Faute d’avoir obtenu la réécriture de la directive sur les travailleurs détachés, le marché du travail semble durablement impacté par ces salariés à bas coût.
LA CROISSANCE DU NOMBRE DE TRAVAILLEURS DÉTACHÉS EN FRANCE
La contestation de l’emploi en France de travailleurs détachés[1] prend une réelle ampleur. Elle mobilise de la CGT (manifestation récente devant le chantier ITER[2]) à l’UPA ou la CGPME (par exemple campagne de la CGPME du Rhône) en passant par les transporteurs.
La cause de ces réactions est la croissance régulière des effectifs de travailleurs détachés dans certains secteurs professionnels dont principalement : le BTP (40%), l’industrie, l’intérim (pour des emplois dans le BTP), le transport, l’hôtellerie, l’agriculture… En 2014, la croissance est de 8% en nombre de personnes mais le nombre total de jours de détachement a augmenté de 30 %.
Cette croissance trouve ses origines dans l’élargissement de l’Union Européenne à la Roumanie et à la Bulgarie, mais surtout dans les « progrès » réalisés dans les montages complexes et opaques entre sociétés et sous-traitants.
L’estimation officielle porte sur un effectif de 230 000 travailleurs détachés, déclarés en 2014. Ce chiffre ne comprend pas les salariés détachés non déclarés qui seraient entre 200 000 et 300 000. Ces salariés sont polonais, portugais, roumains, tchèques, bulgares, etc.
Depuis le 1er janvier 2014, les dernières restrictions imposées par certains Etats membres à l’accès des ressortissants roumains et bulgares à leurs marchés du travail ont été levées : ils peuvent désormais travailler dans n’importe quel État membre de l’UE. Trois millions de Bulgares et de Roumains vivaient déjà dans d’autres Etats membres avant la levée définitive des restrictions dont 91 000 en France.
Pour les travailleurs détachés en situation régulière, les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d’origine. Ce qui permet à un employeur d’embaucher des travailleurs à moindre coût dans des pays aux cotisations sociales bien plus élevées (la masse salariale serait inférieure de 30%). Le salaire et les conditions de travail du salarié détaché relèvent des règles du pays dans lequel il travaille. Un travailleur détaché en France devrait donc toucher au moins le SMIC. Cette pratique relève de la « concurrence déloyales et le dumping social »[3] (rapport parlementaire).
Pour les travailleurs détachés non déclarés, les salaires sont plus bas, la couverture sociale souvent absente, les durées maximales de travail dépassées.
Ces emplois non déclarés entraîneraient, selon la Cour des comptes, un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d’euros de cotisations sociales par an.
Pour toucher l’absurdité de ce système, il faut savoir que des milliers de français sont détachés en France par une entreprise européenne et disposent du statut de travailleurs détachés dans leur propre pays.
UNE LOI VISANT A LUTTER CONTRE LA CONCURRENCE SOCIALE DÉLOYALE.
Le problème semble bien identifié au niveau des responsables politiques mais les solutions tardent à produire des effets.
Au niveau européen, des efforts ont été faits pour revenir sur cette question à l’initiative de la France. Sans entrer dans le détail fort complexe, on peut conclure qu’ils ont en partie échoué.
La « Directive d’exécution relative au détachement des travailleurs » adoptée par le Conseil en mai 2014 est destinée à corriger les abus et éviter les emplois non déclarés mais ne revient pas sur le principe même des travailleurs détachés.
La Commission européenne a rappelé que « la libre circulation des travailleurs sans restriction est un élément fondamental de l’UE établi par les traités. (…) Et toute modification des traités requiert une négociation avec tous les États membres et une ratification de tous les parlements ». « De même, contrairement aux idées véhiculées par certains partis populistes, les travailleurs migrants contribuent à la richesse d’un pays, grâce entre autres à la diversification des compétences ainsi qu’à l’occupation de postes vacants dans des secteurs connaissant une pénurie de main-d’œuvre. ». Parallèlement, la publication des taux de chômage des pays de l’Union atteste que la pénurie de main d’œuvre n’existe pas vraiment en 2014 !
La loi traduit en droit français le compromis survenu en décembre 2013 au niveau européen qui a débouché sur l’adoption de la Directive d’exécution relative au détachement de travailleurs en mai 2014. Elle s’appliquera en janvier 2016. Elle apporte un éventail d’outils de lutte contre le recours aux travailleurs détachés, mais elle ne traite pas le cas des travailleurs détachés déclarés.
