France Stratégie[1] et par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) mènent, depuis la fin des années 1990, des travaux de prospective des métiers et qualifications[2]. Ils viennent de présenter[3] un rapport de prospective nationale des métiers et des qualifications intitulé : « Les Métiers en 2022 » qui porte sur les évolutions de l’emploi et du marché du travail dans les années à venir.
LES AMBITIONS DE CE RAPPORT SERONT-ELLES ATTEINTES ?
Cette étude a pour ambition de « nourrir les travaux de programmation des formations, éclairer les choix individuels, permettre une meilleure anticipation des mutations économiques et fournir des informations susceptibles d’améliorer la fluidité du marché du travail ».
La question est de savoir si les acteurs publics s’emparent réellement de ces informations pour faire évoluer les formations et pour nourrir la production d’informations nécessaires à l’orientation.
La réponse à cette question est connue et elle est le plus souvent négative. Pour ne prendre qu’un exemple, il suffit de constater la faible évolution des bacs professionnels et le maintien de mention à très faibles débouchés. Il faut savoir répondre à des questions comme : « Comment ferme-t-on une formation ? » ou « Comment fermer des lycées professionnels qui prodiguent une formation initiale pour permettre le développement de l’apprentissage ? »
Enfin, notons que le rapport en lui-même est destiné à des professionnels et des experts, mais en aucun cas au grand public.
LES INFORMATIONS DU RAPPORT ONT UNE VALEUR RELATIVE.
Ce rapport est présenté avec des réserves tout à fait normales : « La publication de ces résultats constitue une responsabilité importante vis-à-vis de tous les utilisateurs potentiels, qui doivent être conscients de l’incertitude qui entoure ces projections. » (…) « La publication de ces résultats constitue une responsabilité importante vis-à-vis de tous les utilisateurs potentiels, qui doivent être conscients de l’incertitude qui entoure ces projections ».
Il est dommage que certains journalistes présentent, à l’occasion d’émission d’informations, les résultats de ce rapport comme des certitudes. Il est assez fréquent d’entendre des « raccourcis » simplistes, voire informations inexactes, sur des questions relatives à l’emploi. Le pire étant sans doute le recours à des micros-trottoirs pour juger de la situation de l’emploi ! Par exemple, cela a été le cas très récemment à l’occasion de la présentation de l’enquête de Pôle Emploi sur les prévisions d’embauche en 2015 ; les prévisions à un instant « t » ne sont pas des recrutements effectifs sur des offres d’emploi précises.Ce sujet seul mériterait quelques articles pour épingler les interprètes de fausses informations sur l’emploi.
DES TENDANCES STRUCTURELLES APPARAISSENT
Les travaux ont permis d’identifier plusieurs tendances structurelles portant sur :
- une tertiarisation de l’emploi, avec de fortes créations d’emplois dans les professions de santé (à l’exception des médecins), des services aux personnes et des services à l’industrie,
- une progression de la proportion des femmes en emploi, avec l’atteinte d’un seuil de 49% de femmes pour 51% d’hommes en 2022,
- une relative polarisation de l’emploi vers les deux extrémités de l’échelle des qualifications[4], avec le développement d’emplois à basse (infra bac) et à haute qualification (master2) et le recul des métiers intermédiaires à qualification intermédiaire.
LES DONNÉES CONJONCTURELLES ONT CONDUIT À TROIS HYPOTHÈSES ET A DES CHIFFRES CLES
Cette prospective des métiers a fait l’objet selon trois scénarios macroéconomiques pour les prochaines années[5] : « un scénario central correspondant à une sortie de crise progressive, contrainte par l’ajustement des finances publiques, un scénario « de crise » envisageant une dégradation tendancielle de la compétitivité, et un scénario « cible » de rebond de l’économie française. »
Ces scénarios tiennent tous trois compte du contexte macroéconomique marqué par :
- un contexte conjoncturel particulièrement incertain,conséquence d’une crise économique et financière d’une ampleur exceptionnelle non stabilisée,
- une accélération des départs en retraite tenant compte des données démographiques[6]. L’augmentation des départs en retraite pourrait être de l’ordre de +10%. Mais, il faut également compter avec l’augmentation des effectifs de la population active.
Selon le scénario envisagé, entre 735 000 et 830 000 postes par an seraient à pourvoir entre 2012 et 2022. On se situe donc entre le maintien de la situation actuelle avec un taux de chômage de 10% et une baisse du taux autour de 8%, accompagné d’une baisse du chômage.
Environ 80 % de ces « postes à pourvoir » correspondent à des départs en retraite, les autres reposent sur des créations nettes d’emploi. Entre 115 000 et 212 000 créations nettes d’emplois par an seraient envisagées.
Cette prévision porte sur la période de 2016 à 2022 puisque nous sommes encore en négatif pour 2015 en matière de création nette d’emploi. C’est dire que sur 7 ans, sur la base de ces chiffres du rapport, on pourrait attendre la création de 800 000 à 1 500 000 nouveaux postes (1,2 millions en hypothèse moyenne). Ces hypothèses ne sont pas très optimistes, si l’on compare avec la période entre 2005 et 2008, durant laquelle plus de 300 000 emplois étaient créés chaque année.
