Un quotidien national du soir titre sur « la grande pénurie de main d’œuvre »[1].
Cette accroche semble assez inexacte. L’esprit de cette campagne de communication interroge.
Ce ne sont pas « LES entreprises du Vieux Continent » qui peinent à recruter, ce sont DES entreprises dans certains secteurs professionnels.
Il est vrai que dans plusieurs secteurs, en cette période, le marché de l’emploi reprend et les recrutements rencontrent de réelles difficultés pour des raisons différentes[2].
SEULS 21,8% DES ENTREPRISES AFFICHENT DES DIFFICULTÉS CONCERNANT LE MANQUE DE PERSONNEL.
L’enquête Dares, Acemo Covid d’août 2021, portant sur fin juillet, analyse les principales difficultés rencontrées concernent le manque de personnel.
Mais elles ne concernant que 21,8% des entreprises[3].
Cette difficulté varie selon la taille des entreprises : de 28% pour les 50 à 99 salariés à seulement 17% pour les plus de 500 salariés.
Elle se combine à d’autres difficultés, comme le manque de débouchés (16,5%) ou les difficultés d’approvisionnement (14,9%)[4].
POUR LES ENTREPRISES RENCONTRANT DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT, LES MOTIFS SONT LES SUIVANTS.
Des difficultés à recruter en CDI priment (70%).
Elles sont suivies de celles concernant les CDD de plus de 3 mois (33%), et les CDD de moins de 3 mois (35%) ou des difficultés à trouver des intérimaires (28%)[5].
La part des départs non anticipés de salariés qui avaient été mis en activité partielle reste faible à 4%.
Pour les entreprises qui connaissent des difficultés, la raison principale est la perte de débouchés (65%), les restrictions administratives (17%) et des difficultés d’approvisionnement (8%), le manque de personnel pouvant travailler n’est cité que dans 10% des cas[6].
Le manque de personnel touche davantage les entreprises qui tournent ou se développent qu’il ne participe aux difficultés des autres.
LES MOTIFS DES PROBLÈMES DE RECRUTEMENT SONT DIVERS
L’analyse des recruteurs concernant leurs difficultés de recrutement conclut aux motifs suivants, en ordre décroissant[7].
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A un manque de candidats formés dans les métiers recherchés (61%) ;
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Aux exigences en termes de condition de travail (35%) ou à des exigences salariales « trop élevées » (31%).
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A la prolongation des droits au chômage pendant la crise qui permet aux candidats potentiels d’attendre davantage (30%) ;
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A la sortie du salarié du marché initial : départ de la région (5%) ou changement de métiers (24%) ;
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À la concurrence entre recruteurs du fait de la rapidité de la reprise (25%).
Le manque de candidat formés conduit évidemment se tourner vers le développement de la formation professionnelle voire d’une évolution de la formation initiale.
DES EMPLOYEURS ONT PRIS DES MESURES POUR AMÉLIORER LEURS RECRUTEMENTS.
Elles concernent le ciblage des recrutements ou les conditions de travail :
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La modification des profils de salariés recherchés (expérience, qualification, etc.) pour 57%,
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La modification des termes des contrats proposés (temps / organisation du travail, durée des contrats, etc.) pour 28%,
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L’augmentation des salaires proposés dans 24% des cas et des modifications des conditions de travail dans 17%[8].
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L’affirmation selon laquelle « La pénurie est telle qu’elle risque parfois d’étouffer la reprise économique[9] » semble exagérée, compte tenu des chiffres récents de la Dares.
Le problème existe, mais il est limité et sans doute pour une part passagère, suite aux mesures prises face à la crise sanitaire.
[1] Le Monde du 25 aout 2021 – https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/08/25/logistique-hotellerie-batiment-a-travers-l-europe-la-grande-penurie-de-main-d-uvre_6092263_3234.html
[2] C’est le cas dans le Bâtiment en raison de la croissance temporaire de l’activité (dont le niveau pourrait baisser faute de constructions neuves en raison de la chute des permis de construire) ; dans l’Hôtellerie et la restauration avec une reprise de l’activité suite à une chute et une réduction du personnel ; dans la Logistique (transports routiers), avec un effet de rattrapage qui accroit pour une période les besoins ; dans des professions de Santé sous la pression de la crise sanitaire ; dans certaines industries, mais évidemment pas toutes (voir les cas de l’automobile et de l’aéronautique) !
[3] Question 3 : à la date du 31 juillet, quelles sont vos principales difficultés rencontrées ? – Dares, enquête Acemo Covid, août 2021. Champ : salariés du privé hors agriculture, particuliers employeurs et activités extraterritoriales ; France (hors Mayotte).
[4] Autres difficultés :
- Manque de débouchés pour 16,5%.
- Gestion des questions sanitaires (masques, distance de sécurité, gel hydro alcoolique, etc.) pour 15,5%.
- Difficultés d’approvisionnement (manque de matière première / intrants, etc.) pour 14,9%.
- Difficultés financières pour 12,6%.
- Fermeture administrative pour 5,3%.
- Difficultés liées à l’aval (problème de transport, etc.) : 2,4%.
[5] Tableau 10 : Causes du manque de personnel (% de salariés). Dares, enquête Acemo Covid, août 2021.
[6] Tableau 5 : cause de la diminution de l’activité (% de salariés). Dares, enquête Acemo Covid, août 2021.
[7] Tableau 14 : Raisons principales des difficultés de recrutement, par taille d’entreprise (% de salariés)
[8] Tableau 17 : Mesures mises en place pour faire face aux difficultés de recrutement. Dares, enquête Acemo Covid, août 2021
[9] Le Monde 25 08 2021.
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