Des présidents de Conseil régionaux souhaitent se saisir du cadeau empoisonné de l’emploi avec l’ambition d’obtenir des résultats. Mais on peut aussi déceler le lobbying d’opérateurs de placements, privés et marchands, qui cherchent des marchés pour leurs entreprises.
LE GOUVERNEMENT NÉGOCIE AVEC LES NOUVELLES RÉGIONS
La négociation engagée par le gouvernement avec les présidents de Région doit porter sur de nombreux sujets. Elles concernent en effet de nouvelles régions, de nouvelles équipes et de nouvelles compétences. Elle porte également sur les financements que l’État accordera aux Régions.
Les premiers échanges ont porté plus particulièrement sur les volets de la formation professionnelle, de l’apprentissage, voire du développement économique. Ces trois sujets relèvent effectivement des compétences inscrites dans la loi NOTRe de 2015.
Le gouvernement souhaite traiter en urgence la participation des régions au plan de formation de 500 000 demandeurs d’emploi en 2016 pour lequel il a, en quelque sorte, déclaré l’urgence.
En résumé, le gouvernement affirme pouvoir engager un financement de 1 milliard d’euros, issus d’économies budgétaires non précisées, et souhaite réorienter la politique de formation professionnelle des régions et des partenaires sociaux sur un public cible constitué par les demandeurs d’emploi au détriment des salariés en activité.
LA JUSTIFICATION DE L’OPPORTUNITÉ DES FORMATIONS PAR RAPPORT À DES EMPLOIS EXISTANTS EST ABSENTE.
Il n’existe d’ailleurs pas 500 000 postes non pourvus. Les chiffres affichés dans les discours ne répondent pas à la réalité du terrain, mais à une lecture statistique qui indique qu’à un moment donné des postes sont en cours de recrutement, et que ce recrutement est lent. Il existe des postes non pourvus, mais à l’examen ils sont assez peu nombreux.
Les discours actuels semblent indiquer que rien ne serait fait, c’est inexact. Le système pour former des chômeurs, géré par Pôle Emploi, fonctionne déjà. Il vise des personnes et, en regard, des postes à pourvoir.
Des dispositifs d’accès à ces emplois, comme le contrat de professionnalisation, existent et de nombreuses formations répondent aux demandes. Certes, il reste bien une marge de progrès (et il faut y répondre), mais elle s’élève tout au plus de quelques dizaines de milliers de formations supplémentaire en phase avec un poste.
Les freins aux formations nécessaires pour accéder à un emploi méritent toute l’attention, ils sont divers. Ils comprennent entre autres les réticences de demandeurs à se former. La démarche apparait plus qualitative que quantitative.
Il est certain que les formations pour permettre à un demandeur d’emploi d’accéder à un poste sont une excellente chose, faut-il encore qu’il ait des postes. Les formations supplémentaires de demandeurs d’emploi concerneraient des « métiers d’avenir », c’est-à-dire pour le dire très crument des métiers qui n’existent pas à ce jour et donc pas des emplois concrets !
DES PRÉSIDENTS DE RÉGION REVENDIQUENT UNE COMPÉTENCE SUR LES POLITIQUES DE L’EMPLOI
Face à cette demande du gouvernement, des présidents de Région revendiquent, en contrepartie, de nouvelles compétences en particulier en matière de gestion des retours à l’emploi. Ce mouvement s’appuie sur la volonté de ces collectivités locales de gagner en pouvoir au travers de nouvelles compétences. Elle se nourrit d’une critique radicale de Pôle Emploi et de l’ambition de « faire mieux ».
Les régions n’ont actuellement ni les compétences en interne, ni les moyens financiers de mener des actions d’accompagnement vers l’emploi.
Les régions ont, jusqu’à ce jour :
- Des résultats mitigés dans le domaine de la formation professionnelle (pour le dire avec courtoisie),
- Un nombre décroissant de contrats d’apprentissage et
- Une intervention sur le développement économique régional qui reste à développer, et souvent même à construire, sur la base de leur nouvelle compétence durant la durée du mandat engagé, en liaison avec les crédits mobilisés par l’État (BPI). Ce dernier objectif constitue un énorme chantier dans le contexte de faible croissance actuelle.
La priorité pour les équipes régionales semble être de gérer au mieux ces trois domaines et de faire valoir combien ils concourent au contexte des créations d’emploi, avant de prétendre a davantage de responsabilités.
Cette remarque ne prend pas en compte le fait que les politiques de l’emploi sont de niveau national et qu’il est peu concevable qu’elles soient différentes à Bordeaux et à Strasbourg dans l’intérêt de tous.
POURQUOI DES RÉGIONS DEMANDENT DE PORTER LE FARDEAU DE L’EMPLOI ?
La compétence emploi est un cadeau empoisonné, car rien n’assure réussite à celui qui la prend en charge, dans un contexte national et international qui lui échappe.
Parmi les motifs qui conduisent des présidents de Conseil régionaux à se saisir du cadeau empoisonné de l’emploi, il y a sans doute l’ambition d’obtenir des résultats symboliques pour convaincre les électeurs de la réussite de leur politique.
Dans la pratique, on peut y voir, sans doute, la pression plus pragmatique de certains opérateurs de placements, privés et marchands, qui cherchent des marchés pour leurs entreprises[1]. Ils sont parfois soutenus, au sein des conseils régionaux, par des conseillers des présidents qui leur sont proches.
Des entreprises privées marchandes aspirent à se développer en mettant en place en France un marché privé de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, comme il existe dans d’autres pays européens avec plus ou moins de succès. Elles rêvent de grands appels d’offres pour prendre en charge un million de demandeurs d’emploi, ou plus, en lieu et place de Pôle Emploi et de ses cotraitants (missions locales et Cap emploi). Cette question mériterait d’autres articles.
Dans la phase actuelle, les présidents de région apparaissent, face à l’État, comme le vecteur, conscient ou pas, de la privatisation des politiques de l’emploi.
Le gouvernement va accorder, dans les prochaines semaines, à certains présidents de régions (comme sans doute en Aquitaine, dans le Centre ou en Ile de France) la possibilité de mener des expérimentations dans le domaine de l’emploi. Reste à savoir jusqu’à quel point iront ces expérimentations, c’est là que réside la question…
Lire les articles déjà parus à ce propos sur ce blog : « L’OPA des régions sur l’emploi est-elle légitime ? » http://bit.ly/1IRL5OS et « L’OPA des régions sur l’emploi se poursuit… » http://bit.ly/1GFd6dT
[1] Les entreprises intéressées par la création d’un marché privé de l’emploi sont des entreprises de travail temporaire, des opérateurs de placement sous-traitants de Pôle Emploi, des cabinets de placement, des organismes de formation, etc.
Pas de commentaire sur “Pourquoi des régions demandent à porter le fardeau de l’emploi ?”