LA FORMATION ET L’ACCÈS A L’EMPLOI APPARAISSENT COMME UNE CONDITION NÉCESSAIRE DE LA RÉINSERTION DES DÉTENUS.
Un récent Avis du Conseil Economique Social et Environnement (CESE),[1], intitulé : « La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes », comporte une partie consacrée plus particulièrement à « La formation et le travail des leviers incontournables de la réinsertion »[2]. Ce chapitre de l’avis aborde trois points : « Se former en détention », « Travailler en détention » et « Être accompagné dans son projet d’insertion professionnelle ».
Il aborde ainsi de nombreuses problématiques allant d’un diagnostic complet jusqu’à des préconisations. Par exemple, il présente l’ouverture du recours de l’insertion par l’activité économique (IAE) aux personnes détenues (2009), qui a débouché en 2017, sur une expérimentation[3].
L’avis affirme que « La formation et le travail : des leviers incontournables de la réinsertion ». Cette position apparait tout à fait de bon sens.
La « préconisation n°13 » aborde la question de l’amélioration de « l’attractivité, auprès des employeurs et employeuses », puis « du travail en détention et à l’issue de la détention ». Elle propose de :
- « Promouvoir le travail pénitentiaire dans les commandes publiques ;
- Développer l’insertion par l’activité économique en prison en levant les freins persistants et en conventionnant les projets sur une base identique à celle des Ateliers et chantiers d’insertion (60% de l’aide aux postes) ;
- Inciter les employeurs à recruter des personnes sortant de prison par une aide à l’embauche et en valorisant ces emplois dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises ;
- Augmenter le nombre de conseillers et conseillères justice de Pôle emploi et des missions locales à proportion de l’évolution de la population carcérale ;
- Évaluer l’impact sur le retour à l’emploi et l’accès à la formation professionnelle de l’inscription anticipée des personnes en détention par les conseillers et conseillères Pôle emploi/justice en vigueur depuis 2014. »
Ces deux derniers points concernent directement la question des moyens humains de Pôle emploi et des missions locales[4].
DES CONSEILLERS JUSTICE DE POLE EMPLOI INTERVIENNENT AUPRÈS DU PUBLIC DES DÉTENUS.
L’administration pénitentiaire dispose d’une convention-cadre triennale avec Pôle emploi[5] ayant pour objet de « mieux articuler la période de détention et la sortie afin d’accélérer le retour à l’emploi.[6] » Elle prévoit l’intervention de conseillères et conseillers de Pôle emploi auprès des personnes détenues[7].
Six mois avant leur libération, les personnes détenues peuvent décider de s’inscrire à Pôle emploi. Chaque année de l’ordre de 10 000 inscriptions à Pôle emploi sont effectuées annuellement en détention, par les conseillers Pôle emploi/justice[8].
Selon l’avis du CESE, le nombre des conseillers dédiés apparait : « aujourd’hui insuffisant et devrait augmenter à proportion de la croissance de la population carcérale.[9] »
DE MÊME QUE DES CONSEILLERS DES MISSIONS LOCALES POUR ACCOMPAGNER DES JEUNES SOUS MAIN DE JUSTICE.
L’administration pénitentiaire dispose également d’un accord-cadre de partenariat avec l’Union nationale des missions locales (UNML)[10]. Il concerne l’insertion sociale et professionnelle des jeunes sous main de justice[11].
Il est important dans la mesure où 44% des personnes détenues ont moins de 30 ans[12]. « Là aussi, le nombre de conseillers et conseillères dédiés à cette mission tant en milieu ouvert qu’en milieu fermé est insuffisant ». – Avis du CESE. L’UNML souhaiterait que les missions locales disposent de 100 ETP Conseillers justice, pour accompagner ces jeunes.
Par ailleurs, le CESE :
- « recommande, dans le cadre des expérimentations lancées pour faire évoluer la garantie jeune, qu’une attention particulière soit portée sur les jeunes sous main de justice ».
- Déplore la disparition des contrats aidés CUI/CAE qui constituaient une solution pour des personnes sortant de détention. Les Parcours Emploi Compétences (PEC) ne les remplacent pas. Il souhaite que « le ministère du Travail puisse en faciliter l’accès pour les personnes sous main de justice ».
L’UNML précise qu’en 2017, le Ministère du Travail a financé 50 postes de référents justice au sein des Missions locales pour une période de 6 mois (LF 2017). Cette mesure a permis de compléter ceux déjà cofinancés par le FIPD (Fonds Interministériel pour la Prévention de la Délinquance), les services justice en région, le FSE ou les collectivités locales.
Mais ces financements n’ont pas été reconduits, « alors même que la nouvelle Stratégie nationale de prévention de la délinquance 2018-2020 était en cours de définition ».
« L’UNML regrette que malgré toutes les évaluations locales qui ont pu démontrer la plus-value de la présence des Missions locales le plus tôt possible dans les parcours de ces jeunes, l’ensemble des ministères ne se soit pas engagé pour structurer, professionnaliser, et consolider dans la durée cette offre de service spécifique. »
MAIS LES MOYENS HUMAINS MANQUENT.
