L’insertion professionnelle fait partie des missions des enseignants-chercheurs, mais il ne suffit pas de le décréter pour que cela fonctionne …
La version modifiée par le décret n°2009-460 du 23 avril 2009 du décret de 1984 sur le statut des enseignants-chercheurs[1] précise dans son article 3 que : « Les enseignants-chercheurs participent à l’élaboration, par leur recherche, et assurent la transmission, par leur enseignement, des connaissances au titre de la formation initiale et continue incluant, le cas échéant, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Ils assurent la direction, le conseil, le tutorat et l’orientation des étudiants et contribuent à leur insertion professionnelle. Ils organisent leurs enseignements au sein d’équipes pédagogiques dans tous les cursus universitaires et en liaison avec les milieux professionnels. Ils établissent à cet effet une coopération avec les entreprises publiques ou privées. »
Ce décret fixe, depuis plus de cinq ans, des obligations aux enseignants-chercheurs (2009-2014) mais la concrétisation n’est pas au rendez-vous.
Notons que pour les professeurs des universités, cette obligation est nuancée en quelque sorte par la priorité exposée dans le dernier alinéa de l’article 3 qui précise que « Les professeurs des universités ont vocation prioritaire à assurer leur service d’enseignement sous forme de cours ainsi que la direction des unités de recherche. »
Les attitudes des enseignants-chercheurs sont variées. De manière un peu caricaturale, on peut relever trois types de positionnement vis-à-vis de cette mission de contribution à l’insertion professionnelle des étudiants.
- Un noyau dur refuse la dimension « insertion » de leur métier d’enseignant et de chercheur. Ils tournent le dos à toute initiative en faveur de la contribution à l’insertion professionnelle de leurs étudiants. Leurs raisons sont diverses, elles peuvent être purement idéologiques (volonté de ne pas avoir de contact avec des employeurs ; ce n’est pas la vocation de l’université) ou motivées par l’absence des connaissances nécessaires ou simplement induites par le ressenti d’un simple manque de temps par rapport à leurs activités de recherche et d’enseignement.
- Une moitié des enseignants-chercheurs adopte une attitude floue, marquée d’un côté par une acceptation de principe de cette mission nouvelle, qu’ils défendent même à l’occasion au niveau du discours mais sans aucune implication réelle dans les faits. Cette mission est admise mais n’est pas une priorité.
- Une minorité des enseignants participe activement à des actions en faveur de la préparation à l’insertion professionnelle des étudiants, au moins pour une période donnée mais souvent, malheureusement, sans grande continuité.
Cette vision du degré d’engagement des enseignants-chercheurs est partagée par une bonne part des personnels des services en charge de la préparation à l’insertion professionnelle dans les universités : personnels des Bureaux d’Aide à l’Insertion Professionnelle (BAIP), SCUIO, etc. qui peinent généralement à mobiliser des enseignants dans tous les cursus de l’université[2].
La proportion entre ces trois attitudes diffère selon les établissements, les disciplines et les cycles d’études mais, pour donner un ordre d’idée[3], on pourrait classer les enseignants chercheurs comme suit :
- 30% dans le camp du refus affiché,
- 50% restant dans le flou sans participation active,
- 20% dans la contribution à l’insertion professionnelle des étudiants et actifs, au moins un moment.
Cette proportion a évoluée, évolue et évoluera à condition de travailler sur le sujet.
Le paradoxe veut que des enseignants-chercheurs aient développé et suivi, en liaison avec les services des universités, des projets remarquables, mais, que dans de nombreux cas, ceux-ci ne touchent qu’un faible nombre d’étudiants et ne soient pas pérennes.
Dans de nombreux cas, les universités présentent des « Bonnes pratiques » ponctuelles sur les succès desquelles elles communiquent largement mais qu’aucun schéma général s’appliquant à tous les étudiants n’existe qu’il s’agisse de ceux qui réussissent et obtiennent leurs diplôme, comme de ceux qui échouent.
Quelle université propose aujourd’hui une préparation à l’insertion professionnelle à l’ensemble de ses étudiants avant l’obtention de leur Licence ou de leur Master 2 ?
En ce qui concerne la place des enseignants chercheurs sur ce sujet, deux questions doivent être posées :
- Quels types d’interventions devraient avoir les enseignants-chercheurs, dans leur discipline ou en dehors de celles-ci pour contribuer à la préparation de l’insertion professionnelle de leurs étudiants ? La répartition des rôles entre personnels des services des universités dédiés à l’insertion, enseignants-chercheurs, intervenants externes à l’université, personnels du service public de l’emploi, etc. doit être fixée par la stratégie de chaque COMUE (ou université) avec « l’obligation » de proposer des services à l’ensemble des étudiants…
- En fonction de la réponse à cette première question, quelle formation devraient recevoir les enseignants-chercheurs pour intervenir avec compétences sur des sujets comme le marché de l’emploi, les modes de recrutement, la valorisation des compétences, les débouchés constatés de leurs étudiants, etc.
La plupart des enseignants n’ont jamais travaillé en entreprise et cette dimension de leur métier n’est pas pleinement assumée. L’acquisition, si nécessaire, d’une culture économique générale et d’une culture sur l’entreprise en particulier permettrait d’améliorer l’accompagnement des étudiants dans leur projet professionnel. Dans ce cas, un programme minimal de formation s’impose.
La participation active des enseignants chercheurs à la préparation des projets professionnels de leurs étudiants reste encore un vrai sujet de débat.
[1] Décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences.
[2] Il faut noter que d’autres personnels s’engagent dans des chantiers proches comme les Services de formation continue, en particulier afin de développer l’alternance dans les universités, ou dans les observatoires en charge de l’insertion professionnelle des étudiants (c’est d’ailleurs une activité de recherche et non directement d’insertion).
[3] Ce chiffrage, issu des expériences et des nombreux échanges que j’ai pu avoir, est totalement subjectif. Aucune étude sur l’engagement des enseignants-chercheurs ne me semble avoir été réalisée sur cette question. Il est donc sujet à débat.
2 commentaires to “Quelle implication des enseignants dans l’insertion des étudiants ?”
1 décembre 2014
RobertBonjour,
D’où proviennent les chiffres fondant vos statistiques, svp ?
Merci
4 décembre 2014
Daniel LamarIl ne s’agit pas de statistiques. Sur cette question, une enquête déclarative n’aurait que peu de signification.
Mon propos synthétise les témoignages de nombreux responsables et personnels des BAIP avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger au niveau national.
Beaucoup d’entre eux font part du faible retour de la part des composantes des universités et des enseignants-chercheurs en général voire de l’opposition de principe d’une part significative des enseignants chercheurs quand à leur implication dans cette mission de préparation à l’insertion professionnelle des étudiants.
Peut-être serait il plus précis de parler d’une forte minorité en opposition frontale, d’une moitié environ en accord théorique mais sans aucun engagement réel et d’une petite minorité ayant un engagement sérieux mais non pérenne sans annoncer de % précis. Dont acte.