mesures promises, on note juste des ajustements, sans doute positifs, mais ceux-ci ne devraient avoir que des effets limités sur le développement de l’apprentissage.
LA RÉFORME DE L’APPRENTISSAGE S’ORGANISE AUTOUR D’UN PROJET BUDGÉTAIRE
La réforme de l’apprentissage s’organise autour de mesures concernant, en tout premier lieu : les jeunes, les employeurs du secteur privé (entreprises comme associations) et les responsables des Centres de formation des apprentis. Mais ils intéressent également les partenaires sociaux, les conseils régionaux, les ministères concernés… La réforme dessinée s’attache à répondre aux préoccupations de toutes les parties et indique des choix.
Pour les jeunes, l’augmentation de 30 € de la rémunération des apprentis de 15 à 17 ans, l’attribution d’une aide de 500 € pour les « 18 ans et plus » pour passer leur permis de conduire ou le bénéfice des avantages étudiants (culture, sport, transport…), qui existent déjà pour la plupart, seront les bienvenus, mais ils ne changeront rien en profondeur. De même, l’accès à ERASMUS[3], qui est évoqué, existe déjà. Les mesures en faveur des « apprentis en rupture de contrats en cours d’année »[4] ou bien des jeunes qui « souhaitent s’orienter vers l’apprentissage, mais ne disposent pas des connaissances et des compétences requises », via des « prépas-apprentissage » constituent des ajustements, certes utiles pour les jeunes, mais qui visent à mettre de l’huile dans les rouages. Le rappel de l’importance d’une bonne orientation des jeunes vers l’apprentissage est le bienvenu. Mais les outils concrets nécessaires pour y parvenir restent à fonder avant toute diffusion. L’approche critique de l’orientation scolaire des jeunes reste à mener[5] et à gérer, de préférence en dehors de l’éducation nationale : un gros chantier en perspective[6].
Également pour les jeunes, les mesures les plus significatives pour le développement de l’apprentissage portent sur ses frontières avec une ouverture potentielle à des jeunes jusqu’à 30 ans, au lieu de 26 ans aujourd’hui ; le recrutement possible en cours d’année ; la modulation de la durée du contrat d’apprentissage « pour tenir compte du niveau de qualification déjà atteint par le jeune ».
Pour les employeurs, plusieurs mesures sont destinées à encourager l’accueil des apprentis : simplification de la procédure d’enregistrement du contrat d’apprentissage, révision de la réglementation des conditions de travail afin de faciliter l’emploi des jeunes apprentis dans l’entreprise (par exemple, pouvoir passer l’apprenti à 40 heures), etc. Quant à la simplification de la possibilité de rupture des contrats par les employeurs, elle facilitera sans doute à la fois les embauches et les sorties du contrat d’apprentissage ; il est difficile d’en prévoir le résultat. L’unification des aides aux employeurs, qui accueillent des apprentis, est une bonne chose. Mais le choix de cibler les aides à l’embauche des apprentis uniquement sur les diplômes jusqu’au bac, constitue une confirmation de l’orientation politique antérieure en faveur de l’apprentissage infra bac. C’est un frein à son développement.
Pour les CFA, l’impact de la réforme devrait être pluriel[7] : en bien, par une liberté de développement de formations ; de manière incertaine, par un financement selon le nombre de contrats d’apprentis[8] ; en contrainte, par les contrôles auxquels ils devront être soumis a posteriori pour justifier leur activité.
Enfin, le financement et la gouvernance devraient évoluer[9]. La réforme, si elle est confirmée en ces termes dans le projet de loi, devrait donner la main aux branches professionnelles de préférence aux conseils régionaux ; un transfert budgétaire est promis. Ces derniers conserveraient un budget, des possibilités d’intervention, ou plutôt de régulation, du système libéral mis en place.
