La loi de finances rectificative qui vient d’être adopté comporte la création d’une nouvelle mission budgétaire dédiée au soutien d’urgence à l’emploi et aux entreprises[1].
Cette mission comporte deux programmes du dispositif d’urgence :
* Le programme « Prise en charge du dispositif exceptionnel de chômage partiel à la suite de la crise sanitaire » concerne le financement du dispositif rénové de soutien à l’activité partielle (Programme n° 356) ;
* Le programme « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire » est consacré au financement du fonds d’indemnisation des très petites entreprises cofinancé avec les collectivités territoriales. (Programme n° 357).
La Mission dispose d’un budget de 6,25 Md€ dont 5,5 Md€ pour le programme « chômage partiel » et 0,75 Md€ pour le Fonds de solidarité pour les entreprises[2].
LE PROGRAMME « CHÔMAGE PARTIEL » EST IMPORTANT, MAIS NON CIBLÉ
Le Programme n° 356 vise la « Prise en charge du dispositif exceptionnel de chômage partiel à la suite de la crise sanitaire ». Il est composé de la seule action : « Favoriser le recours à l’activité partielle pour prévenir les licenciements ».
L’action sera cofinancée par l’Unédic :
« La prise en charge de l’État s’élève aux deux tiers du coût total de l’activité partielle, l’Unédic prenant en charge un tiers de celui-ci selon des modalités déterminées par convention. »
Ce qui aboutit au tableau suivant de répartition du budget.
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Cette décision implique une profonde modification de la prévision budgétaire 2020 de l’Unédic et une nouvelle augmentation de sa dette, renvoyant la perspective de l’équilibre à plus loin.
L’exposé des motifs cite « une estimation du volume d’heures indemnisées à hauteur de 15% des heures travaillées pour une durée de deux mois ». Elle traduit bien le flou du volume.
Les dispositions évoquées viseraient que l’allocation versée par l’État à l’entreprise soit proportionnelle aux revenus des salariés placés en activité partielle, dans la limite d’un plafond de 4,5 SMIC. Cette mesure d’activité partielle devrait permettre de diminuer le reste à charge pour l’entreprise et ainsi d’éviter tout licenciement consécutif aux difficultés économiques générées par la crise sanitaire.
L’ACCEPTATION DES DEMANDES D’INDEMNISATION POUR CHÔMAGE PARTIEL NE VA PAS ÊTRE AUTOMATIQUE
Dans la pratique les choses ne vont pas se dérouler comme annoncé, car le nombre des demandes augmente rapidement, même si les chiffres ne sont plus communiqués par le ministère du Travail.
Certains évoquent près de 26 000 entreprises ayant effectué des demandes de chômage partiel pour 560 000 salariés. D’autres échos parlent de 2,2 millions de demandes…
Compte tenu du nombre de dossiers de chômage partiel déposés, l’enveloppe de 8,2 Md€, sur deux mois, sera insuffisante pour répondre positivement aux demandes des entreprises. Or le texte de loi ne prévoit pas de critères de ciblage.
L’État aurait demandé aux Direccte de contrôler les conditions d’accès à l’indemnisation du chômage partiel sur des bases, ou instructions, encore inconnues[3]. Par exemple, les entreprises de restauration rapide n’auraient pas accès au chômage partiel, selon certains témoignages.
Le problème provient du fait que les entreprises, dont l’activité serait possible, sont aujourd’hui naturellement tenues à respecter des règles de sécurité dont les moyens (masque, gel, etc.) ne sont pas disponibles, au-delà des absences justifiées et du droit de retrait exercé par des personnels.
Des syndicats interviennent en faveur de la fermeture de leur entreprise dans l’intérêt des salariés.
Les chefs d’entreprises se trouvent pris entre des injonctions du gouvernement à poursuivre, ou redémarrer, leurs activités et les conséquences des règles qui ont été préalablement instaurées par le même gouvernement dont les salariés et les syndicats demandent le respect.
La situation aboutit à de nombreuses impasses, alors que l’épidémie continue à d’étendre.