Les évolutions de l’emploi dans 19 domaines professionnels sont décrites. Chaque secteur est défini par ses effectifs actuels, son évolution envisagée d’ici à 2022, l’estimation des départs en retraite, le nombre de postes à pourvoir et les perspectives d’emploi.
Deux secteurs devraient être « très favorables » : santé, action sociale, culturelle et sportive ; métiers de services aux particuliers et aux collectivités. Trois autres « favorables » : hôtellerie, restauration, alimentation ; informatique ; gestion et administrations des entreprises. Ces données relatives aux différents domaines ne sont pas commentées dans le cadre de cet article.
Le « top 5 » des métiers qui devrait recruter comprend : les agents d’entretien, les aides à domicile, les enseignants, les cadres des services administratifs, comptables et financiers, et les aides-soignants. On retrouve là les métiers cités dans la synthèse Besoins en Main d’Œuvre (BMO 2015) de Pôle Emploi.
LE RAPPORT « LES MÉTIERS EN 2022 » SE CONCLUT SUR DES RECOMMANDATIONS
Quatre recommandations émergent du rapport.
- Le marché de l’emploi devrait être plus favorable à certains jeunes (surtout les diplômés à bac+5), mais nécessite de prévenir le décrochage scolaire et développer l’apprentissage dans les filières où il est encore peu développé.
- La fragilité au regard des évolutions d’emploi des espaces ruraux, des petites villes et des villes moyennes nécessite de conjuguer une économie dynamique portée par les métropoles et mettre en œuvre des mécanismes de diffusion de la croissance sur l’ensemble du territoire.
2. Des perspectives contrastées pour l’emploi des seniors, selon les métiers, appellent à des mesures favorisantle maintien et le retour dans l’emploi des seniors, au-delà du contrat de génération.
3. Le développement de la parité dans l’ensemble des catégories professionnelles demande un renforcement de la mixité dans les filières de formation et dans les emplois et valoriser l’accès des femmes à certains métiers aujourd’hui occupés majoritairement par des hommes, et réciproquement.
Chacune de ces recommandations nécessite un débat dans la mesure où il est difficile
- de réunir des domaines différents qui obéissent à des facteurs distincts (par exemple : « santé » et « action culturelle »),
- de ne pas tenir compte des réalités actuelles (par exemple, le recul des effectifs dans les services à la personne en 2014 et début 2015),
- de la difficulté à tenir compte du rythme de l’informatisation et de la robotisation de nombreux métiers,
- de prendre en compte l’impact des politiques publiques (par exemple l’impact de la réduction des dépenses publiques sur la masse salariale ou le recul possible de l’âge de départ en retraite à partir de 2017), etc.
Bref, faire de la prospective en matière d’emplois appelle à la modestie, mais il s’agit d’une recherche indispensable pour parvenir à cerner les facteurs qui jouent concrètement sur l’emploi.
[1] Précédemment, Commissariat général du Plan. Jean Pisani-Ferry est actuellement commissaire général de « France Stratégie ».
[2] Se sont investis dans cette réflexion collective, notamment l’Insee, la Direction générale du Trésor, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), Pôle emploi, le Conseil d’orientation des retraites (COR) ainsi que de nombreux observatoires prospectifs des métiers et qualifications de branches et les observatoires régionaux emploi formation (Oref).
[3] Publié le mardi 28 avril 2015 –http://www.strategie.gouv.fr/publications/metiers-2022-prospective-metiers-qualifications
- [4] « une forte progression de l’emploi dans les métiers très qualifiés (principalement les métiers de cadres), par une diminution du poids des ouvriers et des employés qualifiés et la relative stabilité de la part des ouvriers et des employés peu qualifiés. »
[5] L’actualisation des projections réalisée pour mieux prendre en compte le retournement conjoncturel observé en 2011.
[6] « Les nombreux départs en fin de carrière dans les prochaines années peuvent être anticipés avec un niveau d’incertitude relativement réduit, dans la mesure où les projections s’appuient sur les pyramides des âges propres à chaque métier ».
2 commentaires to “La prospective 2022 sur les emplois pose de bonnes questions.”
11 mai 2015
Les Métiers en 2022 : Prospective nation...[…] D'ici à 2022, 735 000 à 830 000 postes seraient à pourvoir par an, 80 % suite à des départs en retraite, 115 000 à 212 000 créations nettes par an envisagées […]
13 mai 2015
Michel AbherveJe partage tout à fait votre avis sur les dérives de certains médias
Mais il arrive que les producteurs d’informations en jouent . Je suis certain que l’étude BMO qui n’a qu’une valeur scientifique très faible et aucun rôle dans l’appui du travail de prospection de Pôle emploi (les conseillers n’ont pas les contacts) est maintenue dans un seul objectif de communication