L’abandon des 61 principes figurant dans la première version du pré projet de loi a été annoncé le 14 mars 2016 par le premier ministre. On trouvera ci-dessous l’analyse qui en avait été faite par Maître Louis-Philippe BICHON.
LOI « TRAVAIL » : UN PROJET DE PRÉAMBULE SANS NOUVEAUTÉ
Le projet de préambule du nouveau Code du travail est constitué de 61 « principes » qui reprennent à l’identique les principes actuels du droit du travail et, surtout, qui n’annoncent strictement rien de nouveau.
Il est d’ailleurs permis de se poser la question de leur finalité puisqu’il suffirait de les énoncer comme c’est déjà le cas dans le code actuel.
S’agit-il vraiment de « principes » quand par exemple le n° 8 prévoit qu’« Il est interdit d’employer un mineur de moins de seize ans, sauf exception prévues par la loi », ou le n° 24 : « Le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur, du salarié ou d’un commun accord ».
Pourquoi élever au niveau de « principe » le n° 25 « Le salarié peut librement mettre fin au contrat à durée indéterminée » ? Et puis en quoi le n° 25 est-il différent du n° 24 ci-dessus ?
L’étrangeté du n° 33 a déjà été relevée : « La durée normale du travail est fixée par la loi. Celle-ci détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente. Tout salarié dont le temps de travail dépasse la durée normale a droit à une compensation ». Faut-il vraiment en déduire que travailler plus de 35 heures par semaine constituerait du travail anormal ? Il y aurait donc des travailleurs anormaux ? Plus sérieusement, comment le vocabulaire utilisé pour ce principe peut-il être compatible avec les principes politiques et juridiques d’un État de droit ? Y aurait-il une durée du travail naturelle ? Un droit naturel en République ? Autrement dit, que signifie « anormal » ? Pourquoi renoncer à la notion de durée légale ?
En tout cas, si, dans un premier temps, certains ont pu croire à la fin des 35 heures, d’autres ont pu être rassurés, car les déclarations gouvernementales récentes ont confirmé qu’il n’en était nullement question.
A l’identique de ce qui existe actuellement, le principe n° 56 prévoit « En cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement ».
Or, on nous avait annoncé le renversement de la hiérarchie des normes, autorisant notamment l’accord d’entreprise à se substituer à des normes nationales de branche ou du Code du travail. Là encore, rien de nouveau, le principe de faveur demeure. Ce n’est donc qu’à titre d’exception au principe, comme c’est déjà le cas aujourd’hui sur l’aménagement du temps de travail, que la loi n’aura qu’une valeur supplétive.
LE CHOIX D’INSCRIRE DES PRINCIPES DANS LE PRÉAMBULE DU CODE DU TRAVAIL CONSTITUE UNE TRÈS MAUVAISE NOUVELLE POUR LES ENTREPRISES.
A noter enfin, et c’est certainement le point le plus préoccupant, que le choix d’inscrire désormais des principes dans un préambule du Code du travail constitue une très mauvaise nouvelle pour les entreprises.
L’énoncé de chacune des 61 règles élevées au rang de principes suprêmes est par nature imprécis sur ses modalités d’application (exemple du principe n° 33 : « Tout salarié dont le temps de travail dépasse la durée normale a droit à une compensation »). Ils sont donc par définition sujets à diverses interprétations et donc à litiges.
L’expérience du développement des contentieux sur les principes de la Déclaration européenne des droits de l’homme ou de la Constitution, avec par exemple les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), atteste de ce nouveau type de risque[1].
Non pas qu’il soit illégitime, mais, en l’occurrence dans un domaine précis du droit, retirer à la loi son rôle de précision des règles applicables est à l’inverse de sa finalité, celle de sécurisation juridique des rapports contractuels.
En instituant désormais des principes généraux dans le Code du travail, au-dessus des lois et des normes conventionnelles de branche ou d’entreprise, le projet de refondation du Code du travail épaissit encore le « mille-feuille » pourtant largement dénoncé comme complexe et source de contentieux.
Les entreprises ne vont rien gagner parce que le droit du travail va imposer les mêmes contraintes et la même conception des rapports de travail, quel que soit le contenu exact de la version finale du projet de loi. Les salariés ne vont rien y gagner non plus.
[1] Pour donner un exemple très récent de procédure, le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la privation de l’indemnité compensatrice de congés payés en cas de licenciement d’un salarié pour faute lourde a déclaré cette privation inconstitutionnelle, dans sa décision du 2 mars 2016, car contraire à la Constitution et a ainsi invalidé la disposition concernée figurant à l’article L. 3141-26 du Code du travail.
Etant précisé pour les intéressés, compte tenu de la prescription en matière de salaire, que la nouvelle règle est aussi applicable sur les trois dernières années…
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