LE FONDS DE SOLIDARITÉ POUR LES ENTREPRISES EST CIBLE DE MANIÈRE ASSEZ PRÉCISE VERS LES ACTIVITÉS TOUCHÉES OU INTERDITES.
Le Programme n° 357 : « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire » est lui ciblé de manière assez précise.
Il vise à soutenir de très petites entreprises indépendantes appartenant aux secteurs qui sont particulièrement touchés, tels les secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie et de l’organisation d’évènements qui font face à une baisse très importante de leur activité.
Il concerne les entreprises touchées par les mesures d’interdiction du public prévues par l’arrêté du 14 mars 2020 :
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Salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple,
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Centres commerciaux,
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Restaurants et débits de boissons,
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Salles de danse et salles de jeux,
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Salles d’expositions,
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Établissements sportifs couverts et
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Musées.
Ce programme pose moins de problème, reste à connaitre ses modes de mise en œuvre.
CALCULS JUSTIFICATIFS
ESTIMATION DU COUT DE L’INDEMNISATION DU CHÔMAGE PARTIEL VARIE SELON LE NOMBRE DE PERSONNES ET LA DURÉE DE CETTE SITUATION.
Le tableau du budget d’indemnisation du chômage partiel selon la durée et le nombre de bénéficiaires indique les situations potentielles de dépassement du budget initial de 8,2 Md€.
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Le chiffre évoqué dans l’exposé des motifs du projet de loi est de 15% des salariés du privé en chômage partiel, c’est-à-dire de l’ordre de 3 millions de personnes en chômage partiel. Pour 3 millions de personnes en chômage partiel pendant une durée de 6 semaines (avec un coût de 8,76 milliards d’euros).
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Le chiffre de 2,2 millions de personnes au chômage partiel a été évoqué. Pour 2,2 millions le budget serait dépassé sur 8 semaines (8,56 milliards)
La base retenue est de 35 heures pour l’indemnisation selon le texte.
Nombre de semaines |
Nombre d’heures |
Montant par personne |
Nombre de bénéficiaires / Montant en Md€ |
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2 200 000 |
3 000 000 |
3 500 000 |
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4 |
140 | 1 946 € |
4,28 |
5,84 |
6,81 |
6 |
210 | 2 919 € |
6,42 |
8,76 |
10,22 |
8 |
280 | 3 892 € |
8,56 |
11,68 |
13,62 |
10 |
350 | 4 865 € |
10,70 |
14,60 |
17,03 |
12 |
420 | 5 838 € |
12,84 |
17,51 |
20,43 |
Pour une population salariée du secteur privé de 19,7 millions, 10% de la population concernée correspond à 2 millions et 15% à 3 millions de personnes.
Le calcul qui précède semble réaliste. A ce jour, la durée semble devoir dépasser 4 semaines et le nombre de personnes concernées les 3 millions.
[1] « Cette mission a vocation à être temporaire, afin de couvrir les conséquences économiques durant toute la période de la crise sanitaire que connaît le pays. Elle fait l’objet d’objectifs de performance et d’indicateurs détaillés en annexe au présent projet de loi. »
[2] Nouvelle Mission et Programmes
Mission / Programme |
Autorisations d’engagement supplémentaires ouvertes |
Crédits de paiement supplémentaires ouverts |
Prise en charge du dispositif exceptionnel de chômage partiel à la suite de la crise sanitaire |
5 500 000 000 € |
5 500 000 000 € |
Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire |
750 000 000 € |
750 000 000 € |
Plan d’urgence face à la crise sanitaire |
6 250 000 000 € |
6 250 000 000 € |
[3] L’État tient-il un double langage aux Français ? – La Tribune – Par Michel Cabirol | 22/03/2020 – https://bit.ly/3b9IXoe
« Résultat, de l’aveu même de chefs d’entreprise interrogés par La Tribune, les services régionaux du ministère du Travail (Dirrecte), « sur instruction, refusent un maximum de dossiers » aux entreprises, qui souhaitent bénéficier des mesures de chômage partiel. Les conditions d’accès (…) sont durcies. »
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