UNE NOUVELLE ÉTUDE CONCERNANT CERTAINES DISCRIMINATIONS À L’EMBAUCHE VIENT D’ÊTRE PUBLIÉE[1].
Cette étude du CNRS (Théorie et Évaluation des Politiques Publiques) concerne deux critères de discrimination : d’une part, le prénom et le nom et, d’autre part, le lieu de résidence. Plus précisément ont été isolés :
- Des prénoms et noms d’origine française ou maghrébine, pour des candidats de nationalité française,
- Des territoires neutres ou quartiers de la politique de la ville (QPV), pour prendre en compte la réputation du lieu de résidence.
Trois types de profils de candidatures, fictives, ont été constitués[2] en fonction de ces critères. La démarche a consisté à envoyer des courriers ou des messages de candidature fictive en combinant quatre types de messages :
- Des réponses à des offres d’emploi : dépôts de candidature ou demandes d’information, préalables à un dépôt de candidature
- Des démarches spontanées : candidatures spontanées ou demandes d’information sur les recrutements.
L’équipe de recherche a ciblé 103 grandes entreprises[3], de manière générale et dans un volume important (plus de 17 000 envois)[4].
« La discrimination est mesurée par la différence des taux de succès entre le candidat de référence et le candidat potentiellement discriminé. »
Elle porte sur le nombre et le type de réponses apportées par les entreprises, en retour à ces demandes, en fonction des patronymes et des lieux de résidence.
DES DISCRIMINATIONS DEMEURENT DANS LA RÉPONSE DES ENTREPRISES AUX DEMANDES CONCERNANT LE RECRUTEMENT À UN CERTAIN NIVEAU.
« Pour l’ensemble des entreprises testées, l’étude met en évidence une discrimination significative et robuste selon le critère de l’origine, à l’encontre du candidat français présumé maghrébin, dans tous les territoires testés. »
Très concrètement, les candidatures portant un patronyme d’origine arabe reçoivent près de 20% de moins de réponses que les autres, « dans la plupart des secteurs ».
Des nuances apparaissent selon la nature des messages, par exemple :
« On estime que la discrimination fondée sur l’origine est moins importante, en termes absolus, dans le cas du test de candidature spontanée que dans le cas du test de réponse aux offres publiées.[5] »
La discrimination selon le lieu de résidence apparait plus faiblement significative[6], pour une partie des tests[7].
L’ÉTUDE VIENT CONFIRMER DES CRITÈRES DE DISCRIMINATION SELON LA TAILLE DE L’ENTREPRISE ET SON SECTEUR D’ACTIVITÉ.
« La discrimination à l’égard du demandeur d’origine nord-africaine présumée est plus forte dans les entreprises les plus grandes, dont le chiffre d’affaires est supérieur à la médiane, et se concentre dans quelques secteurs d’activité. »
Paradoxalement, les grandes entreprises présentent généralement des résultats moins positifs. Les très grandes entreprises, étant plus connues et développant leur attractivité, suscitent un nombre élevé de candidatures par poste, ce qui implique un traitement plus lourd dans le recrutement susceptible de déboucher sur des cas plus fréquents de discrimination.
Sur la base du test mené, l’équipe de recherche a identifié des entreprises ayant mené de plus mauvaises pratiques :
« Sur les 103 entreprises testées, nous identifions entre 5 et 15 entreprises discriminantes selon les indicateurs utilisés et le seuil des tests. »
LE DIAGNOSTIC ET LA PRÉVENTION DES DISCRIMINATIONS À L’EMBAUCHE MÉRITENT DE NOUVEAUX EFFORTS.
Cette étude apparait très sérieuse et intéressante, mais je me permets de lui reprocher de partir de certains a priori, pour parvenir à cerner son objet. Par exemple, en termes d’origine supposée, le ciblage des prénoms et noms arabes présuppose la concentration des discriminations à l’embauche sur cette population. D’autres origines pourraient être concernées en raison des noms originaires de l’Est européen (dans l’UE et hors UE), des noms supposant une origine subsaharienne, ou asiatique, etc.
De même, le ciblage de grandes entreprises, réputées vertueuses (à cause de l’affichage d’une prise en compte de la RSE), répond également à un préjugé. Les résultats le confirment. L’élément du nombre de candidatures par poste apparait également important, quand il y a moins de candidats, il y a sans doute moins de discrimination ! Bref, tous les employeurs ne se trouvent pas dans la même situation.
