Certains recrutements sont apparus difficiles en 2021 dans deux catégories de métiers, en schématisant un peu.
D’une part, des métiers imposant de fortes contraintes de travail et proposant des salaires bas.
D’autre part, des offres d’emploi affichent une demande de compétences (justifiées ou non par rapport au poste) et reçoivent peu de candidatures, dans un délai rapide.
Ces difficultés ont été renforcées durant la reprise économique faisant suite à la période de crise économique de 2020 et ses suites.
En effet, après un freinage des recrutements (ou parfois un arrêt), il y a eu une reprise massive de ceux-ci dans une période relativement courte en 2021.
CES DIFFICULTÉS SONT RÉELLES, MAIS NE CONCERNENT QU’UNE UNE MINORITÉ DES RECRUTEMENTS.
La Dares, suite à son enquête, a estimé qu’à fin novembre, 28% des salariés du privé étaient employés dans une « structure » qui déclarait « être confrontée à un manque de personnel ».
Ceci ne concerne pas tous les postes des entreprises concernées, mais seulement une part d’entre eux :
« Il apparaît clairement que cette difficulté à trouver des salariés qualifiés ou non qualifiés touche plus spécifiquement certains secteurs, certains métiers et certaines fonctions. »
LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT ONT FAIT L’OBJET D’UNE INSTRUMENTALISATION
Les difficultés de recrutement ont fait l’objet d’une instrumentalisation de la part de plusieurs pôles qui ont exagéré son importance réelle qui a bénéficié d’une amplification médiatique.
D’un côté, des responsables politiques ont mis en cause des chômeurs qui ne voudraient pas travailler, pour justifier une réforme diminuant les droits à l’assurance chômage (réforme mise en place) et en communiquant sur les démarches de radiation de Pôle emploi.
D’un autre, des organisations professionnelles et des chefs d’entreprise (pas tous) ont insisté sur des pénuries de personnel, de composants, de matériaux, etc. pour expliquer leurs difficultés et solliciter le maintien des aides publiques exceptionnelles ou la prolongation des garantis par l’État.
LA RECHERCHE DES RESPONSABILITÉS S’IMPOSE
Là ou des difficultés de recrutement existent sur certains postes, il importe de bien déterminer les responsabilités dans un contexte de chômage de masse persistant, plus de 6 millions d’inscrits à Pôle emploi, en dépit de certains discours politiques de campagne électorale qui souhaitent gommer cette réalité sociale.
La responsabilité de la situation revient pour l’essentiel aux employeurs et aux ministères avec :
-
Un retard dans l’évolution nécessaire des conditions de travail et des salaires sur certains postes[1], dans le bâtiment, l’hôtellerie-restauration, la logistique, les services à la personne et la santé ;
-
Une absence de mobilisation efficace sur la formation initiale et la formation professionnelle sur les métiers où peuvent exister des pénuries de compétences.
Pour illustrer ce dernier point par un exemple, il suffit de voir la place mineure réservée à l’enseignement de l’informatique :
-
Dans les options des classes de terminales en 2021-2022 (pour comprendre que la mesure de l’importance de cette matière n’a pas été prise en compte) et
-
Dans le choix des formations CPF en 2021, le constat est identique.
LE MARCHE DU TRAVAIL SE TRANSFORME
Un chef d’entreprise a décrit la transformation du marché du travail avec pertinence[2] :
« La pénurie de main-d’œuvre est due, dans une large mesure, aux inégalités de conditions de travail qui ont été renforcées par la crise sanitaire.[3] »
« La crise de recrutement à laquelle se heurtent certaines professions n’est qu’un point de crispation dans un mouvement ancien et ininterrompu d’amélioration des conditions de travail pour tous, un mouvement qui s’appelle le progrès. »
UN AVIS DU CESE RÉSUME A SA MANIÈRE LES ENJEUX DES « MÉTIERS EN TENSION ».
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté[4] un avis sur les « métiers en tension »[5].
Le diagnostic reprend des données connues et propose des recommandations sans grande nouveauté.
Les difficultés de recrutement relèvent de plusieurs causes.
Celles-ci se cumulent plus ou moins selon les métiers concernés.
-
« Les salaires et le pouvoir d’achat,
-
Les représentations de certains métiers,
-
L’efficacité de l’orientation, de la formation et de la certification,
-
Les transformations économiques liées à la transition numérique et écologique,
-
Les conditions de travail, qualité de l’emploi et sens du travail,
-
La conciliation des temps de vie personnelle et professionnelle. »
Les 20 préconisations du CESE visent à « lutter contre les tensions de recrutement, à la fois en prenant mieux en compte la nouvelle donne du marché du travail mais également les aspirations des salariées et salariés ».
Elles portent sur cinq aspects de natures différentes.
-
Donner un rôle clef aux branches professionnelles pour renforcer le pouvoir d’achat et l’attractivité des métiers qui recrutent moins[6].
-
Mieux concilier les temps de vie professionnelle et personnelle[7].
-
Orienter vers les métiers qui recrutent[8].
-
Anticiper les besoins de recrutement en lien avec la transition écologique, la transformation numérique et les évolutions démographiques[9].
