Plutôt que de défendre les droits des travailleurs (chauffeurs ou livreurs) employés par les plateformes numériques, le ministère du Travail a choisi la prochaine mise en place d’une usine à gaz…
UNE STRUCTURATION D’UN DIALOGUE SOCIAL ENTRE LES PLATEFORMES ET LES REPRÉSENTANTS DES CHAUFFEURS ET DES LIVREURS VIENT D’ÊTRE MISE EN CHANTIER.
Une ordonnance vient d’être présentée en Conseil des ministres[1] avec pour objectif la structuration d’un dialogue social entre les plateformes et les représentants de ces travailleurs[2].
« Il pourra ainsi s’instaurer au niveau de deux secteurs d’activité : celui des activités de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur (VTC), et celui des activités de livraison de marchandises à vélo, scooter ou tricycle ».
Ces deux secteurs, chauffeurs et livreurs, représenteraient « près de 100 000 travailleurs indépendants », selon le ministère.
Ces activités se trouvent en concurrence avec exercées en direct par des travailleurs indépendants ou des salariés qui posent des réels problèmes qui ne sont pas réglés.
La recherche de l’organisation permanente d’un dialogue social entre les représentants des plateformes et les indépendants travaillant de manière régulièrement pour celles-ci semble une démarche dangereuse.
Elle reste certes limitée à ce stade à deux secteurs (chauffeurs et livreurs), mais pourrait tendre à essaimer à l’avenir pour venir remplacer des salariés par des indépendants (comme cela se produit déjà ponctuellement dans des secteurs comme le Bâtiment ou les salariés ont été remplacés par des indépendants).
Dans ces conditions l’affirmation selon laquelle « le Gouvernement souhaite accompagner le développement des plateformes numériques » est très contestable.
Car son projet de garantir « des droits renforcés aux travailleurs indépendants recourant à ces plateformes pour leur activité » ne semble pas suffisant.
Ce choix politique manque de réflexion. Il s’inscrirait dans une démarche de l’Union européenne[3].
Il n’empêchera pas la requalification en contrat de travail dans de nombreux cas, suite aux procédures qui pourront être engagées.
LA POSITION DU MINISTÈRE EN FAVEUR DU MONTAGE DE PLATEFORMES NUMÉRIQUES AYANT RECOURS A DES INDÉPENDANTS EST TRÈS CONTESTABLE.
Le ministère affirme ainsi que :
« Le développement des plateformes numériques d’emploi en France a permis d’investir de nouveaux champs de l’économie et de créer de nouveaux gisements d’emplois. »
Elle ne prend pas en compte la nature du travail et des conditions d’exercice de celui-ci. Par ailleurs, la montée du secteur répond à la fois à la croissance de la vente en ligne pour une partie naturelle et pour une autre part lié au contexte de la crise sanitaire.
La mobilisation de « nouveaux » outils numériques pour organiser la relation directe entre des clients et des services apparait comme incontestablement positive.
MAIS ces outils de commercialisation (mise en relation) ne conduisent pas naturellement à un recours à des indépendants plutôt qu’à des salariés pour des métiers traditionnels connus de chauffeurs ou de livreurs.
Il ne s’agit en aucun cas de « l’émergence de nouvelles formes de travail[4] » comme l’affirme le ministère.
De la part du ministère du Travail, le fait :
D’une part, de vouloir réduire le recours aux contrats courts ou se souhaiter lutter contre la précarité et,
D’autre part, d’institutionnaliser le recours à des travailleurs indépendants aux contrats fragiles et précaires apparait tout à fait contradictoire.
UN PROJET DE REPRÉSENTATION DES INDÉPENDANTS EST ENVISAGE DE MANIÈRE TRÈS COMPLEXE.
« Pour chacun de ces secteurs d’activité, une élection nationale, à tour unique et par vote électronique, sera organisée au printemps 2022 afin de permettre aux travailleurs indépendants de désigner les organisations qui les représenteront. »[5]
Les représentants des travailleurs indépendants seraient « protégés » et pourraient bénéficier d’une formation au dialogue social[6].
« Des dispositions qui préciseront les modalités de négociation collective entre plateformes et représentants des travailleurs indépendants qui y ont recours. »
Le détail des dispositions de représentation des « travailleurs » vis-à-vis des « employeurs » reste à connaitre pour pouvoir être apprécié.
Il en est de même pour connaitre l’implication des organisations syndicales de salariés, dans ce dispositif parallèle, concernant des travailleurs indépendants !
Pour couronner le tout, le gouvernement a prévu la création d’un nouvel établissement public : l’Autorité des relations sociales les plateformes d’emploi (ARPE). L’ARPE serait dédiée :
« à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes, à la diffusion d’informations et à la concertation[7] ».
LA RELATION ENTRE « RELATION COMMERCIALE » ET « DIALOGUE SOCIAL » TRADUIT BIEN L’AMBIGUÏTÉ DE LA DÉMARCHE ENGAGÉE.
Selon la ministre du travail, le but concerne les « relations commerciales entre les différents acteurs », mais aussi le « dialogue social entre ces entreprises et les travailleurs indépendants qui y réalisent leur activité » pour « avoir des conditions de travail et de rémunération adaptées à la situation des travailleurs ».
[1] « Les travailleurs indépendants des plateformes de mobilité pourront désigner leurs représentants en 2022. » – 21/04/21 – Communiqués de Elisabeth Borne
[2] Ces décisions suivent les recommandations de la mission confiée par la ministre du Travail sur la régulation des relations de travail au sein du secteur.
[3] L’Union européenne a lancé une « consultation sur le droit à la représentation collective des travailleurs indépendants ». Elle pourrait aboutir à une initiative de la commission en fin 2021 pour lever les obstacles liés au droit de la concurrence.
[4] Cet essor s’est également traduit par l’émergence de nouvelles formes de travail, notamment du fait du recours aux algorithmes pour organiser les relations entre les plateformes et les travailleurs indépendants.
[5] « Lors du premier scrutin, pourront être reconnues représentatives les organisations (syndicats professionnels et associations loi 1901) qui recueilleront au moins 5% des suffrages exprimés. Ce seuil sera ensuite relevé à 8% à partir de la deuxième élection, qui se déroulera deux ans après. Les scrutins suivants se tiendront tous les quatre ans. »
[6] « Les représentants désignés par les organisations représentatives bénéficieront de garanties particulières, afin de les protéger contre tout risque de discrimination du fait de leur mandat. En particulier, la rupture du contrat les liant à une plateforme sera soumise à autorisation administrative préalable. Ces représentants bénéficieront par ailleurs d’un droit à la formation au dialogue social, afin d’avoir les outils et connaissances nécessaires à la mise en place d’un dialogue équilibré. »
[7] « L’ARPE organisera l’élection nationale des représentants des travailleurs indépendants des plateformes, assurera le financement de leur formation et leur indemnisation, ainsi que leur protection contre les risques de discrimination. Elle accompagnera le développement du dialogue social et jouera un rôle d’observatoire de l’activité des plateformes numériques d’emploi. C’est elle qui assurera le paiement des indemnités versées aux travailleurs indépendants pour compenser la perte de chiffre d’affaires liée à l’exercice de leur mandat. »
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