UNE LOI DE PROGRAMMATION PLURIANNUELLE DE LA RECHERCHE (LPPR) EST EN COURS D’ÉLABORATION
Elle devrait être présentée au Parlement en 2020, pour une entrée en application début 2021[1]. Au-delà du cadre budgétaire encore incertain[2], la question des embauches et celle du statut des personnels œuvrant dans la recherche publique fait débat. La recherche publique emploie environ 170 000 personnes, dont 105 000 chercheurs[3] (162 000 chercheurs travaillent dans le secteur privé).
Fin janvier, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a annoncé, une revalorisation salariale et indemnitaire en 2021 de près de 120 millions d’euros, avec « une priorité aux jeunes chercheurs »[4]. Ces mesures sur les rémunérations dépendront évidemment de l’adoption de la loi de finances 2021, il ne semble pas d’actualité de détailler les chiffres évoqués par la ministre ! Elle a annoncé que ces mesures seraient financées par les hypothétiques économies de cotisations sur les retraites faites par l’État, d’où le lien surprenant qui apparait entre réforme des retraites et LPPR.
Cette déclaration témoigne juste de la reconnaissance officielle de la faiblesse des salaires d’embauche dans ce secteur. Le constat sur la situation affiché par le ministère est clair :
« Les recrutements sont tardifs après de longues années d’études et de précarité, pour un salaire de 1,3 à 1,4 SMIC par mois. C’est ce qui explique que les carrières scientifiques attirent de moins en moins de jeunes. »[5]
LE MODE DE RECRUTEMENT DES CHERCHEURS SEMBLE DEVOIR ÉVOLUER
La question des recrutements de chercheurs est aussi en perspective. L’ensemble des chercheurs craint une remise en cause potentielle du statut des personnels du secteur de la recherche publique.
Celle-ci a, en fait, potentiellement débuté, comme le rappelle le SNIRS CFE-CGC :
« La loi de transformation de la fonction publique d’août 2019 a déjà introduit une dimension supplémentaire avec un accroissement de la précarité et a ouvert la possibilité de contrats de projet de 6 ans dans l’ESR. Cette précarité est incompatible avec une politique de recherche menée dans la durée.[6] »
Des « contrats de projet »[7] sont désormais ouverts, dans les fonctions publiques, pour des opérations identifiées. Ils semblent bien répondre à un développement de la recherche sur la base de « projets fléchés ».
Or ces financements prennent le pas sur financements de recherche pérennes (crédits récurrents accordés aux laboratoires) depuis une dizaine d’années. Cette fois, il s’agit de mesures pouvant freiner l’embauche de titulaires, en dehors de ceux relevant des statuts actuels des enseignants-chercheurs. Sont potentiellement visés par ces contrats de projets les emplois de chercheurs.
La LPPR devrait déterminer pour les années à venir la politique de la Recherche et la nature des emplois dans la recherche. La version définitive du texte devrait être connu dans le courant du premier semestre 2020.
Le système français de la recherche publique repose pour l’essentiel sur les universités et des établissements nationaux de recherche[8], c’est un héritage ancien. Il diffère des situations des pays voisins.
Les tentatives successives de remise en cause ou de réorganisation n’ont pas connu un grand succès. Le système s’est consolidé en « forteresses ». La baisse relative des moyens attribués apparait comme une conséquence de fait de cette impasse.
La modification du mode de recrutement des personnels porté par la loi de transformation de la fonction publique[9], et destinée à être appliquée dans le cadre de la LPPR, semble correspondre à la volonté de faire évoluer progressivement le système au travers du modèle de carrière des chercheurs.
Au-delà de toute posture idéologique, il semble que cette piste de modification des carrières pourrait correspondre à certains secteurs de recherche, mais par à tous, et pose la question de la pérennité des recherches qui sont menées.
Le « contrat de projet » doit être suivi d’un autre emploi. Une certaine mobilité entre la recherche publique et la recherche au sein du secteur privé, marchand ou non marchand, conditionne le système.
De multiples questions sur l’emploi des chercheurs restent en suspens comme l’insertion professionnelle des docteurs, avec un flux d’environ 10 000 doctorats délivrés par an (dont environ 6 000 à des Français), la liaison entre enseignement supérieur et recherche, un flux significatif de départ de chercheurs français vers l’étranger, etc.
LES CRITIQUES SUR CE PROJET DE RÉFORME SONT ASSEZ PARTAGÉES.
AU-DELÀ, UNE PART DE LA CONTESTATION DÉBOUCHE SUR DES REVENDICATIONS RELATIVES AUX EMPLOIS.