Le renforcement du nombre de conseillers justice préconisée par le CESE suppose bien de reconsidérer le financement de ces postes dédiés[13].
QUEL EST LE CONTENU GÉNÉRAL DE L’AVIS DU CESE ?
Cet avis du CESE est porteur de critique concernant à la fois la Justice et le système pénitentiaire, dont la part peut paraitre excessive par rapport à l’objet de ce travail portant sur la réinsertion. Une partie intitulée « Lever les freins au développement des alternatives à la détention » propose d’« Augmenter le recours aux peines alternatives et aménagées ; rendre effectifs les alternatives et aménagements de peine ; favoriser le recours au TIG plutôt qu’à l’incarcération ; instaurer davantage de quartiers ou centres de semi-liberté. »
Dans le contexte de l’annonce par le ministère de l’Intérieur de la montée générale de la délinquance en France, sans entrer dans le détail, ces préconisations de l’avis méritent un sérieux examen critique.
Il est vrai que le contexte de l’abandon par le gouvernement du programme annoncé de construction de nouvelles places de prison s’accompagne évidemment d’une surpopulation carcérale qui n’apparait pas comme une condition favorable à la formation des détenus, à la pratique des TIG ou à la mise en œuvre du suivi de la réinsertion.
[1] Avis de novembre 2019.
[2] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2019/2019_28_personnes_detenues.pdf
[3] « Une phase d’expérimentation est lancée permettant le déploiement de 7 Structures de l’IAE (SIAE), entreprises d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion, dans les établissements pénitentiaires après conventionnement avec l’Etat. » – Avis du CESE
[4] « L’administration pénitentiaire a mis en place depuis quelques années le programme personnalisé d’Accompagnement à l’insertion Professionnelle. Il permet de définir un projet professionnel et d’établir un plan d’action (orientation vers l’emploi ou formation professionnelle). Le programme s’inscrit dans un réseau de partenaires en faisant intervenir des acteurs de l’insertion, de l’emploi et de la formation » – Avis du CESE
[5] « La Convention cadre nationale 2017-2019 entre Pôle emploi et l’administration pénitentiaire vise à prendre en compte les évolutions et les grands enjeux actuels en proposant en particulier de renforcer la coopération entre les partenaires en charge de l’insertion sociale et professionnelle durant la période de détention, dans la perspective d’améliorer l’employabilité des personnes placées sous main de justice tout au long de leur parcours d’exécution de peine ; favoriser une meilleure articulation « dedans-dehors » afin d’accélérer le retour à l’emploi et de lutter contre la récidive. » – Pôle emploi, qui précise que ce partenariat existe depuis 25 ans (15/06/2018).
[6] En 2012, 5 924 sur 18 917 personnes détenues suivies par des conseillers pôle emploi justice, ont obtenu une solution d’insertion professionnelle dès leur sortie. Parmi elles, 2 036 personnes ont trouvé un emploi, dont 914 dans la cadre d’un aménagement de peine ; 1 532 ont intégré une formation professionnelle dont 712 dans la cadre d’un aménagement de peine et 2 356 ont intégré une prestation d’accompagnement du Pôle emploi dont 812 dans le cadre d’un aménagement de peine.
[7] L’objectif est d’articuler l’intervention des personnels des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et ceux de Pôle emploi afin de favoriser une réinsertion sociale et professionnelle réussie des personnes détenues pour assurer une continuité de prise en charge de la personne détenue lors de sa sortie.
[8] « Cette inscription permet aux personnes concernées d’avoir accès à l’offre de service de droit commun de pôle emploi en matière d’accompagnement mais aussi d’avoir accès aux actions de formation dispensées à l’extérieur, sous réserve de l’octroi d’un aménagement de peine et/ou de permissions de sortir par le ou la juge de l’application des peines. »
[9] « La prise en charge des personnes détenues par les services de droit commun est souvent dysfonctionnelle ou insuffisante. Ainsi, par exemple, seulement 67 postes équivalents temps-plein (assurés par 153 conseillers pôle emploi) sont consacrés aux publics détenus, répartis dans 186 établissements pénitentiaires. Moins d’un quart des sortants de prison (16 000 environ sur 67 749) voit un conseiller en entretien avant leur libération. 14,3 % parviennent à s’inscrire comme demandeur d’emploi avant de sortir. (L’administration pénitentiaire en chiffres au 1er janvier 2018) » – Section française de l’Observatoire international des prisons (OIP-SF)
[10] Accord cadre du 7 mai 2017.
[11] Les personnes placées sous main de justice sont celles qui, à la suite d’une décision, sont incarcérées ou font l’objet d’une peine alternative à l’incarcération ou de mesures d’aménagement de peine.
[12] Au 01/10/19
[13] « Concernant 2020, plusieurs Missions Locales (Auvergne-Rhône-Alpes, Ile-de-France, Outre-Mer) s’interrogent sur leur capacité à maintenir leur activité en établissement pénitentiaire. » – UNML – 27 janvier 2020
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