POURQUOI LES CONDITIONS D’UNE MONTÉE DE LA TENSION SOCIALE AU SECOND SEMESTRE 2021 SEMBLENT RÉUNIES
La dégradation de la situation sur le front de l’emploi est malheureusement désormais certaine dans le contexte de la fin des mesures d’amortissement en sortie de crise (prolongation des droits, chômage partiel…) courant 2021. La question est de savoir si la situation peut déboucher sur une réelle tension sociale, avec une multiplication de mouvements sociaux mobilisant des « sans-emploi » structurellement très dispersés.
DES MANIFESTATIONS ONT DÉJÀ EU LIEU POUR DEMANDER LE RETRAIT DE LA REFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE.
Plusieurs milliers de personnes ont défilé dans plusieurs grandes villes (Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Paris, etc.), le 23 avril, pour demander le retrait de la réforme de l’assurance-chômage, qui devrait commencer à entrer en vigueur le 1er juillet, avec un nouveau mode de calcul des allocations[1].
Ces manifestations[2] étaient organisées par :
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Des organisations syndicales : CGT, Solidaires, SNU Pôle emploi,
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Des associations de chômeurs : Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), APEIS, AC!, et
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Divers collectifs d’intermittents du spectacle (qui occupent des théâtres et autres bâtiments et demandent la prolongation de l’« année blanche »).
Les intermittents du spectacle bénéficient d’un régime d’assurance chômage spécifique, à condition d’avoir travaillé un nombre minimum d’heures dans la période précédente. Ceux qui n’ont pas atteint ce seuil d’heures travaillées entrent dans le régime général.
Les prévisions réalistes de l’Unédic sur la réforme confirment la baisse incontestable du niveau des allocations pour une part des chômeurs alternant contrats courts et chômage, du fait des choix de leurs employeurs. Cette information objective contribue à alimenter le mécontentement.
Au thème de la contestation de la réforme, vient s’ajouter celui de la revendication de la réouverture des établissements, en particulier culturels, et la reprise des activités. La Coordination nationale des « théâtres occupés » occupe déjà plus d’une centaine de bâtiments dans toute la France, avec une forte visibilité médiatique.
Les slogans, mis en avant lors des récentes manifestations par les organisations présentes, sont devenus des classiques : « Nous sommes tous essentiels », « Stop aux licenciements, délocalisations et suppressions de postes » ou plus surréalistes : « Vivre de l’art est un art de vivre ».
Les revendications, qui portent sur des points différents, s’inscrivent dans ce que l’on appelle, en termes syndicaux ou politiques, une « convergence des luttes ».
Face à ces inquiétudes, la ministre du Travail reste décidée à changer le système en vigueur à la baisse, sans prendre en compte la gravité du contexte exceptionnel actuel. Cette réforme figurerait dans les engagements de la France pour bénéficier de fonds du Plan de relance de l’Union européenne (s’élevant théoriquement à 40 milliards d’euros).
D’AUTRES CATÉGORIES DE SALARIES VONT ÊTRE TOUCHES ET POURRAIENT SE JOINDRE TOUR A TOUR A LA CONTESTATION.
Dès le second trimestre, ou au plus tard à la rentrée 2021, la situation pourrait évoluer vers un contexte de crise grave pour plusieurs raisons.
D’une part, les demandeurs d’emploi, qui ont profité d’une prolongation de leur indemnisation (après leur fin de droits), vont perdre leurs allocations probablement en juin et être renvoyés vers des aides sociales : ASS ou RSA. Cette fin de droits concernerait a priori, à la même date, entre 750 000 et 950 000 chômeurs. En moyenne, Pôle emploi compte 150 000 fins de droits par mois.
D’autre part, la fin du dispositif de chômage partiel va conduire certaines entreprises, dont l’activité s’est effondrée ou qui ferment, à supprimer des emplois par tous moyens, des départs volontaires aux licenciements économiques. Les effectifs concernés seront nombreux, puisqu’un tiers des salariés en chômage partiel le sont à cause de la chute de l’activité de l’entreprise (en dehors des entreprises touchées actuellement par des interdictions administratives). A fin mars, les effectifs en chômage partiel, auraient été de plus de 2,3 millions. Donc 700 à 800 000 postes vont se trouver remis en cause rapidement (pour les secteurs non prioritaires) ou à terme (pour les secteurs prioritaires).
