Dans la loi du 6 août 2019 de « transformation de la fonction publique », l’axe 4 vise à favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics dans la fonction publique et le secteur privé.
Il s’agit, en particulier, de favoriser la rupture conventionnelle de la relation de travail et droit à l’allocation de retour à l’emploi[1], dans les trois fonctions publiques.
Ce dispositif des ruptures conventionnelles commence à prendre forme, avec la publication des décrets du 31 décembre 2019[2] précisant la procédure et l’indemnité, puis de l’arrêté du 6 février 2020 fixant les modèles de convention entre les deux parties.
Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle politique RH des fonctions publiques, dont l’objet initial a en grande partie été abandonné, depuis le début du quinquennat (réduction des effectifs, etc.). Il apparait comme une trace d’un grand projet abandonné ![3]
LA RUPTURE CONVENTIONNELLE S’INVITE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
Ce dispositif s’adresse :
- Aux agents contractuels en contrat à durée indéterminée (CDI) et
- Aux fonctionnaires, mais juste à titre expérimental, sur la période du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025.
Il concerne les agents de l’État et de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, ainsi que des établissements relevant de la fonction publique hospitalière.
Ce dispositif vise à la conclusion d’un accord entre un fonctionnaire et son employeur pour quitter l’administration, en percevant une indemnité de rupture et une indemnisation chômage. Le bénéficiaire d’une rupture conventionnelle s’engage à ne pas revenir dans la fonction publique avant six ans, sauf à rembourser l’indemnité perçue.
Le fonctionnaire disposerait d’une indemnisation chômage potentiellement de deux ou trois ans sans voir cotisé au régime, ce qui suppose a priori une prise en charge du financement par l’État.
LES DEMANDES DE RUPTURES CONVENTIONNELLES SERAIENT NOMBREUSES
Le ministre en charge de la fonction publique a évoqué une fourchette estimative de 4 à 5 000 demandes de rupture conventionnelle, de la part de salariés des trois fonctions publiques, mais sans donner de détail sur le profil des candidats au départ dans le privé. Des syndicalistes confirment l’attractivité de cette solution auprès des fonctionnaires.
Ce succès dépasse apparemment les prévisions initiales qui portaient sur 4 500 d’ici la fin du quinquennat au rythme de 1 000 en 2020, 1 500 en 2021 et 2000 en 2022.
L’examen des demandes va être l’occasion d’en apprécier la recevabilité et de calculer le montant des indemnités, selon les barèmes précisés par le décret, en fonction de la seule rémunération brute[4].
Ces entretiens entre salariés et employeurs publics n’aboutiront probablement pas tous à une rupture.
Les règles de l’indemnisation minimale de rupture dans la fonction publique sont différentes de celle ayant cours pour les CDI dans le secteur privé[5]. Le calcul du montant de l’indemnité est généralement moins favorables, sauf pour une longue carrière. On peut s’étonner de cette disparité dans un contexte d’harmonisation souhaitée.
Par exemple, les primes qui constitue parfois une part significative de la rémunération des fonctionnaires ne sont pas prise en compte.
Pour comparer l’importance de la mobilité professionnelle entre public et privé :
- Dans les fonctions publiques, 5 000 départs annuels représenteraient moins de 0,09% des effectifs, tandis que :
- Dans le secteur privé, les ruptures conventionnelles dépassent déjà 2,1% par an des effectifs (412 000 en 2019).
LE COUT DU DISPOSITIF SEMBLE POUVOIR ÊTRE TRÈS ÉLEVÉ.
Le gouvernement aurait évoqué une prévision budgétaire de 69 millions d’euros pour 1 000 départs[6].
Cette somme de 69 000 euros par personne doit sans doute cumuler l’indemnité moyenne et la période moyenne d’indemnisation chômage, sans que les clés de ce calcul aient été précisées.
Il est certain que le budget pourrait augmenter assez vite à plusieurs centaines de millions d’euros si le rythme monte se situe à 5 000 demandes annuelles, soit près de 350 millions. Pour six ans, le coût de l’expérimentation pourrait dépasser les deux milliards d’euros, et non de l’ordre de 300 millions comme prévu initialement…
LES MOTIVATIONS DU DÉPART DES FONCTIONNAIRES FONT DÉBAT.