D’une manière plus générale, la polarisation des discriminations autour de ces seuls deux critères (origine supposée et domicile) semblent insuffisante, par rapport aux 25 critères du Code du Travail. Par exemple, la corrélation entre le taux de réponse des entreprises et l’âge des candidats semble un sujet de pleine actualité, dans le cadre de la réflexion sur les retraites.
L’examen des seuls taux de réponse, à courriers et messages de candidats fictifs, n’est qu’un indicateur, car les réponses ne constituent qu’un préalable, certes indispensable, à une procédure de recrutement.
Les discriminations à l’embauche sont avérées et demeurent un problème important. Elles ne sont plus à démontrer. Il faut imaginer maintenant d’autres démarches pour mesurer la complexité des discriminations et travailler à les réduire dans chaque entreprise.
POUR INFO : LA DÉFINITION DU « TAUX NET DE DISCRIMINATION »
Le demandeur d’emploi est intéressé par le nombre de demandes nécessaire pour obtenir un rendez-vous pour un entretien d’embauche. Ce point de vue étant retenu deux ratios sont distingués :
Le nombre de réponses non négatives obtenues est comparé :
- D’une part, à l’ensemble des envois que le candidat a effectués[8],
- D’autre part, à l’ensemble des réponses qu’il a reçues[9].
« La mesure de la discrimination, donnée par la différence entre les deux taux de réponse obtenue par le candidat de référence et le candidat potentiellement discriminé, est alors appelée « taux net de discrimination ». »
[1] DISCRIMINATION DANS LE RECRUTEMENT DES GRANDES ENTREPRISES : UNE APPROCHE MULTICANAL – Laetitia Challe, Sylvain Chareyron, Yannick L’horty, Pascale Petit – Théorie et Évaluation des Politiques Publiques -FR CNRS 3435 – http://www.tepp.eu/doc/users/268/bib/dreamrr1.pdf
[2] TROIS CANDIDATURES FICTIVES : « Le candidat de référence habite un quartier neutre de centre urbain et signale par son nom et son prénom une origine française ; Le deuxième candidat habite un quartier neutre de centre urbain et signale par son nom et son prénom une origine maghrébine ; Le troisième candidat habite un «quartier politique de la ville» de centre urbain et signale par son nom et son prénom une origine française. »
« Ces trois candidats fictifs sont des hommes ou des femmes ; leur sexe varie selon les offres d’emploi auxquelles ils répondent de façon à ce que nos candidats soient de sexe modal. »
[3] Le CAC All-Tradable est un indice boursier de la Bourse de Paris, créé le 21 mars 2011. Il remplace l’indice SBF 250, regroupant les 250 sociétés cotées les plus importantes.
[4] « Entre octobre 2018 et janvier 2019, 8 572 tests ont été effectués, sur 103 entreprises, avec l’envoi de 17 643 candidatures et demandes d’information. Il s’agissait de tester de très grandes entreprises, en retenant comme base de sélection la liste des 250 plus grandes capitalisations de la Bourse de Paris. »
[5] « Nous constatons que le taux de réponse global est très faible pour l’ensemble des candidatures spontanées. Il est à peu près quatre fois plus faible que le taux de réponse moyen des candidatures en réponse à des offres. »
[6] « Il existe une discrimination significative à l’encontre du candidat français présumé d’origine maghrébine quel que soit le type de test utilisé, mais aucune différence significative dans les taux de réponse entre le candidat résidant en QPV et le candidat de référence n’est observée. »
[7] En effet, l’étude constate « une discrimination selon le lieu de résidence dans l’industrie et à Paris ».
[8] L’ensemble comprend l’addition des non réponses et des réponses négatives et non négatives qu’il a obtenues. « Il importe de souligner que nous ne considérons que les envois de courriel qui n’ont fait l’objet d’aucun message d’erreur. Les non réponses correspondent donc à des messages qui ont été envoyés et qui n’ont fait l’objet d’aucun message d’erreur en retour. »
[9] Le taux de réponse est calculé sur les réponses exprimées et ne prend pas en compte les offres pour lesquelles aucune réponse n’a été donnée.
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