Parmi les discours inexacts concernant le marché du travail, deux arrivent en tête, l’un sur « la pénurie de talents », l’autre sur le nombre des offres non pourvues (le chiffre de 400 000 est souvent évoqué). Ces deux affirmations, sensiblement différentes, conduisent à la mise en cause d’une population de chômeurs qui ne souhaitent pas travailler et débouchent finalement sur une dénonciation de la fraude. Cette fraude expliquerait le déficit de l’assurance chômage. Ces raisonnements, tenus par des personnes a priori très sérieuses, ne résistent pas à un rapide examen.
UNE ENQUÊTE PORTANT SUR LA « PÉNURIE DES TALENTS »
Une récente enquête[1] de Manpower[2] conclut que 29% des employeurs, en France en 2015, rencontrent des difficultés pour recruter. Elle constitue un indicateur sur les tendances de fond du marché du travail. Le titre même de l’enquête : « la pénurie des talents » indique l’intention de la société dans sa démarche : démontrer les difficultés de recrutement pour proposer ses services aux entreprises : « disposer de solutions pour l’externalisation de leurs fonctions RH ».
L’enquête conclut à une hausse des difficultés par rapport au chiffre de 2014 (21% d’entreprises déclarant des difficultés), sans citer les chiffres des enquêtes de 2013 (33%) ou de 2012 (29%). La difficulté serait même croissante avec la taille de l’entreprise…
On peut comparer ces chiffres à ceux de la dernière enquête Besoins en Main d’œuvre (BMO) de Pôle Emploi qui précise que les prévisions de difficultés de recrutements sont passées de 42,5% des entreprises en 2012 à 32,4% en 2015, c’est-à-dire une baisse de 10 points.
Les chiffres des deux enquêtes diffèrent, ce qui montre la relativité de ces mesures des difficultés de recrutement estimées par les entreprises. Ils prouvent néanmoins que les difficultés ressenties baissent avec la crise sur le marché de l’emploi et pas l’inverse.
La notion de difficulté à recruter mériterait d’être précisée pour être pleinement significatives. La difficulté se traduit-elle par un long délai de recrutement (dépassant une durée de 6 semaines par exemple), par un grand nombre de candidature à traiter (occasionnant une charge de travail), etc. ou par l’abandon d’un recrutement entrainant un poste potentiel non pourvu.
LES MÉTIERS CONCERNES SONT PEU COMPARABLES
Les métiers ou fonctions pour lesquels elle relève des difficultés de recrutement portent, à l’image des années précédentes, sur :
- des artisans et ouvriers qualifiés,
- des chauffeurs et
- du personnel administratif.
La diversité des métiers où l’enquête relève des difficultés est telle que son interprétation globale n’est pas possible.
La pénurie en « cadres et dirigeants » n’est pas du tout de la même nature que celle des « artisans » ou des « médecins et professions médicales ». La difficulté de recrutement des artisans et des chauffeurs routiers ne peut que surprendre quand on connait le nombre de demandeurs d’emploi dans les professions du Bâtiment (en recul d’activité depuis 3 ans) comme les chauffeurs routiers disponibles suite aux plans sociaux récents.
Elle confirme que le recrutement de commerciaux ou d’informaticiens pose problème ce qui apparait logique avec la concentration des recrutements sur ces deux fonctions (pour lesquelles existent un nombre d’offres importants). Mais, la réalité est en fait beaucoup plus complexe, car tout dépend de quels profils de commerciaux et de quels profils d’informaticiens sont recherchés… Il est peu significatif de globaliser.
LES CAUSES DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT SONT DIVERSES
Des employeurs considèrent avoir des difficultés pour recruter, celles-ci sont réelles dans une part des cas.
Mais la nature de ces difficultés provient elle de la « pénurie de talents », de la mauvaise volonté des chômeurs peu pressés de retravailler, de la faible capacité des employeurs à mener des recrutements ou du mauvais fonctionnement des processus de recrutement et des acteurs de l’emploi ?
