LE NOMBRE DES TRAVAILLEURS DÉTACHE EN FRANCE S’ACCROITLes chiffres issus de la Direction générale du travail indiquent que le nombre de travailleurs détachés a passé le seuil des 350 000 en 2016[1]. Leur nombre s’est accru de 24% par rapport à l’année 2015 (après une croissance de 25% de 2014 à 2015[2]). Les principaux secteurs d’accueil sont l’intérim (22 % des déclarations), le BTP (18%) et l’industrie (18 %).Ces chiffres sont à prendre pour ce qu’il sont ; ils ne concernent que les salariés européens déclarés et donc référencés. D’autres travailleurs interviennent de manière ponctuelle dans des secteurs comme le bâtiment ou l’agriculture et échappent à ce comptage.De nombreuses situations illégales ont d’ailleurs donné lieu à des sanctions[3], suite à la progression des contrôles qui a été utilement mise en place.LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE EUROPÉENNE NE RÉSOUT PAS LE PROBLÈME POSÉLa directive européenne de 1996 permet à une entreprise européenne d’envoyer temporairement ses salariés en mission dans d’autres pays de l’Union européenne[4]. En octobre, les 28 pays sont parvenus à un accord de révision de cette directive, mais les détails restent à négocier.Il a en particulier été décidé que le transport routier serait exclu [5]. Les syndicats de chauffeurs routiers (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGE-CGC) protestent contre cette exclusion et mènent des actions revendicatives en particulier aux frontières.La durée du détachement des détachements de travailleurs européens serait limitée à 12 mois, avec une prolongation possible de 6 mois (soumise à autorisation). Cela ne portera pas à conséquence dans la mesure où le taux de rotation des travailleurs détachés est en moyenne de 4 mois.Le seul point positif de la réforme de la directive est de prévoir « salaire égal à travail égal sur un même lieu de travail ». Dans la version actuelle de la directive, il est seulement spécifié que les travailleurs détachés doivent toucher le salaire minimum du pays d’accueil. C’est un réel progrès, même si cela ne traite pas la question des différences de cotisations sociales. Mais, objectivement, le contrôle de cette mesure semble devoir être difficile à assurer[6].Enfin, cet accord, si la procédure aboutit, ne prendra effet au mieux que dans un délai de 4 ans…LE POIDS DE LA PRÉSENCE DES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS SUR LE MARCHE DU TRAVAIL DEMEUREL’accord européen obtenu semble devoir avoir un effet limité et ne s’appliquer que dans plusieurs années. Bref, il ne résout pas le problème posé et la montée en charge du travail détaché « légal » ou « illégal ».Les déclarations politiques de victoire concernant cet accord semblent totalement infondées[7]. La volonté de réformer cette disposition, contestée par l’ensemble des partenaires sociaux et des partis politiques, a démontré les limites de la protection de l’emploi des Français dans le cadre de l’Union européenne.D’autres sujets européens, impactant l’emploi, sont à l’ordre du jour, comme la mise en œuvre d’accord de libre-échange avec le Canada (CETA)[8].
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[1] Ce chiffre de 354 151 a été publié par un quotidien (pro gouvernemental) puis confirmé par l’AFP. Ces données ne figurent bizarrement pas dans la communication du Ministère du travail.
Voir : http://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Ministère du travail communique de manière indirecte, via un quotidien, sans donner les détails habituels des données statistiques. Ce contrôle de l’information rompt avec la transparence antérieure.
[2] En 2015, 286 025 travailleurs détachés avaient été déclarés.
[3] D’après la DGT : « 15.960 interventions ont été effectuées par l’inspection du travail en 2016. 453 amendes ont été prononcées pour un montant de 2.4 millions d’euros. Neuf arrêtés préfectoraux de fermeture d’établissement ou d’arrêt d’activité ont été recensés en 2016 pour sanctionner des fraudes au détachement relevant du travail illégal et seize suspensions de prestation de service ont été prononcées par les Direccte pendant la même période.«
[4] Les employeurs étrangers de ces « travailleurs détachés » appliquent le noyau dur de leur réglementation (salaire minimum, conditions de travail), mais continuent de payer les cotisations sociales dans le pays d’origine. Les cotisations sociales dans les pays étrangers sont inférieures à celles de la France. Ces salariés reviennent donc moins chers aux employeurs, la masse salariale est plus basse et la concurrence est clairement faussée.
[5] La Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie se sont opposés à cet accord qui a été obtenu grâce à l’abstention du Royaume-Uni, de l’Irlande et de la Croatie. L’exclusion du transport routier de la révision de la Directive a été la condition de l’Espagne et du Portugal pour voter la révision et obtenir une majorité qualifiée. La majorité qualifiée est obtenue soit avec 55 % des Etats représentants soit 65 % de la population de l’UE.
[6] « C’est une avancée mais son application m’interroge« , estime, quant à lui, Patrick Liébus, président de la Capeb et de l’European Builders Confederation (EBC).
[7] « « Une victoire pour l’Europe » : l’Elysée se félicite de l’accord sur la réforme de la directive sur les travailleurs détachés » FranceTVinfo – 24/10/2017
« En quatre ou cinq mois, ça montre (…), quand on met de l’énergie (…), qu’on arrive à faire des choses en sortant de lectures dans lesquelles, je crois, nous nous étions enfermés« . Emmanuel Macron à l’issue du Conseil européen de Bruxelles.
Tweet : « L’Europe avance, je salue l’accord ambitieux sur le travail détaché : plus de protections, moins de fraudes. — Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) » 23 octobre 2017.
[8] Le CETA (AECG, accord économique et commercial global) est un nouvel accord commercial entre l’UE et le Canada. http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ceta/index_fr.htm
Il a pour objet de faciliter l’exportation de biens et de services, dans l’UE comme au Canada. Le CETA est entré en vigueur à titre provisoire le 21 septembre 2017. La majeure partie de l’accord est donc applicable. Les parlements nationaux des pays de l’UE doivent l’approuver pour qu’il puisse produire tous ses effets.
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