Les motifs des demandes de départs sont sans doute aussi divers que les profils des personnels concernés.
Des syndicalistes craignent que la rupture conventionnelle donne l’occasion à des employeurs publics d’inciter à des fonctionnaires à quitter leurs postes dans le cadre de réorganisations où les propositions de reclassement sont dissuasives. Cette hypothèse peut se concrétiser ponctuellement, mais probablement pas d’une manière générale.
Le premier motif des salariés pour solliciter une rupture serait le « malaise dans la fonction publique ». Les organisations syndicales font cette analyse qui correspond à leurs revendications. Elle porte sur des départs de personnels en rupture par rapport à leurs conditions de vie et de travail. Certaines organisations mettent en cause des motifs liés aux fonctions : réorganisations permanentes de services, la baisse des effectifs, la pression hiérarchique croissante ou le manque de moyens pour accomplir les missions.
La seconde motivation est plus positive. Elle repose évidemment sur le projet personnel et/ou professionnel, qu’il soit classique ou original. C’est-à-dire une reconversion avec un changement total d’activités.
La possibilité de changer de parcours devrait être facilité par ce dispositif, sans que le projet du salarié conditionne son départ, comme cela commence à être le cas avec l’indemnisation chômage accordé au démissionnaire du secteur privé.
Le nombre des demandes d’indemnisation de « démissionnaires à projets » validées dans le secteur privé n’a pas encore été précisé à ce stade.
[1] Il est également question de garantir la portabilité des droits CPF en cas de mobilité entre les secteurs public et privé ; de créer une portabilité du CDI en inter-versants ; de créer un dispositif global d’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé dans le cadre d’une restructuration (FPE + FPH) et de créer un mécanisme de détachement automatique et de « sac à dos social » pour les fonctionnaires concernés par l’externalisation de leur service ou de leur mission.
[2] Décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique
Décret n° 2019-1596 du 31 décembre 2019 relatif à l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle dans la fonction publique et portant diverses dispositions relatives aux dispositifs indemnitaires d’accompagnement des agents dans leurs transitions professionnelles.
[3] En 2018, le ministre de l’Action et des Comptes publics, avait annoncé « un plan de départs volontaires pour ceux qui souhaiteraient partir, conséquence de la réforme de l’Etat ».
[4] « La rémunération brute de référence pour la détermination de la rémunération est la rémunération brute annuelle perçue par l’agent au cours de l’année civile précédant celle de la date d’effet de la rupture conventionnelle.
Sont exclues de cette rémunération de référence : 1° Les primes et indemnités qui ont le caractère de remboursement de frais ; 2° Les majorations et indexations relatives à une affection outre-mer ; 3° L’indemnité de résidence à l’étranger ; 4° Les primes et indemnités liées au changement de résidence, à la primo-affectation, à la mobilité géographique et aux restructurations ; 5° Les indemnités d’enseignement ou de jury ainsi que les autres indemnités non directement liées à l’emploi. » (Article 4 – Décret n° 2019-1596 du 31 décembre 2019)
[5] L’indemnité minimale est chiffrée en « mois de salaires par année travaillée » en fonction de l’ancienneté dans la fonction. Le tableau ci-dessous met en évidence l’écart entre les deux barèmes dans le public et le privé.
Ancienneté |
Mois par an dans le public |
Mois par an dans le privé |
1 à 10 ans |
0,1 |
0,25 |
11 à 15 ans |
0,4 |
0,33 |
16 à 20 ans |
0,5 |
0,33 |
21 à 25 ans |
0,6 |
0,33 |
« Le montant maximum de l’indemnité (…) ne peut pas excéder une somme équivalente à un douzième de la rémunération brute annuelle perçue par l’agent par année d’ancienneté, dans la limite de vingt-quatre ans d’ancienneté. »
[6] « Ruptures conventionnelles : entre 4 000 et 5 000 agents demanderaient à quitter la fonction publique » – Le Monde – Benoît Floc’h – 10 mars 2020.
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