Le milieu de la recherche publique a une tradition, assez ancienne, d’actions syndicales et politiques soutenues.
D’une part, une intersyndicale (FO, FSU, CGT et Solidaires) s’est constituée contre la LPPR et a organisé le 5 mars une grève et des manifestations. Elle avance diverses revendications, dont certaines sur les emplois :
- La titularisation de tous les contractuels et vacataires en poste, dans l’enseignement et de la recherche, employés sur des fonctions pérennes, qu’il reste évidemment à définir
- La création « massive » de postes de fonctionnaires titulaires, pour répondre à « l’urgence de la situation »,
- Des revendications salariales (primes, etc.) et
- La gouvernance de la Recherche[10], dont le volet RH.
D’autre part, un courant politique autonome, proche à l’extrême gauche politique, va plus loin en réclamant une remise en cause globale du système, à caractère proprement révolutionnaire.
La « Coordination nationale des facs et labos en lutte » se prononce ainsi contre :
« La casse des retraites, la réforme de l’assurance chômage, la sélection à l’université (ParcourSup), l’augmentation des frais d’inscription et en particulier pour les étudiants extra européens, la réforme de la formation des enseignants et le projet de Loi de Programmation pluriannuelle de la Recherche (LPPR) ».
Pour illustrer leur discours, une revendication donne le ton, cette Coordination se prononce :
« Contre l’extractivisme scientifique et la colonialité de la recherche et de l’enseignement, nous voulons des relations scientifiques et universitaires fondées sur le partage et la co-construction des savoirs ainsi que sur la libre circulation des personnes. »
Elle envisage des actions « de pression et de visibilisation »[11] !
Lire : « FONCTION PUBLIQUE : de quels risques le « contrat de projet » est-il porteur ? » – 01/03/20 – https://bit.ly/2VwwA0I
[1] « Vers une loi de programmation pluriannuelle de la Recherche » – 1er février 2019 – https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Recherche/91/7/dp-loi_programmation_1069917.pdf
[2] Le président de la République Emmanuel Macron a évoqué le fait d’investir 3% du produit intérieur brut (PIB) dans la recherche.
[3] Ils sont répartis entre universités et autres établissements de l’enseignement supérieurs : 54% dont la très grande majorité sont des enseignants-chercheurs, établissements publics de recherche (EPST) : 27% (dont de l’ordre des 2/3 travaillent au CNRS) et établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) : 14% des chercheurs (personnel de droit privé).
[4] La ministre a déclaré qu’il s’agissait de « permettre à un jeune chercheur de constater dès le début de sa carrière, qu’il trouvera en France les mêmes opportunités que celles qu’il pourrait saisir à l’étranger.«
[5] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid148818/120-millions-d-euros-pour-revaloriser-les-carrieres-de-la-recherche-en-2021.html
[6] « Les personnels de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) s’interrogent sur leur avenir et de manière subséquente sur leur retraite. » (…) « Les chercheurs, enseignants chercheurs, BIATSS et IT sont prêts à s’adapter aux réformes en cours et à participer à un effort national pour donner une nouvelle dimension à la recherche française mais ils ne peuvent pas le faire dans les conditions de contrainte financière actuelles (personnelles et structurelles) et en l’absence de ressources humaines suffisantes. » – Motion du SNIRS CFE-CGC – 05/03/20 – http://www.snirs.fr/
[7] Décret n° 2020-172 du 27 février 2020 relatif au contrat de projet dans la fonction publique.
[8] Les EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique) se consacrent exclusivement à la recherche mais disposent en général d’une autonomie assez large. Le CNRS, a un caractère pluridisciplinaire et généraliste. Les autres sont spécialisés comme l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ou l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).
[9] Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique
[10] « Le pilotage centralisé de la recherche, que vous préconisez, est particulièrement dangereux et signe une mainmise du politique sur le scientifique. ».
Dans une tribune au Monde, un collectif de 800 universitaires et chercheurs estime que le projet de loi en préparation sur la recherche n’aurait que des effets néfastes. Ils demandent son retrait – 04 mars 2020
[11]
« ACTIONS DE PRESSION ET DE VISIBILISATION : Envoyer massivement des articles aléatoires aux revues prédatrices. Fabriquer un mini-mémo avec les droits et l’explication des réformes. Faire des séances de mobilisation avec les étudiants. Faire signer un contrat d’engagement individuel à tout arrêter. Signer les publications « Université publique » ou « Service public de l’enseignement et de la recherche ». Facturer le temps de travail pour l’ANR et l’envoyer à l’ANR. » – Propositions de la Coordination
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