-
Améliorer la qualité de l’emploi, son sens et les conditions de travail[10].
[1] « La responsabilité des entreprises et de leurs dirigeants est d’accompagner ce mouvement de fond, inéluctable et souhaitable, en participant à la définition et à la mise en place des organisations qui sont nécessaires à la continuité et au développement de leurs activités, tout en permettant des équilibres de vie et l’équilibre des vies. » Xavier Alberti.
[2] Xavier Alberti (Dirigeant d’une entreprise du secteur de l’hôtellerie-restauration). Le Monde du 15 septembre 2021. https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/15/main-d-uvre-il-se-dessine-un-gouffre-entre-ceux-dont-la-vie-limite-le-travail-et-ceux-dont-le-travail-limite-la-vie_6094763_3232.html
[3] « Le bâtiment, la logistique, l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, la santé éprouvent les plus vives difficultés pour attirer et recruter de nouveaux entrants mais aussi pour conserver leurs salariés en poste. »
« Ces salariés-là, qu’ils travaillent en cuisine, qu’ils conduisent un camion ou un tracteur, qu’ils montent des murs ou posent des tuiles sur des chantiers ou qu’ils prennent soin de personnes dépendantes, n’ont accès ni aux conditions de plus en plus confortables des espaces de bureau, ni au télétravail, ni aux horaires aménagés, ni aux pauses rémunérées. »
« Il est aisé de pester contre ces gens qui ne veulent plus travailler en pointant du doigt un modèle social qui sert d’amortisseur et en feignant de confondre les causes et les conséquences.
Le fait est qu’ils veulent travailler mais qu’ils ne veulent plus le faire dans des conditions qui sont en définitive étrangères à une majorité de salariés et qui empêchent de vivre, c’est-à-dire de goûter à la vie.
La crise de recrutement à laquelle se heurtent certaines professions n’est qu’un point de crispation dans un mouvement ancien et ininterrompu d’amélioration des conditions de travail pour tous, un mouvement qui s’appelle le progrès. »
[4] L’avis a été adopté avec 137 voix pour, 7 contre et 28 abstentions.
[5] « RÉDUIRE LES TENSIONS SUR LE MARCHE DU TRAVAIL » – Avis du CESE – Janvier 2022 – Saisine gouvernementale – Avis traité par : Commission Travail et emploi – Adopté le 12/01/2022
[6] Négocier et mutualiser, au niveau des branches, des avantages en faveur du pouvoir d’achat des salariés (chèques déjeuner, mobilité, logement et garde d’enfants) – Exonérer fiscalement et socialement ces avantages collectifs, sous réserve que la première rémunération conventionnelle soit au moins égale au Smic. Ce dispositif serait ainsi neutre pour les employeurs et positif pour le pouvoir d’achat des salariées et salariés.
[7] Développer l’offre d’accueil du jeune enfant (crèches ou modes d’accueil individuel) pour répondre aux besoins des parents travaillant sur des horaires atypiques. – Renforcer les dispositifs permettant de réduire les dépenses engagées par les parents pour la garde d’enfant : diminution des restes à charge pour les familles, soutien des incitations fiscales telles que le crédit d’impôt immédiat pour l’emploi à domicile ou le crédit d’impôt famille. – Mieux accompagner la mobilité résidentielle et favoriser la proximité du logement et du lieu de travail.
[8] Mieux éclairer les choix d’orientation et guider les jeunes vers les filières où les besoins de recrutement sont les plus forts, en rendant effectif le « Parcours Avenir » qui vise à donner une information plus complète et objective sur les métiers et filières de formation dès le collège. – Agir sur la représentation des métiers et inciter les filières dont les statistiques genrées sont déséquilibrées à développer des plans d’actions pour y remédier, dans le cadre d’engagements de développement des compétences (EDEC). – Mieux intégrer les primo-arrivants et population immigrée dans l’emploi par la reconnaissance des qualifications acquises et par une démarche des branches inclusive et responsable, par exemple dans le cadre de certifications en langue française.
[9] Renforcer la prospective des métiers et des qualifications en associant tous les acteurs concernés au niveau national et territorial, afin de dégager les orientations stratégiques des trajectoires professionnelles. Cela permettra de promouvoir la formation aux métiers de demain et d’accompagner les reconversions. – Affiner l’appareil statistique pour davantage identifier les besoins des secteurs dont les difficultés de recrutement sont insuffisamment documentées (secteurs du grand âge, du travail social et de l’éducation spécialisée).
[10] Soutenir financièrement les groupements d’employeurs dans leur phase de création, permettant ainsi d’apporter une solution concrète aux tensions de recrutement pour les petites structures qui ne bénéficient pas de moyens financiers importants ou de services de ressources humaines. – Développer les expériences territoriales pour l’emploi et l’activité pour réduire les tensions sur les métiers dans le contexte de la transition écologique (mise à disposition de fonds départementaux pour les structures engagées localement dans l’insertion dans les métiers de la transition écologique.) – Coordonner l’offre de conseil RH à destination des TPE-PME (service public de l’emploi, OPCO).
Pas de commentaire sur “Des difficultés de recrutement existent sur certains métiers, pour des raisons différentes.”