Les résultats des contrôles de l’inspection du travail sur ces situations sont trop peu nombreux[6] ; d’où un appel à la délation lancée récemment par une organisation patronale. Malgré de réels efforts, les interventions apparaissent le plus souvent infructueuses. Un renforcement des effectifs en charge du contrôle a été annoncé.
Le projet de loi Macron, en cours d’examen, prévoit de nouvelles mesures, concernant l’efficacité des contrôles de l’inspection du travail et la création d’une carte d’identification professionnelle dans le secteur du BTP, pour lutter contre les fraudes au détachement pour lutter contre les fraudes au détachement.
LA NÉCESSITÉ DE NOUVELLES SOLUTIONS
Ces mesures sont le résultat d’un réel effort pour tenter de résoudre ce problème. Mais, elles sont jugées insuffisantes par une bonne part des acteurs.
Seules les entreprises, qui profitent du recours aux travailleurs détachés pour baisser leurs coûts ou augmenter leurs marges, et les clients (particuliers, sociétés ou services publics), qui bénéficient de prix réduits, souhaitent le maintien de la situation actuelle.
Une alerte doit être déclenchée, en particulier dans le secteur de la Construction, où la superposition de la réduction de l’activité du secteur et de l’intervention croissante de travailleurs détachés met en cause la permanence des ressources humaines françaises dans le BTP pour les prochaines années.
Faute d’avoir obtenu la réécriture de la directive européenne sur les travailleurs détachés en supprimant les effets pervers qui ont été constatés, il semble nécessaire de freiner dans notre pays l’afflux de ces salariés pour prendre en compte le chômage de masse actuel.
[1] Le statut de travailleur détaché est défini par la directive européenne du 16 décembre 1996. « Un travailleur est considéré comme “détaché” s’il travaille dans un Etat membre de l’UE parce que son employeur l’envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet Etat membre. Par exemple, un prestataire de services peut remporter un contrat dans un autre pays et décider d’envoyer ses employés exécuter ce contrat sur place. (…) Cette catégorie ne comprend pas les travailleurs migrants qui se rendent dans un autre Etat membre pour y chercher un emploi et qui y travaillent. »
[2] Une manifestation similaire était organisée simultanément par la CGT sur le Chantier du terminal méthanier de Dunkerque (Nord) le 5 février 2015.
[3] Rapport d’information du Sénat publié en avril 2013.
[4] La loi du 26 juin 2014 dans son chapitre premier, relatif aux dispositions du code du travail, comprend six articles destinés notamment à : étendre l’obligation de vigilance de l’entreprise bénéficiaire d’une prestation de service internationale (article 1er) ; élargir les cas dans lesquels un maître d’ouvrage ou un donneur d’ordre peut être tenu au paiement des salaires des employés des sous-traitants intervenant sur le marché (article 2) ; renforcer l’obligation de diligence du maître d’ouvrage et le mécanisme d’alerte en cas de travail dissimulé et accroître la responsabilité du maître d’ouvrage privé en étendant le devoir d’injonction du maître de l’ouvrage (article 3) ; permettre de sanctionner tout maître d’ouvrage ou donneur ordre qui poursuivrait, au-delà d’un mois, son activité avec une entreprise en situation d’irrégularité et cela alors même qu’il a été informé par écrit de la situation (article 5) ; signaler sur internet les entreprises condamnées à au moins 45 000 euros d’amende pour travail dissimulé (article 6). Le chapitre deux comprend quant à lui deux articles qui modifient d’autres codes afin de permettre aux associations et syndicats professionnels d’ester en justice (article 7) et d’obliger tout candidat à l’attribution d’un marché public de présenter une attestation d’assurance décennale (article 8).
[5] Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Aussi appelée « directive Bolkestein » – http://europa.eu/legislation_summaries/employment_and_social_policy/employment_rights_and_work_organisation/c10508_fr.htm
[6] Selon le ministère du travail, entre 1 000 et 1 500 contrôles ont été effectués en 2012 concernant le détachement des travailleurs. Selon le rapport des députés Savary, Guittet et Piron, la directive européenne actuelle, « en temps de crise et de fortes tensions sur les marchés du travail de tous les Etats membres, est en effet un outil inadapté car trop facilement contournable, alors même que les Etats membres sont malheureusement dans l’incapacité presque totale de contrôler le respect de la directive ». « Ils sont, d’une part, confrontés à la fugacité de certains détachements, dont le temps, rapide, n’est pas en adéquation avec le temps long des contrôles. D’autre part, la confrontation des systèmes juridiques différents et l’obstacle de la langue rend les contrôles difficiles. »
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