Le progrès des applications en ligne de services aux personnes apporte aux clients des avantages réels dans un certain nombre de domaines. Mais, le recours par les opérateurs de l’uber-économie à des travailleurs indépendants fausse la concurrence, d’une part, et alimente des activités précaires et faiblement rémunérés, d’autre part. Enfin, elles mettent en cause des emplois dans des secteurs existants.
COMMENT L’ÉMERGENCE DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DE TYPE UBER AGIT-IL SUR L’EMPLOI ?
L’Uber-économie s’applique à un choix croissant de métiers. Citons par exemple : les conducteurs d’automobiles[1], de moto, de voitures à cheval ou de tandem, des personnes qui font vos courses, vous livrent vos achats ou vos repas ou font votre ménage à domicile. Cela va même jusqu’à la fourniture de fantasmes sexuels ou de prostituées[2].
Ce premier article ne traite pas d’autres secteurs concernés par l’apparition d’acteurs en ligne pratiquant des métiers parallèles tels que la location meublée touristique, l’édition et la vente de livres en ligne, etc. Ceux-ci présentent d’autres caractéristiques économiques et pèsent aussi à leur manière sur la situation de l’emploi.
D’autres initiatives mobilisant des outils numériques ne relèvent pas du modèle de l’uber-économie. Il s’agit par exemple d’initiatives concernant le développement de nouvelles pratiques sociales basées sur des échanges de services[3].
L’uber-économie pourrait apparaître comme le vecteur du développement des petits boulots et un moyen de création de nouveaux emplois. Est-ce exact ?
Deux dimensions sont à distinguer dans la démarche du nouveau modèle économique proposé :
- D’une part, l’utilisation de services de mises en relation sur internet qui d’abord remplace les outils traditionnels, comme les petites annonces presse ou papier, et qui ensuite apporte de plus un tri automatique (plus ou moins judicieux) dont un repérage de proximité par la géolocalisation des clients et prestataires. Ce dernier élément constitue un progrès dans les relations commerciales.
- D’autre part, le recours à des travailleurs indépendants qui permet de proposer un prix de revient inférieur à celui de salariés et à une plus grande flexibilité (pas d’horaires fixes, du travail de nuit, etc.). Ces indépendants sont rémunérés à la tâche sans revenu fixe. Ils ne bénéficient d’aucun avantage social comme l’assurance santé, la retraite, l’assurance chômage ou les congés payés[4]…
De nombreuses start-ups américaines, à vocation mondialisée, reposent aujourd’hui sur ce modèle économique. Ces entreprises sont compétitives, car elles concurrencent des activités existantes en parasitant le marché sans avoir à investir (achats d’automobiles[5], d’infrastructures, etc.). Elles disposent dans un premier temps de l’avantage. Elles appellent à un encadrement et la formulation de nouvelles règles s’il n’en existe pas déjà.
Elles entrent en conflit avec les acteurs existants dont la situation est encadrée par des usages et des réglementations (par exemple les taxis) correspondant à un coût initial et régulier, dont une situation fiscale légale. Des actions en justice sont menées pour concurrence déloyale et activités contraire à la loi et/ou à la réglementation. Elles aboutissent généralement. C’est pour cela, que plusieurs états européens (Belgique, Espagne, Danemark, etc.), dont la France, et des grandes villes (en Allemagne par exemple) ont réagi contre les activités de véhicules de transport de la société UBER et que ses prestations ont été stoppées.
LE PROGRÈS TECHNOLOGIQUE APPORTE AUX CLIENTS DES AVANTAGES RÉELS.
Le progrès technologique, apporté par la mise en relation rapide et géolocalisée, constitue un progrès pour l’utilisateur. Elle fluidifie les relations par rapport à l’offre traditionnelle. Les initiateurs de ces nouvelles pratiques doivent s’attendre à l’apparition de concurrents :
- Les acteurs numériques actuels vont se trouver progressivement dans des situations de concurrence entre eux, dans la mesure où rien ne pourra freiner la création de nouveaux services de proximité par des sociétés utilisant leur modèle. C’est déjà le cas. Des pays préfèrent rechercher des solutions locales (Corée du sud) que de voir s’implanter des sociétés étrangères.
