QUI POURRA TRAVAILLER JUSQU’À 64 ANS ?
Dans le système de retraite proposé à ce jour par le Premier ministre, l’âge à partir duquel il serait possible de partir en retraite à taux plein (sans décote)[1] devrait être de 64 ans[2]. L’utilisation de l’appellation d’« âge pivot »[3] apparait comme une simple manœuvre de communication occultant le passage de 62 à 64 ans nécessaire à une retraite à taux plein. D’autres responsables politiques parlent plutôt de travailler jusqu’à 65 ans pour une retraite entière …
Mais ce calcul primaire, issu d’une approche budgétaire d’allongement des carrières, se heurte à des réalités incontournables concernant la structure du marché de l’emploi après 60 ans et l’état de santé des travailleurs.
LA PART DES ACTIFS EN EMPLOI DIMINUE RAPIDEMENT APRÈS 60 ANS
La part des actifs en emploi diminue rapidement après 60 ans, pour devenir marginale après 65 ans. Des statisticiens de l’Insee[4] attirent l’attention sur le faible taux d’emploi au-delà de 60 ans.
« Dans un contexte de chômage important des seniors, cela signifie pour beaucoup de prolonger une période d’inactivité : parmi la génération née en 1954, 4 personnes sur 10 n’étaient déjà plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite : 19% étaient au chômage, 7% en maladie ou invalidité, 3% en préretraite et 13% absents du marché du travail pour un autre motif » [5].
Plusieurs billets de ce Blog ont d’ailleurs détaillé les chiffres de la diminution du taux d’emploi au-delà de 60 ans.
La prolongation de carrière concernerait seulement une part des salariés, dans une proportion non définie par le projet de réforme.
- Les mesures actuelles de politique publique en faveur de l’emploi des plus de 55 ans ont un effet marginal. Des mesures efficaces ne semblent pas évidentes à prendre. Elles n’ont pas été évoquées.
- La détermination des entreprises, au-delà des discours de bonnes intentions sans aucun engagement, reste à démontrer :
- Pour maintenir en emploi des salariés « jugés couteux » et
- Pour embaucher des salariés de 60 ans et plus.
Des propositions ont été faites : adaptation de poste, changement de fonction, temps partiel, travail à domicile, etc., mais quelle proportion de salariés pourrait être concerné ?
Le faible taux actuel d’accès à la formation professionnelle des « plus de 50 ans » illustre cette situation de « dégagement », implicite ou pas, des seniors, qu’il dépende de la volonté des employeurs ou de celle des salariés. L’accroissement de la proportion des plus de 60 ans en emploi ne va pas du tout de soi.
L’ESPÉRANCE DE VIE EN BONNE SANTÉ TOURNE AUTOUR DE 64 ANS
A cette situation, vient s’ajouter le fait que l’état de santé d’une moitié des travailleurs est marqué par des incapacités diverses à 64 ans.
L’espérance de vie sans incapacité (EVSI) correspond au nombre d’années que peut espérer vivre une personne sans être limitée dans ses activités quotidiennes[6].
L’EVSI des femmes est stabilisé, depuis 2004, autour de 64 ans et demi. Celle des hommes a augmenté pour passer de 61 ans et demi en 2004 à 63,4 ans en 2018[7]. Le seuil de 64 ans apparait donc comme le chiffre clé.
Parallèlement, l’espérance de vie augmente. Pour les femmes, elle est de 85,3 ans et pour les hommes de 79,4 ans, en 2018. Depuis 2004, elle a progressé de l’ordre de 1,5 ans pour les femmes et de 2,7 ans pour les hommes. Cette évolution moyenne augmente effectivement la durée de la période de retraite et, par conséquent, augmente les effectifs de retraités, au-delà de l’évolution des classes d’âge nombreuses en fin d’activité.
LA PÉRIODE TRANSITOIRE ENTRE EMPLOI ET RETRAITE RISQUERAIT DE CONNAITRE UN ALLONGEMENT IMPORTANT.
Cette période d’absence d’activité peut générer un cout important tant en indemnisation chômage, sur trois ans, qu’en dépenses de solidarité : ASS, RSA, et demain « Revenu universel d’activité » (RUA). Cette question semble oubliée par l’approche purement budgétaire de l’actuelle réforme des retraites.
Pour avoir davantage de personnes en emploi, c’est-à-dire de cotisants pour assurer les retraites, il semblerait plus judicieux
- de réduire le nombre de personnes au chômage, en visant le plein emploi en France, et
- de faciliter l’entrée dans l’emploi des jeunes, en moyenne un à deux ans plus tôt, ce qui jouerait dans le sens de l’autonomie sociale de nombreux jeunes.
La condition nécessaire est évidemment un développement économique permettant un taux d’emploi de 75% comme en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas.
[1] Le montant de « la retraite à taux plein » reste inconnu à ce stade de la démarche de réflexion engagée, en dépit des simulateurs fantaisistes qui se sont multipliés. Ce flou autour du système à points suscite l’inquiétude.
[2] Cet âge apparait une variable qui pourrait être repoussé dans les années à venir.
[3] L’âge-pivot, c’est celui auquel on peut prétendre à une retraite à taux plein.
[4] Comité de mobilisation de la Direction générale de l’Insee – comite-de-mobilisation-insee-dg@protonmail.com Le comité de mobilisation de la Direction générale de l’Insee est soutenu par les sections CGT, FO et SUD.
[5] Ministère des Solidarités et de la Santé – Drees, Les retraités et les retraites, coll. « Panoramas de la Drees – social », édition 2019.
[6] L’espérance de vie sans incapacité (EVSI) provient de calculs Drees à partir de 2016 et s’appuie sur la méthode Ehemu.
Source : Deroyon T., « En 2018, l’espérance de vie sans incapacité est de 64,5 ans pour les femmes et de 63,4 ans pour les hommes », Études et Résultats, Drees, octobre 2019 – https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/en-2018-l-esperance-de-vie-sans-incapacite-est-de-64-5-ans-pour-les-femmes-et
[7] Insee, Statistiques d’État civil et données issues de l’enquête SILC (Statistiques sur les revenus et les conditions de vie). France entière.
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