Enfin, il est probable qu’une part au moins des jeunes terminant leurs études en 2021, avec ou sans diplôme, vont se trouver en concurrence avec des jeunes sortis en 2020 qui n’ont pas pu accéder à un emploi stable. L’estimation porte sur 3 à 400 000 jeunes sans perspective d’emploi en CDD ou CDI à la rentrée 2021. Beaucoup d’entre eux ne seront pas pris en charge par Pôle emploi ou les Missions locales, mais ils existeront néanmoins.
CES ÉVOLUTIONS SOCIALES VONT SE CONCRÉTISER.
Ces prévisions sociales vont se concrétiser à l’été, puis à la rentrée, sans que cela constitue une surprise. Le rebond économique lié à une réelle sortie de crise sanitaire ne semble pas pouvoir répondre à la croissance du flux des sans-emploi ou des sans-ressources ou faibles ressources.
La sortie des mesures exceptionnelles en faveur des entreprises (et de leurs salariés) va s’imposer pour des raisons budgétaires.
Le seul degré de liberté du ministère du Travail porte sur le calendrier de fin des mesures, mais ce sujet, on l’imagine, fait l’objet de débats avec le ministère des Comptes publics.
Bref, on peut très certainement s’attendre à un véritable choc social en 2021 et 2022.
RESTE A SAVOIR SI ELLES GÉNÉRERONT, OU NON, UNE CONTESTATION.
La question est de savoir si cette situation va déboucher sur une tension sociale, conduisant à des mouvements sociaux, hors du commun, ou bien simplement sur un désespoir muet de millions de français et de leur famille.
On pourrait assister à une multiplication situations de crise sur des territoires particuliers (par exemple à l’occasion des plans sociaux, etc.) qui pourrait débouchant rapidement sur une sorte de coordination nationale portant des revendications sociales nouvelles : des offres d’emploi et des aides sociales immédiates.
Le contexte de l’année électorale 2021/2022 majeure peut encourager l’agrégation à ces mouvements de certaines forces politiques, associatives et syndicales (et de tentatives de récupération politiques).
Les conséquences de la mobilisation des chômeurs au travers de pétitions, de manifestations, d’occupations, de séquestration, de blocages d’usine ou d’axes routiers, etc. restent à ce jour incertaines. La jonction entre ces diverses problématiques parait dès à présent possible, mais elle est loin d’être assurée.
En effet, la mobilisation des « sans-emploi » n’est traditionnellement pas à la hauteur de celle des salariés ou indépendants, car ce sujet n’est jamais une priorité des organisations syndicales. Elles ne se mobilisent qu’à l’occasion des plans sociaux, c’est-à-dire en amont du chômage. Il peut cependant le devenir pour certains partis politiques.
Dans ce dernier cas, le gouvernement risquerait de se trouver confronté à une vague de contestation de masse (du type des manifestations contre la réforme des retraites ou des manifestations type « gilets jaunes »), mobilisant les actifs sans emploi en France.
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La seule alternative positive est de générer les conditions de la création de nouveaux emplois durables, dans des délais rapides, bien au-delà de ce que pourrait permettre le plan de Relance, même s’il était entièrement mis en œuvre, ce qui n’est pas le cas (étalement dans le temps, attente des fonds du plan de relance européen).
Seul plan massif de soutien aux secteurs de la Production en France dans l’agriculture, la construction, l’industrie et le numérique apparait à même de relancer l’emploi et de viser le retour au plein emploi.
[1] Le nouveau mode de calcul diminuera le montant des allocations des chômeurs qui alternent régulièrement périodes de chômage et d’activité. Il pourrait toucher 1,15 millions de personnes dans l’année qui suit le 1er juillet 2021.
[2] Les revendications des manifestants du 23 avril étaient les suivantes :
- L’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage et de celle de l’APL.
- Une nouvelle convention indemnisant 100% des chômeurs, chômeuses et précaires.
- Une prolongation de l’année blanche pour les intermittents du spectacle et son extension à tous les intermittents de l’emploi et précaires, dès maintenant, avec neutralisation de la période de crise sanitaire pour le calcul des droits.
- L’abrogation du décret du 29 décembre 2018 sur les contrôles, l’arrêt des contrôles et le redéploiement des agents de Pôle emploi vers l’indemnisation et l’accompagnement.
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