La tension économique extrême prévue incite divers responsables à faire des propositions un peu en tous sens pour favoriser l’emploi. Il apparait nécessaire de réagir à ces propositions quand elles n’apparaissent pas sérieuses. En effet, beaucoup d’entre-elles semblent surtout répondre à un besoin de communication politique. Les articles de nombreux journalistes ressemblent davantage à du copié collé de communiqués ! Pas tous heureusement.
Avant toute chose, il faut affirmer que c’est la bien la reprise économique qui conduira à un relèvement de l’emploi et non l’inverse. Des entreprises disposant d’un personnel nombreux sans activité suffisante a peu d’avenir. Cette reprise économique progressive dépend des entreprises et de leurs activités, des interventions de l’État (couverture des emprunts, investissements exceptionnels, encadrement des marchés, etc.) et de la reprise du commerce international.
PEUT-ON PROPOSER AUX FRANÇAIS DE TROUVER UN TRAVAIL DANS UN AUTRE SECTEUR ?
Le gouvernement réfléchirait à la manière d’orienter les salariés des secteurs sinistrés par la crise sanitaire vers des métiers « plus porteurs », même si aucune décision n’aurait été prise.
La ministre du Travail a ainsi déclaré[1] :
« On a déjà des métiers en tension, on a des secteurs qui repartent beaucoup plus vite que d’autres » (…) « Il va falloir aller là où il y a de l’emploi », « il va falloir être agile » (…) « on va peut-être travailler dans un autre métier ».
L’idée de reconvertir des salariés des secteurs sinistrés par la crise vers des secteurs en pénurie de main d’œuvre aurait tout pour plaire à l’opinion et vendre la politique menée. Mais, dans la pratique, c’est juste une illusion et un effet de manche.
Bien entendu il existe des exceptions, par exemple en ce qui concerne des emplois fonctionnels : un comptable peut passer d’un secteur à un autre.
Globalement, il semble que vouloir transférer des salariés de la restauration et de l’hôtellerie dans le bâtiment ne soit pas sérieux pour plusieurs raisons.
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D’une part, la relance de l’hôtellerie-restauration dépend juste du calendrier sanitaire et il faut conserver des personnels expérimentés pour ce secteur.
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D’autre part, la mobilité d’un cuisinier vers un poste de couvreur ne semble pas tenable, ou d’un professionnel d’agence de voyage vers un poste de maçon, etc.
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Ensuite, ce propos fait l’impasse sur les qualifications des travailleurs, alors même que le ministère est censé les promouvoir…
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Enfin, le secteur du Bâtiment est en train de redémarrer très progressivement. Il doit déjà viser le retour de 2 millions de salariés encore en situation de chômage partiel. Il n’a pas besoin de travailleurs supplémentaires. Dans l’immédiat, il n’y a pas de besoin[2]. Les entreprises du secteur ne peuvent faire de prévisions.
« Discuter de cela en ce moment serait malvenu » – Olivier Salleron, nouveau président de la Fédération française du bâtiment.
Le choix des activités ciblées par cette mobilité professionnelle, outre le bâtiment, sont peu convaincants : une partie du commerce (laquelle ?), aides à la personne (secteur stagnant), transports et logistique (baisse globale d’activité), secteurs industriels (avec l’aéronautique et la voiture au point zéro), transition écologique (concept qui comprend peu d’emplois directs), etc. Leur situation à ce jour et d’ici la fin de l’année parait peu porteuse.
Restent certains métiers du numériques (pas tous), mais ils nécessitent des formations longues et ne sont pas dans une quantité significative.
LES MÉTIERS DES SECTEURS TENDUS RESTENT ASSEZ PEU NOMBREUX POUR CETTE FIN D’ANNÉE 2020
Le thème les « besoins massifs en compétences nouvelles » a marqué les discours antérieurs de la ministre du Travail et du Haut-Commissaire aux Compétences[3]. Sauf que les effets du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) ne sont pas encore démontrés (faute d’ampleur et de temps) et, surtout, que la situation du marché du travail n’est plus du tout la même que précédemment dans le contexte de reprise attendue.
Les appels de la ministre du Travail aux salariés au chômage partiel à entamer une formation à distance n’ont pas été marqués par un franc succès !
Au concept de la coexistence entre le maintien d’un chômage structurel et des secteurs en tension se substitue celui de l’émergence d’un chômage de masse conjoncturel (lié à la diminution d’activité liée au confinement de 8 semaines et aux mesures sanitaires) et un affaiblissement des tensions dans le recrutement dans la plupart des secteurs.
LE CONTEXTE DE CRISE ACTUEL IMPOSE UNE RÉVISION DE L’APPROCHE DE LA POLITIQUE DE FORMATION PROFESSIONNELLE
La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel apparait largement dépassée.
La nouvelle donne ne fait pas disparaitre la nécessité de la formation professionnelle dans le cadre de l’évolution des métiers et des besoins, mais elle parait imposer une révision des priorités en termes :
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De priorité des publics (jeunes, salariés au chômage partiel, salariés en poste ou chômeurs),
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De formation à dispenser (détection des emplois d’avenir),
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De décideurs des formations à suivre (choix du salarié, décision de l’entreprise, prescription du SPE, etc.),
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De mode et de montant des financements, etc.
Il ne parait pas évident que des salariés d’un secteur puisent être réorientées massivement vers une formation débouchant sur un emploi durable.
L’éventuel affichage d’une mobilité massive entre secteurs professionnels par le gouvernement apparaitrait comme un trompe-l’œil.
[1] Réponses aux questions des auditeurs d’Europe 1, le 6 mai 2020.
[2] « Depuis deux ou trois ans, nos métiers ont la cote, et attirent de jeunes adultes, ouvriers, employés, cadres ingénieurs, qui ont envie d’utiliser l’intelligence de la main. » – Président élu de la Fédération française du bâtiment (FFB).
[3] Décret du 18 mars 2020 portant nomination du haut-commissaire aux compétences – M. MARX (Jean-Marie)
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