- L’utilisation des outils en ligne va être progressivement adoptée par des entreprises classiques, et sans doute assez rapidement. Il s’agira, par exemple, de l’utilisation de la géolocalisation par des entreprises de divers services à la personne ou d’entreprises de travail temporaire.
L’avance prise dans ces domaines par les acteurs du numérique, outre l’invention et la maîtrise des logiciels, repose principalement de l’avantage financier apporté par la mobilisation de dizaines de milliards de dollars d’investissement. Comme leurs activités ne sont pas « encore » rentables ou que leur marge est très insuffisante au regard de leur capitalisation, leur situation peut sembler assez fragile. C’est pourquoi leur avance parait ne devoir être que temporaire.
LE STATUT DE TRAVAILLEUR INDÉPENDANT NE SATISFAIT PAS TOUS LE MONDE.
Les indépendants intervenants sur les services proposés en ligne par les opérateurs, se divisent en deux types de publics :
- des personnes recherchant des compléments de revenus en exerçant des jobs à temps partiel pour une durée limitée (on cite le cas d’étudiants, de retraités, de femmes au foyer, etc.) et pour lesquelles la recette peut être assez faible,
- des profils recherchant une activité à temps plein pour vivre (c’est le cas de chômeurs), c’est-à-dire d’un métier à part entière. Le statut d’indépendant offre des avantages inférieurs à celui de salarié. Donc, naturellement, une part des travailleurs indépendants se retourne contre les opérateurs numériques pour demander un statut de salariés. C’est actuellement le cas en Californie ou des indépendants ayant participés à ces activités estiment qu’ils auraient dû bénéficier du statut de salariés, avec toutes les obligations que cela impliquait pour leur employeur.
Les start-ups ne font pas le tri dans leur recrutement entre ces deux types d’indépendants et l’emploi est parfois un job et souvent un travail aux horaires très longs…
L’ÉVOLUTION DU MODÈLE ÉCONOMIQUE INITIAL EST DÉJÀ ENGAGÉE.
Si ces plaignants obtiennent gain de cause, le modèle économique de ces entreprises sera durement touché[6]. Les entreprises pourront peut-être poursuivre leurs activités, mais avec des marges beaucoup plus faibles sans rapport avec les chiffres annoncés aux investisseurs.
Certaines start-ups ont déjà décidé, sans attendre, de salarier les personnels pour éviter le risque de décisions de justice susceptibles de remettre en cause leurs prochaines levées de fonds. Mais, ces entreprises, même si elles s’avèrent rentables, sans recours à des travailleurs indépendants, auront probablement des marges assez proches de celles des acteurs traditionnels. Dans ce dernier cas, il peut y avoir création d’un certain nombre d’emplois si ces nouvelles activités se stabilisent.
[1] Le phénomène atteint une réelle importance puisque l’on évoque que l’activité d’Uber concernerait plus de 160 000 chauffeurs dans l’Etat de Californie.
[2] Lire l’article : « L’entreprise propriétaire d’Ashley Madison impliquée dans un site de prostitution » – Le Monde | 03.09.2015
[3] D’autres initiatives mobilisant des outils numériques ne relèvent pas du modèle de l’uber-économie. Des initiatives concernant le développement de nouvelles pratiques sociales basée sur des échanges de services, comme le covoiturage et les échanges de logements, utilisent également des types de mise en relation en ligne, mais elles ne reposent pas sur le même modèle économique synonyme de « numérisation et paupérisation ». Elles agissent sur le développement des relations humaines et posent d’autres problématiques de fonctionnement et d’effets sociaux.
[4] Mais, évidemment, ils peuvent avoir recours s’ils le souhaitent à tous les services d’assurance privée.
[5] Les chauffeurs d’Uber sont travailleurs indépendants auxquels incombe la charge du financement des véhicules et assurances.
[6] Les entreprises de l’uber-économie ont besoin de la flexibilité et des coûts limités apportés par les travailleurs indépendants. Si elles les salarient, leurs dépenses augmentent avec les salaires, les cotisations retraite, chômage et santé, et la prise en charge des frais ; par exemple pour Uber : carburant, assurance auto, achat et entretien des véhicules.
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