La crise sanitaire a conduit à l’arrêt partiel des activités économiques depuis plus de cinq semaines. Des secteurs restent mobilisés pour maintenir les activités d’intérêt général : santé, médico-social, alimentation, énergie, eau, funéraire, etc. D’autres sont en activité réduites (sécurité sanitaire, approvisionnements, commandes, distribution, etc.) et, enfin, les dernières sont à l’arrêt complet (industries automobile ou aéronautiques, etc.).
LA CRISE ÉCONOMIQUE ARRIVE. SES CONSÉQUENCES FONT L’OBJET D’UN CONCOURS DE PRÉVISIONS.
Divers professionnels, auteurs et « experts », publient chaque jour des tribunes, des constats, des diagnostics et des prédictions sérieuses ou fantaisistes. Chacun fait valoir son discours et son « savoir ». Ces prévisionnistes d’occasion ont pour premier but de se faire valoir pour des raisons personnelles, professionnelles ou idéologiques. Il me semble normal de se poser des questions, mais il convient de prendre leurs assertions avec un solide esprit critique. Cela ne signifie pas bien sûr qu’il ne faille pas les lire, car des idées peuvent être retenues.
En ce qui concerne le monde du travail, nombre de ces tribunes évoquent un « changement de monde », sans doute à tort. Et que l’« après », ne sera pas l’« avant ».
Dans les faits, toutes les entreprises s’apprêtent à surmonter la crise. Elles rencontreront plus ou moins de difficultés, selon leurs secteurs, leurs tailles et leurs fonds propres.
BEAUCOUP DE SALARIES FONT L’EXPÉRIENCE DU TÉLÉTRAVAIL, MAIS DE MANIÈRE CHAOTIQUE.
Beaucoup de salariés font l’expérience du télétravail, mais il est difficile de dire qu’elle sera l’influence de cette expérience, selon les cas.
Il faut bien constater que tous les éléments ne jouent pas en faveur du télétravail qui se place dans une obligation de confinement et de contraintes familiales inédites (enfants, etc.), mais aussi de contraintes matérielles : locaux peu adaptés, matériels déficients, accès aux logiciels d’entreprise pas toujours efficace, etc.
Le bénéfice de certaines organisations nouvelles testées, par la force des choses, apparaitront, alors qu’elles elles n’étaient pas envisagées à cause de l’inertie des procédures. Cette phase pourra participer au développement de solutions numériques, tout en en démontrant certaines limites.
CERTAINS EXPERTS PRÉTENDENT QUE LA « HIÉRARCHIE SYMBOLIQUE » DES MÉTIERS SERAIT BOUSCULÉE.
Une récente tribune, dans la presse quotidienne, affirme :
« Scoop : les aides-soignantes et les éboueurs sont plus utiles que les traders ou les publicitaires, ce qui ne se lit pas dans la reconnaissance sociale et la feuille de paie. »[1]
Cette thèse consiste à affirmer que les cadres sont bien « au chaud » en télétravail et les personnels non qualifiés sont sur le terrain dans une situation à risques[2].
Des sondages participent à faire passer cette idée dans l’opinion par le choix des questions posées de manière à obtenir une réponse voulue[3].
Il s’agit d’une caricature de la situation actuelle sous tendue par une idéologie politique, exprimée de manière implicite ou explicite (lutte de classes et rêve de fin du capitalisme !).
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D’une part, la réalité est que la proportion des personnels d’encadrement (20% des salariés du privé) qui travaille pendant le confinement, reste très largement supérieure à celle des ouvriers et des employés, qui continuent à exercer leur métier dans cette période. Par exemple, le chômage partiel concerne au premier chef les activités interdites depuis la mi-mars, qui emploient habituellement de nombreux personnels faiblement qualifiés : restauration, hôtellerie, tourisme, etc.
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D’autre part, parmi toutes les activités qui fonctionnent dans l’intérêt commun, les personnels d’encadrement sont mobilisés, et souvent sur-mobilisés : médecins, infirmières[4], cadres de l’agroalimentaire, responsables du secteur de l’énergie, gestionnaires logistiques, etc.
Tous les personnels ont un rôle utile dans une organisation de travail bien pensée.
Développer le « culte de la caissière », exposée aux contacts humains, par rapport à celui du cadre « planqué chez lui » ne correspond pas à la réalité.
S’il est certain que le rôle des personnels mobilisés sur le terrain, donc exposés, doit être reconnu, cela ne conduit aucunement à revoir la « hiérarchie symbolique des métiers »[5] qui repose sur des éléments durables : la formation, les compétences, l’expérience, etc.
La situation des agriculteurs, des routiers, des livreurs, des éboueurs ou des caissières, diffère beaucoup selon leurs fonctions respectives. Par ailleurs, ces travailleurs n’agissent pas seuls, mais dans le cadre de l’organisation de leur entreprise qui continuent à tourner. Par exemple, les personnels d’encadrement de la distribution alimentaire gèrent les stocks et les approvisionnements, font la comptabilité, assurent les ressources humaines qui versent salaires et/ou indemnités de chômage partiel à une part des salariés, etc. dans le cadre d’organisations qui fonctionnent.
LA MODIFICATION TEMPORAIRE DE L’ORGANISATION DU TRAVAIL CONDUIRA SANS DOUTE A TIRER DES LEÇONS EN FONCTION DES SITUATIONS.
Mais, hors période d’activité normale, il semble difficile d’en juger aujourd’hui de manière générale.
Seule tendance acquise, il est probable que cette « expérience » conduise à des réductions des effectifs pour deux raisons :
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D’une part, à cause de la diminution persistante de la demande suite au déconfinement progressif et,
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D’autre part, parce que le déroulement de la crise aura conduit à mettre en évidence des postes finalement « moins utiles ».
Ces tendances dépendront évidemment des secteurs et des entreprises, mais elles se confirmeront dans le cadre des tensions économiques, que vont connaitre chaque entreprise.
[1] Dans une tribune publiée par Libération le 20 avril 2020, et signée avec les députées Clémentine Autain (FI) et Elsa Faucillon (PC) et Alain Coulombel (membre de la direction d’EELV), Guillaume Balas appelle à la « construction de l’archipel des gauches des écologistes ».
[2] « Outre une organisation au sein des entreprises bousculée, c’est la hiérarchie symbolique des métiers qui se trouve bouleversée à la faveur de la crise. C’est à ces professions peu qualifiées, mal rémunérées et jusqu’ici si peu considérées que nous devons notre survie. »
[3] La notion d’activités « utiles » et « vitales », dans le contexte actuel, semble peu sérieux.
[4] Les infirmiers appartiennent à la catégorie A.
[5] « Il ne faut pas simplement espérer mais exiger que cette reconnaissance symbolique s’accompagne d’une revalorisation financière et qu’à terme la hiérarchie des revenus traduise l’utilité réelle du travail » – Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EMLyon.
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