Seconde étape d’application de la réforme de l’indemnisation chômage[1], de nouvelles règles d’indemnisation chômage, des « évolutions majeures », s’appliqueront au 1er avril 2020, pour les personnes qui alternent des périodes d’emploi et de périodes de chômage.
J’ai fait le choix de ne pas utiliser le terme « permittents », car il tend à catégoriser, de manière homogène, des demandeurs d’emploi ayant des activités courtes et successives de types très différents. Cette désignation a pour objet implicite la mise en cause de la bonne volonté de ces travailleurs de vouloir avoir un travail régulier sans aucune nuance.
L’exécutif jugeait trop favorable aux personnes travaillant de manière discontinue.
Selon l’Unédic, cette mesure de la réforme concernera 850 000 demandeurs d’emploi la première année, qui devraient voir leur allocation mensuelle baisser de 22% (voir tableau[2]).
UNE NOUVELLE PRESTATION POUR CEUX QUI ALTERNENT EMPLOI ET PÉRIODES DE CHÔMAGE VA VOIR LE JOUR. MAIS POLE EMPLOI SE DÉFAUSSE DE L’ACCOMPAGNEMENT DE CE PUBLIC SUR DES PRESTATAIRES.
Pôle emploi[3] a décidé d’externaliser la prestation d’accompagnement de ces publics, afin d’en décharger les personnels de Pôle emploi. Le Directeur général de Pôle emploi a déclaré « assumer » ce choix de recourir à l’externalisation.
MOTIFS :
- Pour réaliser cette prestation en interne, « nous aurions dû renoncer à d’autres priorités» comme la satisfaction plus rapide des offres d’emploi des entreprises, l’accompagnement renforcé des nouveaux demandeurs d’emploi, etc.
- Cette solution permettra de proposer cette prestation en fin de journée ou le samedi pour les demandeurs d’emploi qui travaillent.
Le nom choisi pour cette prestation « Un emploi stable, c’est pour moi » confirme l’intention de la mesure qui semble être de faire passer des travailleurs en contrats courts à des emplois stables.
Vue de loin, l’intention parait bonne, mais elle fait fi de la réalité de la demande des employeurs d’une manière générale.
Au-delà du faible nombre d’employeurs qui vont être en mesure de reconsidérer leurs pratiques, le système actuel va très majoritairement perdurer et ces demandeurs d’emploi, qui travaillent de manière irrégulière, vont voir leur indemnisation chômage réduit sans beaucoup de solutions autres que le recours aux aides sociales.
« UN EMPLOI STABLE, C’EST POUR MOI » EST LE NOM DE LA PRESTATION SOUMISE A APPEL D’OFFRES, A LOTS RÉGIONAUX, ACTUELLEMENT EN COURS POUR CHOISIR DES PRESTATAIRES PRIVES
« La consultation vise à la conclusion de marchés ayant pour objet la mise en œuvre de prestations de services d’insertion professionnelle de type « Un emploi stable, c’est pour moi » (EMS) auprès des demandeurs d’emploi qui alternent des périodes d’activité et de chômage.[4] »
Cette prestation, en année pleine, aurait été budgétée à hauteur de 120 millions d’euros.
Les opérateurs en charge d’EMS auront les missions suivantes, selon le DG de Pôle emploi :
« Ils se chargeront pour l’institution d’analyser avec les demandeurs d’emploi, pendant une durée de 3 mois, les raisons de cette alternance, de leur proposer des ateliers, et de leur financer des formations ».
Ces opérateurs privés devraient être mis en rapport avec 300 000 demandeurs d’emploi par an a été évoqué[5]. Les opérateurs devront apprécier « si leur permittence est subie ou choisie ».
C’est là où vient se poser une question majeure qui est de savoir sur quels critères va s’effectuer ce tri et qu’elles en seront les conséquences dans le déroulement de la prestation. Et leur proposer des ateliers collectifs, notamment sur les techniques de recherche d’emploi (TRE). Ces ateliers proposés aux demandeurs d’emploi auraient lieu sur trois mois. Les résultats des prestataires devraient être jugés en fonction du taux de retour à l’emploi durable (CDD de plus de six mois ou CDI) dans un délai de deux mois.
LA PRESTATION À VENIR SUSCITE PAR AVANCE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS SUR SA FORME ET SON AMBITION RÉELLE.
Devant la difficulté de mener l’accompagnement vers l’emploi de demandeurs d’emploi touchés par une réduction des droits, la direction de Pôle emploi a renvoyé la tâche à des prestataires qui porteront la responsabilité des résultats de l’action.
