La coexistence de pénuries ponctuelles de candidats et d’un manque global d’offres d’emploi apparait comme paradoxale, mais bien réelle et ne conduit pas à une solution simpliste…
LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT SONT SOUVENT UTILISÉES COMME UN ARGUMENT POLITIQUE FACE AUX CHÔMEURS
Un discours récurrent et actuel sur les difficultés de recrutement des entreprises est porté par le président de la République, la ministre du Travail et le Medef.
D’abord, le raisonnement met en cause des chômeurs qui ne « voudraient pas travailler », et débouche sur un appel à prendre des dispositions pour forcer un retour à l’emploi dans le cadre de la négociation sur l’indemnisation-chômage. Les pistes évoquées sont le renforcement du contrôle des chômeurs et des sanctions (dont les radiations), la dégressivité des indemnités chômage en particulier pour les cadres, la réduction de l’accès aux droits, la réduction des contrats courts, etc.
Ensuite, ce discours présente la formation de chômeurs comme LA réponse apportée pour pourvoir les postes présentés comme restants vacants…
Ce discours apparait comme un argumentaire politique face à la pénurie des emplois face à une politique économique et sociale peu efficace débouchant sur un taux de croissance insuffisant.
La création de nouveaux postes est descendue à 100 000 sur les 3 premiers trimestres 2018… L’abandon de la politique sociale de l’emploi par le ministère du Travail participe évidemment à la situation présente (abandon des emplois aidés, des primes à l’embauche, etc.).
LA RÉALITÉ EST DIFFÉRENTE, CAR À LA FOIS DES DIFFICULTÉS EXISTENT ET DES POSTES MANQUENT.
La réalité est duale :
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d’une part, les employeurs ressentent des difficultés de recrutement[1] pour une petite moitié de leurs offres et,
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d’autre part, peu de postes ne sont pas pourvus au final[2].
Le nombre de postes non pourvus reste marginal, c’est-à-dire largement insuffisant, pour réduire le chômage de masse.
Ce constat n’empêche pas de reconnaitre que des recrutements sont difficiles et donc concrètement longs à réaliser, que des profils spécialisés manquent et que sur certains métiers la concurrence entre recruteurs règne avec une grande mobilité des cadres.
Les recruteurs relèvent d’une part un manque de candidats qualifiés pour le poste (on évoque déficit de compétences).
D’autre part, s’y ajoute un manque de candidatures relevant d’un déficit d’attractivité par rapport au poste : au lieu de travail, aux horaires, à la rémunération, etc.
Enfin, un décalage entre les candidatures et les compétences attendues peut survenir en matière de « savoir-être » professionnel.
Pôle emploi a identifié des secteurs[3] et des métiers[4] en tension.
Mais ces chiffres appellent au débat.
Par exemple, quand on note que le recrutement d’« Aides à domicile et aides ménagères » est difficile dans 77 % des cas, on doit admettre que le recrutement est un travail et demande un peu de temps, mais qu’il reste peu de postes non pourvus sur ce créneau (sauf problème de délai). La notion de compétences existe pour ces postes, mais à un niveau réduit.
IL NE FAUT PAS CONFONDRE LES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT ET LES OFFRES NON POURVUES.
Pôle emploi assure que la plupart des recrutement « difficiles » aboutissent et qu’il ne faut pas confondre les difficultés de recrutement et les offres non pourvues.
« Plus de 90 % des offres déposées à Pôle emploi sont pourvues. 6 mois après le dépôt d’une offre d’emploi : 2,9 millions d’offres sont pourvues, 97 000 recrutements sont annulés (disparition du besoin, budget indisponible) et 53 000 recrutements se poursuivent.»
150 000 offres d’emploi sont abandonnés faute de candidats (soit de l’ordre de 5% de l’ensemble).
Pour Pôle emploi, la moitié des recrutements se font sous 38 jours ou moins[5]. La principale question porte davantage sur la durée de recrutement que sur sa finalisation. Pôle emploi estime le nombre de projets de recrutement abandonnés, faute de bons candidats, est compris entre 200 000 et 330 000 (avec la diversité de causes évoquées plus haut) , en France, sur une année.
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Il importe de bien distinguer ces difficultés de recrutement, quand elles existent, de la problématique du chômage et ne pas tenter de masquer l’un par l’autre, comme c’est encore le cas aujourd’hui.
[1] 44% des projets de recrutement sont ressentis comme « difficiles » par les entreprises, selon Pôle emploi.
[2] Voir l’article de Pole emploi : Difficultés de recrutement : Pourquoi certains métiers sont « en tension » – https://bit.ly/2pmyXlA
[3] Les difficultés de recrutement se concentreraient en 2018 sur des secteurs comme la métallurgie (77% de difficultés), le commerce et la réparation automobile (65%) et la construction (61%).
[4] Les 10 principaux métiers « en tension » en 2018 seraient les suivants. Dans le BTP : les couvreurs (80% de difficultés), les plombiers chauffagistes (75%), dessinateurs en BTP (74%) ou techniciens de maintenance en électricité / électronique (73%). La métallurgie et la mécanique auto avec des ouvriers de la métallurgie (78,5%), carrossiers automobiles (78%), mécaniciens et électroniciens de véhicules (73%). Les bouchers (74%) ou les professionnels paramédicaux (73%).
[5] La durée de recrutement mesurée en jour par Pôle emploi est la suivante.
Durée de moins de | % des offres d’emploi |
7 jours | 10 % |
17 jours | 25 % |
38 jours | 50 % |
78 jours | 75 % |
137 jours | 90 % |
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