Du point de vue des employeurs interrogés, les causes évoquées portent sur :
- Un manque de compétences (46% des réponses),
- L’absence de candidats disponibles (27%),
- Un problème d’attitude face au poste[3] (21%),
- Le manque d’expérience (10%),
- Des prétentions salariales trop élevées (7%).
Les réponses à l’enquête des responsables d’entreprise prouvent que 59% d’entre eux n’a mis en place aucune stratégie pour y remédier. Même s’ils jugent que les difficultés de recrutement ont pour eux un impact économique portant sur leur capacité à répondre à leurs clients, la baisse de la productivité ou un retard dans l’innovation. Pour les autres chefs d’entreprise, les principales solutions mises en œuvre seraient : le recours à des moyens de recrutement peu traditionnels (21%), l’identification de profils atypiques (12%) ou la promotion interne avec un recours à la formation[4] (7%).
Cette enquête fait l’impasse sur :
- Les profils recherchés, parfois excessivement précis (recherche du « mouton à cinq pattes »),
- les conditions de travail et les salaires proposés (dans l’artisanat ou pour les chauffeurs routiers par exemple),
- l’examen critique des techniques de recrutement mobilisé par les entreprises selon les profils de candidats recherchés,
- le temps accordé aux procédures de recrutements par les responsables concernés,
- la fréquente faiblesse des budgets accordés aux recrutements,
- la connaissance de certains recruteurs par rapport aux métiers des publics recherchés,
- etc.
Cette analyse critique des stratégies de recrutement des entreprises et de la qualité des outils à leur disposition (outils en ligne, services de Pôle Emploi, mobilisation d’acteurs associatifs et marchands, etc.), devrait être menée pour tenter de réduire les « difficultés de recrutement » annoncées comme les risques d’abandon rapide de postes après l’embauche.
[1] Cette enquête sur « la pénurie de talents » du groupe de travail temporaire Manpower, réalisé depuis dix ans. 1 002 personnes ont été interrogées en France et 41 748 dans le monde au cours du premier trimestre 2015. Elle établit que : « Pour autant, si cette pénurie française se situe en dessous de la moyenne des difficultés de recrutement dans le monde (38%), la France éprouve tout de même plus de difficultés qu’un certain nombre de pays d’Europe : Derrière l’Allemagne et ses 46%, la France devance ses voisines : l’Italie (28%), l’Espagne (14%) le Royaume-Uni (14%). Ces deux derniers sont parmi les pays du monde présentant le moins de difficultés de recrutement cette année. ». http://www.manpowergroup.fr/penuriedetalents2015/
[2] L’objectif de Manpower, numéro 2 mondial de l’intérim, est de « devenir le leader des services en ressources humaines ». « ManpowerGroup accompagne ses clients sur l’ensemble de leurs enjeux RH. Grâce à sa vision globale des problématiques RH, ManpowerGroup propose aux dirigeants et à leurs DRH des prestations de conseil RH ainsi que leurs mises en œuvre grâce à des solutions concrètes et innovantes, afin d’accompagner la transformation RH de leur entreprise. Le savoir-faire et l’expertise de ses différentes Marques permet à ManpowerGroup de répondre aux 3 grands défis RH de ses partenaires : acquisition des compétences temporaires et permanentes pour faire face aux évolutions de l’environnement, faire évoluer les compétences des collaborateurs en créant des parcours professionnels à l’intérieur de l’entreprise et sur le marché et disposer de solutions pour l’externalisation de leurs fonctions RH et IT. »
[3] Manque d’« enthousiasme, potentiel, motivation ».
[4] « des formations courtes et individualisées mais surtout qui reposent sur les besoins réels et exprimés par les entreprises » sont nécessaires.
Un commentaire to “Que cachent les difficultés de recrutement évoquées par certaines entreprises ?”
29 mai 2015
Des difficultés pour recruter pour 29% d...[…] Les enquêtes sur les problèmes de recrutement des entreprises prouvent que les difficultés estimées baissent avec la crise existante sur le marché de l’emploi. […]