Ce sont eux qui auront pour mission de juger la bonne volonté des demandeurs d’emploi travaillant ponctuellement en contrats courts. La méthode pour établir ce diagnostic reste pour le moins incertaine.
Ce sont eux qui seront chargés de remettre ces personnes dans le droit chemin avec une prestation collective (en atelier) sur une durée limitée à trois mois.
Ce sont eux qui vont devoir justifier d’un accès à un emploi durable en 5 mois (3 mois d’accompagnement, plus deux mois de recherche).
Les prestataires n’auront pas le choix du public, la sélection des demandeurs d’emploi concernés sur le fichier de Pôle emploi sera faite selon une procédure inconnue. Ce sont les caractéristiques de cette extraction qui vont conditionner les résultats potentiels. Or il y aura sélection compte tenu des effectifs visés (300 000) par rapport à l’ensemble de la population concernée (850 000). Il est imaginable que Pôle emploi conserve l’accompagnement des plus proches de l’emploi durable !
Dès à présent, il est permis d’avoir des doutes sur la nature de la prestation en cours de mise en place.
LA SOUS-TRAITANCE DE PRESTATIONS D’ACCOMPAGNEMENT VERS L’EMPLOI PAR POLE EMPLOI POSE DES QUESTIONS RÉCURRENTES
Ce n’est pas la première fois que la définition d’une prestation de sous-traitance de Pôle emploi pose question a priori, et que les résultats sont peu probants.
La raison en est que la Direction de Pôle emploi transmet à des opérateurs privés des prestations :
- qu’elle ne souhaite pas prendre en charge en interne,
- qu’elle rémunère les prestations à un niveau souvent insuffisant pour atteindre l’objectif souhaité,
- que la prescription de public par Pôle emploi n’est pas optimale (de manière plus ou moins volontaire) et
- dont les résultats seront peu connus, voire pas du tout, au bout de 5 ans (prestation de 3 ans reconductibles deux fois un an).
Certains professionnels de l’emploi tendent à penser qu’il existerait derrière tout cela un phénomène de type schizophrénique entre le fait de mobiliser des sous-traitants, tout en attendant qu’ils échouent, pour démontrer, ou confirmer, la valeur des équipes de Pôle emploi ! Cela reste évidemment une mauvaise pensée tout à fait discutable.
[1] Première étape : le changement des règles d’indemnisation mise en place au 1er novembre 2019. Il faut avoir travaillé six mois sur les 24 derniers au lieu de quatre mois sur les 28 derniers. Le seuil permettant un rechargement des droits est également passé d’un à six mois. Il n’aurait donné lieu à aucune réaction de la part des personnes concernées, qui ont perdu leur accès à une indemnisation chômage : « Nous n’avons eu aucune remontée des agences sur des difficultés de mise en place de ces nouvelles règles » – le Directeur général de Pôle emploi. Cette appréciation reste à confirmer dans la durée !
[2] Tableau – Évolution du montant des allocataires ouvrant un droit dans la 1re année suivant le nouveau mode de calcul du Salaire journalier de Référence (SJR), selon le rythme de travail sur leur période de référence
Rythme de travail sur la période de référence | Répartition des entrants | Effectifs d’entrants | Montant mensuel de l’indemnisation
Avant la mesure |
Montant mensuel de l’indemnisation
Avec la mesure |
Écart |
Entrants impactés la 1re année | 37% | 850 000 | 905 € | 708 € | -22% |
De 25 % à 49 % | 8% | 190 000 | 868 € | 431 € | -50% |
De 50 % à 74 % | 12% | 280 000 | 897 € | 679 € | -24% |
De 75 % à 99 % | 16% | 380 000 | 929 € | 869 € | -6% |
Source Unédic – septembre 2019
[3] Propos du Directeur général de Pôle emploi, Jean Bassères, lors de ses vœux 2020 à la presse.
[4] Description succincte – extraite de l’appel d’offres.
« Le marché est conclu depuis sa date de notification pour une période ferme jusqu’au 31/03/22 puis reconductible 2 fois pour une période d’1 an calendaire.la date de prise d’effet du marché est fixée au 01/04/20. »
[5] La répartition des rôles ne semble pas encore claire à ce stade, puisque le DG de Pôle emploi précise que « Nous allons envoyer des courriers aux demandeurs d’emploi pour les prévenir, organiser des réunions d’informations et mettre en place un site dédié. »
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