Les organisations patronales sont globalement satisfaites de ce projet de réforme qui leur apporte davantage de pouvoir et de liberté d’action dans le domaine de l’apprentissage. Mais la vraie condition de réussite dépend des carnets de commande des entreprises…
LES OBJECTIFS, COMME LE CADRE POLITIQUE, MANQUE À CE STADE AU PROJET DE RÉFORME DE L’APPRENTISSAGE
L’absence d’une définition nationale des objectifs en matière de formation : matière, métiers, contenus… manquent. Le renvoi aux branches professionnelles intrigue dans le contexte actuel de diplômes nationaux d’État. Il est dit que « Les partenaires sociaux coécriront les diplômes professionnels avec l’État. », cela reste à concrétiser en particulier dans le secteur des nouvelles technologies.
Les mesures politiques nécessaires pour ouvrir la porte à un développement de l’apprentissage comme la relation entre lycées professionnels et CFA ou bien le financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur ne sont pas évoquées.
LIRE LE BILLET : « Quelles vraies mesures politiques s’imposent pour développer l’apprentissage ? » http://bit.ly/2GVERSl
EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE
Le transfert aux branches professionnelles de l’apprentissage est le prix payé par le gouvernement pour sa future prise de contrôle de l’assurance chômage. Le tout figurera dans le même projet de loi. Il n’y a pas d’autre logique à chercher…
Reste à savoir comment vont se présenter exactement les décisions sur la formation professionnelle et le nouveau système d’indemnisation chômage.
La formation professionnelle des chômeurs reviendra-t-elle bien aux seules régions « en compensation » ?
[1] Lors sa visite d’un CFA du Tarn, Muriel Pénicaud a déclaré que l’apprentissage était un « véritable ascenseur social et tremplin formidable pour les carrières professionnelles avec l’assurance pour 70 % des élèves de trouver un travail en CDI ».
Il s’agit clairement d’une « fausse nouvelle » : d’une part, le taux de 70% est faux et, d’autre part, la qualité de CDI l’est également.
[2] « Notre pays a besoin d’une transformation de la formation professionnelle et d’une révolution copernicienne sur l’apprentissage. » (…) « Il ne s’agit pas de se limiter à une réformette, d’ajuster un peu le Meccano : ce serait se tromper de combat ». (JDD – 5 novembre 2017). Une « révolution copernicienne » évoque normalement par « le renversement de la représentation du monde et de l’univers ». On en est bien loin a priori.
[3] « 15 000 jeunes en apprentissage par an pourront bénéficier du programme Erasmus de l’apprentissage pour effectuer une partie substantielle de leur formation dans un autre pays d’Europe. »
[4] Cette disposition a déjà été mise en place, au moins sur le plan théorique.
[5] « Toutes les familles et tous les jeunes bénéficieront d’une information transparente sur la qualité des formations en apprentissage qu’ils peuvent choisir » et « Tous les jeunes bénéficieront de plusieurs journées annuelles d’information sur les métiers et les filières en classe de 3ème, 2nde et 1ère ».
[6] « La qualité des formations dispensées par les CFA sera renforcée par un système de certification. »
[7] « Les CFA pourront développer rapidement et sans limites administratives les formations correspondant aux besoins en compétences des entreprises du territoire. »
[8] Ce mécanisme, de paiement à la prestation, jouera contre les « petits » CFA et/ou les formations à faibles effectifs. Certains d’entre eux disparaitront sans doute.
[9] Une « contribution alternance », égale à 0,85 % de la masse salariale des sociétés, serait versée par les employeurs du privé en faveur des contrats d’apprentissage et des contrats de professionnalisation. Elle prendrait la place de l’actuelle « taxe d’apprentissage ». Le produit de cette contribution, de plus de 4 milliards d’euros, serait versé intégralement aux CFA, sur la base du nombre de contrats signés avec des jeunes.
Un commentaire to “La « transformation » de l’apprentissage ne semble pas porteuse d’une grande ambition.”
12 février 2018
DARANTIÈRE ChristianLes « passerelles vers l’apprentissage » et des dispositifs de « prequalification » existent déjà, et en (petite) partie financés par le hors quota de la taxe d’apprentissage. Si on supprime cette ressource, qu’adviendra-t-il aux structures qui préparent les jeunes les plus éloignés de l’apprentissage ?