La tentation de recentrage des formations en apprentissage vers les bas niveaux de qualification, principalement pour des raisons économiques, ne correspond ni aux aspirations des jeunes, ni à la demande des entreprises.
Des économistes viennent de publier une note[1] affirmant que « L’apprentissage doit concerner en priorité les jeunes sans diplôme« . Elle s’inscrit dans une perspective plus générale consistant à cibler les politiques de l’emploi et de la formation professionnelle vers les jeunes sans qualification ni diplôme.
Cette note se conclut sur quatre séries de recommandations[2]. Chacune de ces recommandations mériterait d’être débattue, ce qui dépasse le cadre d’un article de ce blog. Je choisis donc de rappeler quelques considérations générales.
LE NIVEAU DES QUALIFICATIONS ACQUISES PAR L’APPRENTISAGE
L’apprentissage s’est effectivement développé, sur cette dernière période, via la croissance de formations qualifiantes post bac. Cette évolution est naturelle car elle s’inscrit dans le contexte de l’élévation générale de la qualification des postes.
D’une part, ce développement accompagne naturellement l’élévation du niveau de formation initiale des jeunes.
En 2014, 77,5% des jeunes d’une classe d’âge ont validé un bac. On ne peut donc pas comparer sérieusement les chiffres de 2014 à ceux de 1992.
D’autre part, dans beaucoup de secteurs marchands, non marchands ou publics, l’élévation du niveau des formations requises pour occuper les postes à pourvoir est une réalité concrète.
Certaines entreprises n’emploient pratiquement que des jeunes à niveau bac+2 et plus ; elles peuvent accueillir un apprenti préparant un BTS ou un DUT en alternance mais pas un jeune de niveau VI. Pour prendre un exemple, le secteur de l’industrie accueille, depuis plusieurs années déjà, une majorité d’apprentis post bac qui correspondent aux besoins des entreprises industrielles du XXIème siècle. Dans une banque ou un établissement hospitalier privé, on recrute peu d’apprentis infra bac[3]. Il n’y a pas forcément de postes pour des apprentis non qualifiés et quel que soit les moyens mis en œuvre on ne les imposera pas. Il suffit de constater le résultat des dispositions sur les quotas d’apprentis que la loi a imposé… L’absence d’un accueil significatif d’apprentis dans les fonctions publiques illustre également cette remarque.
Enfin, renvoyer vers un parcours en apprentissage des jeunes sans qualification, ni diplôme revient en réalité à désengager l’éducation nationale de leur formation initiale pour confier ce soin aux seules entreprises.
Il faudrait prendre la décision de fermer les établissements d’enseignement secondaire qui les accueillent aujourd’hui !
Cette logique de priorité à l’apprentissage pour les jeunes non qualifiés ne semble pas pouvoir remédier au décrochage scolaire. On connait, en effet, les taux d’abandon de contrat d’apprentissage par les jeunes non ou peu qualifiés. Il y aurait un transfert du décrochage scolaire vers les abandons de contrat d’apprentissage. La recommandation visant à « Réduire la part des matières générales dans les diplômes de CAP et promouvoir le tutorat des apprentis. » revient clairement à cette évolution. Cette proposition tourne évidemment le dos au progrès de la formation de la jeunesse.
Le décrochage scolaire se joue en premier lieu au niveau de la formation initiale ; c’est au niveau des écoles et des collèges voire des lycées qu’il faut diminuer le nombre des abandons par un changement dans les approches et une pédagogie nouvelle.
UNE REFORME RADICALE DU PILOTAGE DU SYSTEME
La « réforme du pilotage du système » s’attaquerait à l’organisation des structures et des financements pour centraliser les décisions et imposer des orientations. Là aussi la logique de la démarche concernant ces recommandations sur la formation par alternance semble ignorer tant les besoins des entreprises que les intérêts des jeunes.
La complexité actuelle de l’offre de formation en alternance par secteur professionnel et par niveau de formation est réelle mais elle répond en grande partie aux besoins des entreprises. Il est nécessaire de réserver la taxe d’apprentissage au financement des contrats d’apprentissage.
La situation actuelle n’est pas parfaite. Il est souhaitable de revoir avec attention tous les éléments du système et en particulier éviter certains doublons. Mais il faut éviter de « casser la machine », comme cela serait le cas en suivant l’esprit de ces recommandations.
L’APPRENTISSAGE POUR TOUS LES JEUNES
Le nombre de jeunes de niveau infra bac bénéficiant de l’apprentissage n’a pas décru ; c’est le nombre de jeunes post bac en bénéficiant qui a augmenté. Cette évolution correspond à l’évolution positive des niveaux de formation et de diplôme.
La diminution actuellement en cours du financement de l’apprentissage dans le supérieur va à l’encontre de l’égalité des chances, et de l’intérêt des jeunes. La disparition, par exemple pour des écoles d’ingénieurs, d’une part de ces contrats signifie que nombre de jeunes des catégories populaires n’accèderont plus à ces diplômes.
Les formations en apprentissage doivent concerner tous les niveaux de formation, c’est-à-dire viser des CAP comme concerner des diplômes à bac+5. C’est le souhait tant des jeunes (et de leur famille). Ce choix correspond aux attentes des employeurs qui choisissent quels apprentis ils recrutent, lorsque la conjoncture leur permet de le faire… et qu’ils ont une certaine perspective d’embaucher les jeunes accueillis en apprentissage.
Une illustration de cette réalité : certains des récents accords signés dans les branches professionnelles, dans le cadre du Pacte de responsabilité, comportent des engagements sur un nombre d’embauche en contrat d’apprentissage, mais aucun ne prévoit un niveau de qualification précis.
[1]L’apprentissage au service de l’emploi – Pierre Cahuc, Marc Ferracci avec la contribution de Jean Tirole et Étienne Wasmer- note du CAE (Conseil d’analyse économique)- n°19 – décembre 2014.
[2] Recommandation 1. Fusionner l’apprentissage et le contrat de professionnalisation ; unifier leurs financements en une subvention unique modulée en fonction des niveaux de diplôme ; simplifier la collecte en substituant les URSSAF aux OCTA.
Recommandation 2. Instaurer un système unique de certification des formations en alternance via des agences commanditées par une commission nationale réunissant toutes les parties prenantes (branches professionnelles, Éducation nationale, ministère du Travail, experts indépendants). Cette Commission fixerait le cahier des charges des formations et aurait aussi pour mission de définir une véritable politique nationale de la formation professionnelle, initiale et tout au long de la vie.
Recommandation 3. Moduler les subventions à l’alternance en fonction du diplôme de l’alternant ; moduler les contributions des entreprises à l’alternance en fonction du devenir de leurs alternants.
Recommandation 4. Concentrer sur l’apprentissage et le pré-apprentissage les moyens publics en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes peu qualifiés. Ajuster les incitations des différents acteurs de l’orientation (Éducation nationale, missions locales) en faveur de ce dispositif. Réduire la part des matières générales dans les diplômes de CAP et promouvoir le tutorat des apprentis.
[3] Dans un établissement de santé, les apprentis seront généralement cantonnés à la propreté et aux cuisines.
Un commentaire to “L’apprentissage pour tous (les jeunes)”
13 janvier 2015
Les employeurs choisissent la formation de leur...[…] Les formations en apprentissage doivent concerner tous les niveaux de qualification, des CAP aux diplômes à bac+5 pour répondre aux besoins des employeurs. […]